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La vérité, c’est qu’on ne sait nommer
ce qui nous pousse.
Lorsque le désir résiste
aux premières atteintes du bon sens,
on lui cherche des raisons.
Et on en trouve qui ne valent rien…
Extrait de Nicolas Bouvier dans l’Usage du Monde


Citation :
L'Afrique sans la France,
c'est comme une voiture sans chauffeur
La France sans l'Afrique,
c'est une voiture sans carburant
Omar Bongo


Pétition :
"Justice pour Thomas Sankara,
Justice pour l'Afrique"






18 février 2010 4 18 /02 /février /2010 16:14
Janvier 1954 : Kourma

 

« Je me rappelle que vers le milieu de mon congé, j’appris que de graves incidents s’étaient produits dans le district de Kourma, voisin d’Archambault, si bien que l’on avait du faire intervenir l’armée. M’étant présenté au Gouverneur à mon arrivé à Fort Lamy, il me fit connaître mon affectation à Kourma… » 

« Au cours de la passation de service, j’eus l’occasion de me rendre compte que les adepte du PTT et son leader Toumbalbaye étaient nombreux dans le district de Kourma. Le chef du village de Kourma, lui même en était l’un des protagonistes. Pour cette raison, il ne s’entendait pas avec mes prédécesseur. J’appris en particulier qu’il avait fait de nombreuses demandes de permis d’achat pour un fusil de chasse à double canon. On ne lui avait jamais accordé, en raison de son appartenance politique. En contre partie, le chef du village passait son temps à s’opposer, par tous les moyens à l’autorité administrative. Il se refusait à collaborer à l’action élaborée par le Chef de district, en vue du progrès général de la circonscription. Aussi, dès que je fus en « charge » et pour la première fois de ma carrière, je décidais de ne pas suivre la politique de mes prédécesseur. Aussitôt que je le pus, je fis une visite au chef du village : ce que personne, avant moi, n’avait fait. Il en fut tout surpris et fort honoré. Au cours de la conversation, sans avoir l’air de rien, je lui demandais s’il était chasseur. Il me répondit par l’affirmative. Je lui demandais s’il avait un fusil. Il me répondit : « Depuis longtemps, j’ai adressé des demandes pour obtenir un permis d’achat. Je n’ai jamais pu en avoir. »

Je lu répondis : « Et bien, je vais combler cette lacune regrettable. J’ai apporté avec moi un permis d’achat que je te remets ! »

Le brave homme en bégayait et ne savait pas trop comment me remercier. Il n’en revenait pas. Aussi, à partir de ce jour, ce chef rebelle rentra dans l’orthodoxie et ne cessa de collaborer avec le Chef du district. Chose qui ne s’était jamais vu, dès la fin de la saison des pluies, sans que je l’en ai sollicité, il procéda au désherbage des abords des rues et au nettoyage de tous les caniveaux. Pour la première fois, on eut une ville propre. De mon côté, je m’attachais à avoir un réseau routier impeccable. Dans le même temps, je remplaçais tous les bâtiments en briques de banco et couverts en paille par des bâtiments en béton couvert de tôles. »

 

(p269 à 271)

Histoire de Bagheera la panthère apprivoisée qui restera 1 année dans la famille.

Les enfants viennent partager les vacances d’été.

 

(p304)

« Pour être admis dans le groupe des hommes ou celui des femmes, il fallait en tout premier lieu, à défaut d’état civil, avoir atteint un certain développement physique. Il fallait en outre subir des épreuves, souvent très dures, en particulier pour les garçons. Elles variaient avec les ethnies. D’une façon générale, l’une d’elle obligeait les garçons à survivre pendant un mois en pleine brousse, sans aucune arme, et sans aucun ravitaillement. Cela peut paraître simple à de jeunes européens mais il faut imaginer qu’à l’époque, la brousse était infesté de fauves, de buffles, d’éléphants, de serpents tous venimeux, de phacochères, d’hippopotames, de rhinocéros, de crocodiles, de cynocéphales et … j’en passe. Ils ne pouvaient compter sur l’aide d’aucune personne de la même ethnie. Par ailleurs, ils devaient éviter d’être surpris par des hommes d’une autre ethnie. Pour eux, c’eut été la mort ou l’esclavage. Alors, si l’ont tient compte de tous ces facteurs, on comprendra que l’épreuve était très dur et comportait de nombreux dangers. A cette épreuve s’en ajoutaient bien d’autres. Ceux qui avaient satisfait à tous ces tests devaient être capable de griffer leur mère ou d’enfoncer leur doigt dans son sexe. Etc. 

