Sandra garda son optimisme pendant quelques mois. Mois durant lesquels elle ne pouvait rester chez elle à ne rien faire. Elle avait rendu visite à ses amis, chose qu'elle n'avait pas fait depuis longtemps et c'était même excusée au près de ses parents. Elle avait multiplié les entretiens d'embauche dans des postes quelque fois au dessus de ses prétendues capacités en pensant qu'avec de l'ambition et de l'intérêt, on pouvait tout faire et tout espérer.
Malheureusement, malgré toute son énergie, elle ne parvint pas à retrouver un bon job et finit dans la même usine à emballer des Cds. La boîte d'intérim tout comme la responsable du service lui avait dit combien elle avait été chanceuse d'être reprise. Elle avait du promettre sa fidélité jusqu'à ce qu'il n'est plus besoin d'elle évidemment. Alors les journées recommencèrent à lui peser. La télé recommença à occuper leurs soirées, Alban était toujours aussi machiste. Elle se lassa de revoir ses amis qui ne faisaient de toute façon aucun effort de leur côté. Son optimisme retomba tranquillement. Sûrement aussi, sa dépression revint plus vive que jamais. Comme après avoir fait un régime et que l'on grossi à nouveau d'autant plus et même lorsqu'on arrête de fumer sans opiniâtreté et que l'on replonge encore et encore.
Charlotte, quant à elle, préparait son voyage. Elle avait déjà pris son billet. Elle avait hâte de partir comme chaque fois après quelques longs mois passés en France. Depuis des années qu'elle voyageait, contre tout ce qu'elle avait pris, elle avait perdu bon nombre de ses amis en France. Au début, elle donnait des nouvelles, quelques personnes lui répondaient mais bientôt les petits mots se firent rares et disparurent finalement. La distance avait vaincu l'amitié. Chose si légère pour ceux qui restent mais bien palpable pour ceux qui partent. Allez savoir pourquoi alors que le contraire paraîtrait plus probable. Aussi, les nouveaux moyens de communication, Internet par exemple, sont si impersonnels, vides d'une véritable sentimentalité, tellements humainement pauvre quand on les compare à de vrais contacts palpables, aux émotions qui passent à travers nous et qui remplacent jusqu'aux mots. On a plus d'affinité avec son voisin de chambre à l'armée qu'avec ses amis d'enfance une fois les belles années écoulées. C'est ainsi, les amitiés naissent et meurent aussi vite que les jours dans l'année. Ses anciens amis s'installèrent les uns après les autres, parfois ensembles, et puis bientôt ils eurent des enfants, du bonheur, des soucis, et il en oublièrent leurs amis, même ceux qui sont restés, même ceux qui sont encore près d'eux.
Les nouveaux amis de Charlotte n'étaient plus des amis intimes mais des connaissances plus ou moins approfondies qui partageaient souvent à peu près les mêmes idées et la même vie. Ils se voyaient à l'occasion et s'oubliaient très vite. Aussi vite qu'ils avaient été les meilleurs amis de monde les quelques temps qu'ils étaient restés ensembles. Aujourd'hui son amie la plus intime était peut-être la vieille dame sa voisine, pourtant ils ne passaient pas beaucoup de temps ensemble si ce n'est les thés qu'ils partageaient chacune leur tour avec quelques gâteaux. Quant à Sandra, pas de nouvelle depuis son départ mais elle avait été contente de passer un peu de temps avec elle et d'avoir pu lui remonter le morale. Elle se dit qu'elle l'appellerait au moins une fois avant son départ pour savoir si tout allait bien. Charlotte partait dans 15 jours.
Chez Sandra, la situation avant la fin de l'été empirait. Elle était moins dramatique qu'avant son départ chez Charlotte mais sa lassitude était encore plus profonde. Au lieu de se laisser aller à flotter au milieu d'un calme océan qui la berçait doucement de ses futilités, elle partait à la dérive dans une tempête psychologique infernale qui la menait assurément à la dépression. Elle désespérait de passer ses journées à faire un travail non pas pénible mais le plus chiant du monde, cela avec des gens qu'elle détestait. Des filles rabageoises et tellement superficielles qu'elle en avait pitié.
Les relations avec Alban s'étaient calmées. Mais de ce calme qui ne promet rien de bon. A mesure que le temps passait, avec les efforts qu'elle faisait en prenant sur elle, elle s'apercevait qu'Alban n'était pas son type d'homme si seulement il pouvait y en avoir un. Il était trop dans ses pantoufles à son goût, il n'avait aucune ambition mis à part d'aller laver sa belle voiture le week-end et de partager des bières avec ses potes du boulot pendant les matchs de foot. Matchs de foot qu'elle ne voulait plus voir à la maison. Alban passait donc le week-end chez ses potes. Ils ne se voyaient donc pratiquement plus puisqu'elle travaillait de jour et lui de nuit. D'ailleurs, il y avait déjà un moment qu'ils n'avaient pas fait l'amour puisqu'elle le repoussait les quelques fois où ils se trouvaient au lit ensemble.