Je connais peu les épreuves auxquelles étaient soumises les filles. Toutefois, je sais qu’à la fin des épreuves, elles étaient appeler à subir l’excision. Cette opération correspondait en fait à une mutilation car on les privait d’un organe sensoriel important. D’une façon générale, c’était le forgeron du village qui procédait à cette opération. Quelle a été la pensée qui a présidé à l’instauration de cette pratique ? Cela paraît difficile à imaginer. Toutefois, je suppose qu’on pourrait y voir un symbole puisque c’est la toute dernière épreuve qui précède l’admission au stade de femme. Mais il n’est pas impossible, il est même certain, à mon avis, que le mâle, dès l’origine, doit avoir sa petite idée sur la question ! En supprimant l’un des organes du plaisir, il a voulu s’assurer de fidélité de la part de la femme. Si la chose s’est passé de la sorte, on peut affirmer que l’excision est un acte doublement odieux et condamnable ! »

 

Mars 1956 : retour en France

 

« Quand le lendemain matin, j’aperçu la terre de France, morcelée en parcelles de couleurs variées, j’avoue avoir été saisi d’une très grande émotion. Cette vision représentait pour moi, depuis des temps reculés, la vie d’une race, d’un peuple, d’une nation. Ce spectacle faisait apparaître à mes yeux les qualités de nos paysans de cette belle terre de France, mais aussi les qualités de tous les citoyens de ce pays, courage, volonté, obstination, travail, labeur dure et pénible, économie aussi, volonté de vivre et faire vivre, obstination devant l’adversité etc. Et toutes ces petites maisons qui, là en bas, fumaient en cette froide matinée de mars, évoquait pour moi la famille, l’amour de cette famille qui est le fondement de toute société ! Plus loin apparurent les villes, les usines, les cheminées, les trains en marche. Quelles images extraordinaires de calme, de douceur, de vie heureuse, pour celui qui, pendant plus de deux ans a connu un pays dur et pauvre, et à perte de vue, des terres tristes, parce qu’elles sont en friches, où la vie frôle toujours la mort. Quels doutes, quelles déceptions pour nous, quel découragement, lorsqu’on a conscience d’avoir tout fait, tout tenté pour aider ces pays, que nous aimions cependant, d’avoir l’impression de ne pas avoir été compris, de ne pas avoir été suivi et de s’être battu en vain ! Et puis, sans m’en rendre compte, je revins à nouveau, par la pensée, vers cette terre d’Afrique, sur laquelle j’œuvrais, de toute mon âme, depuis 1936. »

« Une pensée revenait toujours lancinante, dans ma tête : nos enfants, nos enfants que nous avions laissés en  France, à huit ans. C’était certainement un déchirement pour eux, mais également pour nous. Ce devait être dur pour eux ! mais j’avais beaucoup trop connu de familles, qui, pour n’avoir pas eu le courage ou la volonté de s’éloigner de leur progéniture, avaient fait des « fruits secs » de leur enfants, des ignares et des naufragés de la vie. Il y a en outre, à les garder près de soi, un grand écueil pour les enfants dont le père occupe de haute fonctions. Ils trouvent normal d’être environnés de domestiques et de n’avoir qu’un mot à dire pour être servis. Ils trouvent normal de participer à des réunions et des réceptions, et d’être les bénéficiaires indirects de la considération et du respect dont le père fait l’objet. Ils ne réfléchissent pas, ils ne pensent pas, ils n’envisagent même pas l’avenir. Mais, petit à petit, ils arrivent à se complaire dans cet écrin doré et douillet, et sans en avoir conscience, ils finissent par admettre la pérennité de cette situation. »

 

../..

 

Octobre 1956 : retour à Fort Lamy puis affectation à Fianga

 

.../..

 

« Après quoi, mon prédécesseur quitta Fianga en direction de la France. Ce cher camarade était vraiment sympathique et d’une très agréable compagnie, bien qu’il fut un peu bohème. Il était courant de le voir avec un pantalon dont le bord était décousu et une chemise passée dessus le pantalon, dont les boutons étaient partis en vacances. Les Africains qui cependant, n’ont pas pour habitude d’être des « dandys », loin s’en faut, remarquèrent, dès mon arrivée, que j’étais impeccable dans mon uniforme ; ce qui leur fit dire : « maintenant nous avons un Commandant. »

 

Maintenant que j’étais en charge, il convenait que je n’oublie pas les consignes formelles , données par le gouverneur, à mon arrivée à Fort Lamy. Il m’avait dit :

 

-         Degoul, vous allez prendre le commandement de Fianga ! Il s’agit d’une part de reprendre, immédiatement,  la main sur vos administrés. Par ailleurs, je compte, totalement, sur vous pour battre tous les records de production cotonnière. N’oubliez pas que nous avons besoin de devises pour l’équipement du territoire.

 

Fort heureusement pour moi, il existait dans mon district un centre de recherche scientifique sur le coton. Je décidais donc de faire une retraite d’une quinzaine de jour dans cette cathédrale de la science. Je me rendis compte, très vite, que mes connaissances sur le coton et sa culture étaient plus que superficielles. Je pris connaissance d’un grand nombre de rapports sur les semis et le cycle évolutif de cette plante. Je me fis initier aux essais en cours et prenais des notes sur ce qui me paraissaient essentiel. J’appris que le fait de semer fin juin ou début juillet, comme la pratique était courante, faisait perdre obligatoirement 50% de la production.

 

Pour procéder au semis, les Africains portaient en bandoulière un sac de graines de coton. De la main droite, ils tenaient un gros bâton pointu du côté du sol. D’un coup sec, à l’aide de ce bâton, ils faisaient au sol, un trou, appelé « poquet ». Avec la main gauche, ils prenaient quatre graines de coton qu’ils laissaient tomber dans le poquet.

..

En respectant à la lettre toutes ces données, j’étais donc sûr d’être gagnant. (75 000 pieds hectare, bonne répartition par rapport à la terre, date de semis etc.) restait maintenant à régler le problème du personnel.

Je considérais personnellement qu’on devait jouer avec les cartes qu’on avait en main. J’estimais, en outre, qu’à condition de bien s’y prendre, on peut, toujours, obtenir le maximum de tous les hommes. J’obtins gain de cause de la part du Gouverneur. Dès ce moment là, je convoquai un par un les contractuels et leur tins ce langage :

 

-         Vous êtes en fin de contrat dont le renouvellement n’a pas été demandé pour des raisons que j’ignore. Toutefois, cela ne constitue pas un indice favorable. Cependant, je me porte garant  pour vous et si vous voulez bien suivre et exécuter les directives que je vous donnerai et faire équipe avec moi, vous pouvez me faire totalement confiance. Vos contrats seront renouvelés avec une sensible augmentation de votre salaire. Le Gouverneur m’a demandé de battre cette année les records de production cotonnière et je veux obtenir ce résultat. A bon entendeur salut !

 

Je parlai dans le même sens au seul conducteur appartement à un cadre. Ce programme établie, je les réunis tous et leur donnai des directives très précises sur les opérations à effectuer, et leur fixai un calendrier.

J’entrepris une tournée générale au cours de laquelle je pris contact avec tous les Chefs de canton et de village. A chacun d’eux, je parlais du problème du coton et des dispositions que j’avais prises pour obtenir le résultat. J’ajoutait que je comptais sur leur collaboration totale !

Je crois uniquement au prosélytisme de l’exemple ! Les choses allèrent leur train. Au 25 mai, toutes les terres étaient défrichées et prêtes à recevoir les graines. La superficie demandée à chaque cultivateur était d’un hectare. A cette même date, les graines avaient été distribuées à chaque planteur, avec consigne de semer à la première pluie de juin.

Ce fut un vrai succès. Aux premières gouttes d’eau, le coton prit aussitôt racine. On procédât ensuite au démariage. Il était important aussi de veiller à ce que les plants soit biner au moins trois fois. Les choses s’étaient déroulées telles que je les avais voulues et d’avance, je savais que je serai gagnant.