« Si tu penses me faire des câlins le seul matin qu'on passe ensemble le dimanche avant ton foot, tu peux rêver. Je trouve ça navrant. Excuse moi. » Alban partait en claquant la porte et le soir, une fois calmé, il remettait ça et parfois elle se laissait faire par ce que la journée elle avait eu des remords. D'ailleurs il n'y était pour rien le pauvre d'être si navrant. Il sentait la bière et s'endormait très vite sans qu'ils ne se soient rien dit. Elle avait tant envie de parler pourtant, de se confier à quelqu'un, de faire entendre sa détresse. Elle se mettait alors à sangloter comme une gamine et pensait rappeler Charlotte mais n'osait pas se rendre encore ridicule devant elle qui menait si bien sa vie.
Charlotte travaillait jusqu'au dernier jour. Elle venait de partir la semaine entière avec un groupe de bons randonneurs qu'elle menait jusqu'en Espagne ou ils feraient une boucle et rentreraient à la fin du week-end. La semaine alternait de belles journées d'automne et de rudes nuits dans les sommets qui rappelaient déjà celles de l'hiver. Le matin, chacun faisait sa petite toilette dans un ruisseau voisin avant que le soleil n'effleure les plus hauts sommets. Marmottes et autres bouquetins se laissaient entrevoir avant de disparaître happés par les interstices de la montagne. Ils reprenaient leur marche en silence comme des pèlerins d'un autre temps en route pour apaiser en chemin les âmes malheureuses de fervents apeurés par l'approche de la mort et qui désiraient âprement se confesser pour échapper aux servitudes infinies de l'enfer. On n'était bien loin de ce temps. Ces marcheurs n'échappaient que pour quelques temps aux servitudes de leur travail et de leur télé. A peine la tête sortie hors de l'eau qu'ils y replongeaient avec cet air nouveau jusqu'à la prochaine marche. Charlotte, dans les rudes dénivelées, échappait corps et âme à cet effort pénible en s'inventant des histoires, en refaisant sa vie, en l'améliorant, en devenant pour un instant une ardente députée européenne en lutte pour un mouvement social de grande ampleur, et devenant aussi tôt chef d'une entreprise en Afghanistan qui n'emploierait que des femmes, toutes les femmes et les sortirait de leur conditions inhumaines, qui ferait d'immenses bénéfices et les partagerait entre toutes, et il resterait encore pour sauver des enfants du Soudan. D'ailleurs cette société marcherait si bien qu'elle deviendrait internationale et changerait la face du monde.
- Pardon, ne peut-on pas s'arrêter un peu, demanda une jeune femme du groupe, je n'ai plus de force.
- Oui, bien sûr, répondit Charlotte sortie aussi sec de son immense réussite, nous pouvons faire une pose et nous restaurer un peu. Nous avons bien le temps puisque que le refuge n'est plus qu'à trois de marche et que le temps est idéal...
De retour chez elle, Charlotte écouta ses messages et en trouva trois de Sandra. Le premier, elle demandait de la rappeler quand elle pourrait. Le deuxième en pleure disait qu'elle avait besoin de ses conseils encore une fois et qu'elle espérait que celle-ci ne soit pas encore partie. Le troisième répandant à travers toute la maison la détresse de Sandra pendant une bonnes vingtaine de minutes où elle racontait tous ces malheurs. Sandra était à bout une nouvelle fois. Il était trop tard ce soir là pour la rappeler et de toute façon son dernier appel remontait à vendredi. Comme elle devait remonter à Paris pour prendre l'avion ces prochains jours, elle décida de partir rapidement pour aller passait un peu de temps avec elle.
Le lendemain, Charlotte rappela Sandra dans la journée mais elle devait travailler puisqu'elle n'était pas là. Le soir non plus. Elle avait réussi à avoir son adresse en appelant ses parents mais ne leur avait rien dit sauf qu'elle voulait lui faire la surprise. Eux n'avaient l'air de ne pas en savoir plus de toute façon. Enfin, une fois à Paris, elle alla à l'adresse indiquée et frappa à la porte persuadée qu'elle ne trouverait personne en pleine journée. Mais elle insista tout de même, insista encore et se pris à avoir un doute, une mauvaise conscience, une peur, elle cria presque, « Sandra, ouvre, c'est moi Charlotte, je t'en prie, est-ce que tu es là, réponds moi, tu me fais peur » en vain. Alors, elle redescendit les escaliers et partie patienter sur la terrasse d'un bar voisin. Vers 18 heure, elle remonta frapper en vain, à 19 heures de nouveau. Elle commençait à désespérer. Enfin, vers 20h00, elle croisa un homme dans les escalier de l'immeuble et se dit qu'il était Alban.