 

Le record de production du district de Fianga avait été de 3000 tonnes avec un rendement de 150 kg hectare, ce qui revient à dire que le coton produit ne payait pas le travail effectué. Or, pour l’année 1957, dans ce même district, la production cotonnière s’éleva à 12 000 tonnes, soit un rendement de 600 kg à l’hectare. Jamais on n’avait vu autant de coton. Les paniers regroupés autour des villages, en attendant les marchés, ressemblaient à des champs de neige. Pour une fois, les cultivateurs furent largement payés de leur travail et tout le monde fut content.

Dans ce même temps, je pensais qu’il devait être possible, sur un plan agricole d’obtenir des résultats bien plus spectaculaires encore, tout en diminuant l’effort et le travail humain.

Je me trouvais en effet, dans un pays exceptionnel, habité par une race exceptionnelle, les « Toupouris ». Chose rare en Afrique, j’avais affaire à une race de Noirs éleveurs. De ce fait, ils bénéficiaient d’un régime alimentaire égal et même supérieur à celui des pays européens les plus riches.. Ils étaient à la fois cultivateurs, éleveurs et pêcheurs. Ils avaient donc  en abondance du lait, de la viande, des céréales et du poisson. Alors que d’une façon générale, les Noirs souffrent d’une carence notoire en viande et en matière grasse. Aussi les « Toupouris » ont-ils des tailles d’athlètes. La taille moyenne des hommes se situe entre 1 m 90 et 2 m 20. Hommes et femmes vivent entièrement nus. Ils sont très beau à regarder.

 

Malheureusement, si les Toupouris étaient éleveurs , ils ne savaient pas tirer parti de leur bétail pour améliorer leur culture d’une part et diminuer leurs efforts d’autre part. Aussi, dès le départ, j’ai pensé qu’il fallait leur apprendre à faire et à stocker le fumier afin de l’utiliser comme engrais. Ensuite, il convenait de dresser des bœufs à la traction : traction de charrues et de charrettes pour le transport du fumier et des récoltes.

 

Avant toutes choses, je demandais au chef de Cantons le plus réceptif à tout ce qui touchait au progrès de me céder une superficie de terre suffisante pour y établir une ferme d’essais cotonniers. Compte tenu du fait que la couche de terre arable ne dépasse pas en Afrique 30 cm, je fis venir de France des charrues à un seul soc, retournant la terre sur une faible profondeur. Il importait de ne pas stériliser les sols. Je fis également l’achat de petites charrettes.

 

A part la fumure et la pulvérisation d’un produit insecticide lors du premier binage, toutes les opérations de la ferme furent accomplies en même temps que celles des villageois. Je dois également préciser qu’à l’époque du défrichement des terres, on a mis à la disposition de tous ceux qui en firent la demande, un moniteur, un bœuf et une charrette.

 

La production fut la même que l’année précédente, soit 12 000 tonnes soit 600 kg hectare. Par contre, la production obtenue sur les terres de la ferme dépassèrent les prévisions les plus optimistes, on obtint 4 tonnes hectare. Je fis constater les résultats obtenus à la ferme par les Chefs de canton, plusieurs Chefs de villages et plusieurs notable afin de leur faire admettre qu’avec l’usage de fumier, d’un labour attelé et d’une pulvérisation d’insecticide on pouvait obtenir, avec moins de travail que par le passé, une production presque 7 fois supérieure à la leur, cependant déjà bien améliorée par rapport au passé. Avec de pareil résultat, la culture du coton devenait une culture riche.

 

A cette époque, j’ai reçu la visite d’un ingénieur agronome russe en mission qui venait voir en Afrique les résultats obtenus dans la culture du coton. Il nous raconta comment le Soviet Suprême décida que l’URSS deviendrait un pays producteur de coton. Il chargea un groupe d’ingénieurs de chercher une région favorable à cette culture. Ce fut celle de la mer d’Aral. Ceci établi, le Soviet Suprême dépêcha l’armée pour chasser de cette zone tous ceux qui y habitaient. Après quoi, des charrues tractées mécaniquement préparèrent le terrain. Mais les difficultés commencèrent au moment de la récolte. La cueillette des capsules ne peut, en effet, se faire qu’à la main et il n’y avait plus demain d’œuvre sur place puisqu’on l’avait chassée. Le gouvernement n’hésita pourtant pas à faire appel aux anciens habitants qui refusèrent de venir récolter le coton. Devant leur refus, on leur envoya l’armée et les chars pour ramener par la force les anciens occupants, qui furent contraints d’effectuer la cueillette. La production obtenue était plus que correcte , elle était de 3 tonnes 500 à l’hectare… mais qu’en est-il du coût humain ? »

 

(p347)

« Personnellement, j’en été resté à la date du 23 juin, date à laquelle devait avoir lieu l’accouchement de notre quatrième enfant dénommé Robert. J’étais donc parti en tournée le 3 juin. J’avais décidé de me rendre aux sources de Mayo Kebi et à l’endroit où se produit le déversement du Logone, en hautes eaux. Cette zone n’est accessible que durant 3 semaines, à la fin de la saison des pluies. Le reste du temps, elle était totalement isolé du reste du monde. J’arrivais exactement à midi en bordure du Logone où était construit le village de pêcheurs. Le Chef du village vint m’accueillir. Il avait l’air joyeux et déclara : « Mon Commandant, je suis très content pour toi par ce que tu as gagné le garçon. » Je l’en remerciais chaleureusement, bien que je ne crusse pas à l’information que je pris pour un heureux présage. Or, je fus très surpris, deux jours après mon retour de tournée, d’apprendre qu’à la date du 3 juin, ma femme avait accouché d’un garçon nommé Robert. Ainsi donc, le téléphone de la brousse allait infiniment plus vite que le télégramme des PTT. Le village où j’avais appris la nouvelle se trouve environ à 600 Km de Fort Lamy et loin de toutes voies de communication….

Mais voyez-vous, le Tchad est rempli de choses étranges ! Ainsi, par exemple, ma femme, qui était partie à Fort Lamy pour accoucher et qui avait mis au monde un petit Robert, revint à Fianga, fin juin, accompagnée de quatre enfants. Quelle surprise ! Mais finalement, tout arrive à s’expliquer. En effet, nos trois aînés, en fin d’année scolaire avaient pris l’avion à Nice pour retrouver leur mère à Fort Lamy. Ce qui fait qu’en définitive, je fus tout heureux de retrouver mon épouse, ainsi que mes trois enfants et de faire la connaissance de notre dernier fils, qui me parut avoir une tête sympathique. »

 

(p351)

« Je reviens maintenant sur l’adduction d’eau de Fianga. Quelques jours après ma prise de service, j’examinais de plus près les travaux déjà entrepris. Voilà les constatations que je fis : La contenance du château d’eau était de 100 mètres cube. A partir du château d’eau, une tranchée avait été ouverte sur environ 1 km. Elle s’arrêtait à proximité de la où l’on avait creusé un puits. Dans la tranchée, on avait déjà placé une conduite en chlorure de vinyl. Elle n’était encore ni reliée au château d’eau, ni au puits. Le puits était situé environ à 50 mètres du lac dont il recevait l’eau par infiltration. Près de ce puits se trouvait une cabane fermée à clef. Elle contenait une pompe Guinard (haute pression) toute neuve et reliée au puits. Le dénivelé entre le château d’eau et le puits était d’environ 50m. Je fis exécuter un essai de pompage. Au bout d’une heure le puits était vide. Le débit de la pompe avait été de 4 mètres cube. J’arrivais donc aux conclusions suivantes.

 

-         La pompe me paraissait incapable de refouler l’eau du château d’eau.

-         En tout état de cause, en supposant que l’eau puisse y arriver, étant donné le débit de la pompe, cette dernière devrait tourner jour et nuit pour arriver à faire le plein du château d’eau. Un matériel qui tourne de façon ininterrompu s’use très rapidement.

-         J’ai contrôlé le débit du puits, il est de 4 mètre cube à l’heure. Mais à ce moment là, il est vide. Je n’ai pas vérifié le temps de son remplissage. Quoi qu’il en soit, il me paraissait en conséquence impossible d’alimenter normalement le château d’eau.

-         A mon avis, les conduites en vinyl ne tiendraient pas en raison de l’importance du champ magnétique dans cette région du globe terrestre.

-         Enfin, normalement, un château d’eau en béton doit être immergé, aussitôt que la prise est terminée, sous peine de se fendiller ou même de s’effondrer.

 

Lorsque l’ingénieur du Génie Rural vint me voir, je lui fis part de toutes mes remarques et de tous mes doutes. Avec beaucoup de nuances et beaucoup de précautions, il m’exprima quelque chose qui voulait dire : malgré toutes leurs connaissances, les Administrateurs ne sont tout de même pas omniscients, réflexion que j’avais déjà entendue ailleurs.  Je lui fit donc connaître que je lui confirmerai par écrit ce que je venais de lui exposer et que, quoi qu’il arrive, la SAP dont j’étais le président n’investirait pas de nouveaux fonds dans cette adduction d’eau.

Il s’est avéré, par la suite, hélas, que mes observations étaient parfaitement fondées. Ce fiasco donna lieu, dans le journal du Tchad à un article virulent intitulé : le scandale de l’eau à Fianga. A la suite de quoi, je reçu la visite de l’ingénieur en Chef du Génie Rural qui m’affirma qu’il trouverait les fonds nécessaires pour la réalisation d’un nouveau projet. »

 

(p356)

«  La maladie de loin la plus fréquente chez les bovins est la tuberculose bovine. A cette occasion, je dois relater un fait qui m’a profondément étonné, car il m’a appris que les Foulbés avaient découvert la vaccination animale bien avant Pasteur. Depuis un temps immémorial, lorsque dans les troupeaux se trouvaient des bêtes atteintes par la tuberculose, qui se signalait par un écoulement anormale du mucus nasal, ils taillaient, dans un bois très dur, une sorte de trocart. Sur ce trocart, ils recueillaient du mucus nasal, le soumettaient à une exposition solaire d’une certaine durée qu’eux seuls connaissaient. Sans le savoir, ils atténuaient ainsi la virulence du bacille. Ensuite, ils plongeaient le trocart dans le flanc de la bête malade. Par ce procédé, ils arrivaient à sauver un certain nombre de bêtes, c’était une vaccination ! »

 

(p358)

« Comme partout où je suis passé dans ma carrière, j’avais pour Fianga un programme de construction de puits. En ai-je construit des puits ! Aussi, je connaissais toutes les techniques utilisées en fonction de la nature du terrain : du puits Friring pour les sols mouvants, jusqu’aux puits forés dans la roche avec utilisation de la dynamite. Il faut dire qu’en Afrique, le problème de l’eau est crucial. J’ai connu moi même tout au long de ma carrière la hantise de l’eau. Chaque jour, je me demandais si j’aurais de l’eau pour le lendemain.

Il y avait sur le territoire de Fianga, sur la rive gauche du lac, un village nommé « petit Saïka » auquel je tenais à toute force à donner de l’eau. Les femmes accomplissaient en effet environ dix kilomètres (vingt aller-retour) pour s’approvisionner en eau.

Je confiais, exceptionnellement le travail de forage, en régie, à un petit entrepreneur français, installé sur place. Et je chargeais un ingénieur des Travaux Ruraux de suivre et de contrôler ce travail, à charge de m’en rendre compte. Au cours de l’une de mes tournées, je fis halte à Petit Saïka pour voir ou en était le travail. M’étant rendu sur place, j’eus la grande surprise de voir que le chantier était arrêté. On était en train de déménager le matériel. Je m’adressai à l’entrepreneur qui, fort heureusement, se trouvait là, et lui demandai des explications. Il me dit : « Nous sommes à 14 mètres. On est arrivé au rocher, sans qu’il y ait la moindre trace d’humidité. Alors l’ingénieur m’a demandé de tout arrêter et d’enlever mon matériel.

« Ecoutez, je n’ai été tenu au courant de rien et je n’admets pas que quelqu’un prenne des décisions à ma place, sans m’en avoir rendu compte. Moi, je vous donne l’ordre de réinstaller votre matériel et de reprendre le travail. Je suis personnellement convaincu qu’on arrivera très prochainement à la nappe. Seulement, je vous demande d’être très vigilant. Je vous conseille de laisser en permanence la nacelle au fond, au côté de l’ouvrier qui creuse. Veilliez aussi à ce qu’il y ait à tout moment, un manœuvre à proximité du treuil, afin d’éviter toute surprise.

L’équipe descendit petit à petit dans le rocher jusqu’à 20 mètres et tout à coup se produisit ce que j’avais prévu. Le manœuvre du fond appela au secours et aussitôt le treuil se mit en marche. Et l’eau montait à l’allure de la nacelle. L’ouvrier du fond dut abandonner son pic, sa pioche, sa pelle et son seau. L’eau suivit la nacelle jusqu’en haut du puits et se déversa abondamment à l’extérieur. C’était un puits artésien. L’entrepreneur n’en revenait pas et les habitants du village dirent que j’étais un sorcier. La certitude de ma réussite était basée sur le fait que le Mont Doré était un ancien volcan, tout au moins d’origine volcanique. A vol d’oiseau, il y avait environ 5 Km entre le Mont Doré et le village de Saïka. Il était à mon avis hors de doute que depuis la base de ce mont existaient des plaques de roches volcaniques qui devaient s’étendre assez loin aux alentours. Dans un cas semblable, l’eau qui tombe sur la montagne s’insinue sous les plaques. Accumulée au dessous, elle est douée d’une importante pression et ne demande qu’à jaillir.

Il se trouva que mon résonnement se fut avéré exact, j’en fus très heureux, mais j’étais en outre content d’avoir réussi à donner de l’eau à une population qui en manquait depuis des générations. »

 

(p362)

J’ai dit ce qu’on m’avait demandé de réaliser lorsque je fus affecté à Fianga à mon retour de congé. J’ai dit également quel était le personnel à ma disposition et quelle était sa situation. J’ai demandé son maintien sur place et je m’étais porté garant pour lui. Je n’ai jamais eu à le regretter, bien au contraire. J’ai remarqué, tout au long de ma carrière, que toutes les fois qu’on confie à un homme des fonctions au dessus de sa condition, on le transforme et on modifie complètement son caractère et son comportement. En se découvrant, en prenant conscience de sa vrai valeur, de ses vraies capacités et de ses possibilités, il devient un autre homme et ses relations avec son métier sont complètements modifiées. C’est à cela qu’on reconnaît le Chef, le Patron. Malheureusement, des Patrons, il y en a beaucoup, mais rares sont ceux qui sont dignes de ce nom avec un grand P majuscule. Le Patron, c’est celui qui sait faire confiance à ses hommes et avoir avec eux des relations de collaborateurs et non de subordonnés, des relations de confiance et non de suspicion !

 

(p367)

 

-         « Degoul, vous constituez pour moi une énigme ! Le Gouvernement du Tchad a récusé la presque totalité des jeunes Administrateurs que la France a mis à sa disposition, aussi les plus anciens ont été remis à la disposition de la France. Or maintenant vous êtes le plus ancien au Tchad. Vous avez eu un moment ou à un autre tous les ministres actuels sous vos ordres, y compris Monsieur Toumbalbaye. A un moment ou à un autre, vous avez été amené à les juger, à les condamner et à les mettre en « tôle ». Et cependant, vous êtes le seul au Tchad à avoir une solide position et à ne pas être contesté. Alors, je ne comprends pas !

 

-         « Eh, bien Monsieur l’Ambassadeur, je pense être à même d’éclaircir ce que vous dénommez une énigme. Lorsque j’ai débuté dans ma carrière, il y a maintenant pas loin de vingt cinq ans, devant mon bureau, j’avais toujours deux fauteuils pour recevoir ceux qui me demandaient une audience ou ceux que j’avais convoqué. Lorsque que quelqu’un pénétrait dans mon bureau, Européen ou Noir de la brousse, souvent assez primitif, je me levais pour l’accueillir, je lui serrais la main et je le faisais asseoir. Lorsque je convoquais des Africains pour une infraction commise ou un délit, la convocation que je leur adressais comportait les mêmes formules de politesse que j’aurais employé pour n’importe quel Européen. Comme ils étaient illettrés, ils se trouvaient dans l’obligation de se faire traduire le contenu de mes convocations et je sais qu’ils étaient très sensibles à ces marques de respect. Je sais qu’ils disaient : « Quand le Commandant nous convoque, c’est parfois pour nous traduire devant le tribunal, mais il est toujours très poli envers nous. » Par ailleurs, je pense avoir été de loin le premier à avoir invité à ma table quelques Africains qui se détachaient très nettement du lot par leur intelligence, par leur conscience professionnelle, par leur recherche de la culture. Je ne le faisais pas démagogie. J’ai été de loin le premier à recevoir à la résidence des Chefs et des Notables Africains à l’occasion de réceptions que j’organisais, et où était également invitée la colonie Européenne. En ce temps, je fus à ce sujet l’objet de nombreuses critiques dont je me souciais guère. Je suppose que je récolte, maintenant, les fruits de mon comportement et de la considération que je me suis toujours appliqué à accorder aux Noirs. : s’ils étaient incultes et primitifs, ils n’en étaient pas moins des hommes ! Il est primordial, à mon avis, de se faire humble avec les humbles, car ils ne vous pardonnent pas la morgue et l’insolence dont vous pouvez faire preuve à leur égard »

 

Nous quittâmes donc Fort Lamy le 22 juin 1958 pour un congé de 6 mois mais moins de 3 mois plus tard, je dus repartir pour le Tchad. Un ordre général était donné à tous les Administrateurs en congé d’avoir à rejoindre le poste qu’ils occupaient avant le départ. En effet, le référendum proposé par le Général De Gaule aux Territoires d’Outre Mer, devait se dérouler le 28 septembre 1958. Par ce référendum, la France proposait à ses territoires d’Outre Mer leur autonomie pleine et entière. Plusieurs solutions leur étaient données. Ils pouvaient demander soit d’être maintenus dans leur ancien statut, soit d’acquérir leur autonomie tout en conservant un lien avec la France. Dans ce cas là, ils acceptaient de faire parti d’un système politique qui porterait le nom d’Union Française, calquée sur le système des Dominions anglais. Ils auraient alors droit à la double nationalité. Ils pouvaient enfin choisir l’autonomie pleine et entière, mais demander à sortir de la zone Franc ; ce fut le cas de la Guinée, qui lia son sort à celui de l’URSS. Je m’embarquais donc à Nice le 6 septembre pour débarquer le 7 à Fort Lamy.

 

Dès mon retour à Fianga, et jusqu’au référendum, je passais tout mon temps en tournée. Je devais en effet expliquer à tous et partout ce qu’était le référendum et quelles étaient les diverses solutions proposées par la France aux TOM. Le Tchad demanda à conserver des relations avec la France. Mais dès ce moment, le Tchad, qui avait déjà un gouvernement, du fait de son autonomie interne, eut en plus un Président de la République, en raison de son autonomie externe. Ce fut Monsieur Toumbalbaye qui fut élu avec une énorme majorité. Dès ce moment, je devins un Administrateur hors cadre. Toutefois, afin de parer aux tentations de brimades qu’auraient pu avoir les Gouverneurs locaux à l’égard des Administrateurs, le Gouvernement français prenait à sa charge leur traitement.

 

Malgré ces changements, le rôle des Administrateurs ne changea pas. Leur autorité fut la même que par le passé. Seulement, les rapports économiques, politiques et agricoles mensuels et annuels qu’ils adressaient précédemment au Gouverneur du Territoire furent adressés désormais au Premier Ministre. Toutefois, ce changement, fort important, qui conférait l’autorité à un Président de la République Noir et à un groupe de Ministres Noirs, sembla à certains Noirs ambitieux de pouvoir permettre de se débarrasser facilement des Administrateurs pour se mettre à leur place, par le moyen de la dénonciation calomnieuse. Heureusement que mon passé ne permettait pas de doute sur mon intégrité. »

 

Septembre 1959 : Retour en France

 

début 1960 : affectation à Kanem (Nord Tchad)

 

(p374)

«  Je fus chargé de l’intérim des fonctions de Préfet du Kanem (autrement dit de Chef de Région du Kanem). Cette région comportait 4 districts : ceux de Mao, de Moussoro, bâti sur le bord de l’ancien lit du Barh el Gazal, de Bol situé au bord du lac Tchad, enfin du district nomade de Nokou. Du fait de mes nouvelles fonctions, je fus emmené à visiter tous ces districts. »

 

(p377)

« J’ai pu voir il y a peu de temps à la télévision, la remise d’une pompe mécanique, destinée au puisage de l’eau à un Chef de village du Niger. (cadeau de l’organisation du rallye Paris Dakar). Ce Chef de village remerciait chaleureusement les donateurs mais ajoutait : «  Malheureusement, nous ne connaissons rien à la mécanique et lorsque cette machine tombera en panne, nous serons gros-jean comme avant ! Nous ne demandons pas de matériel perfectionné. Nous demandons, seulement, que l’on nous redonne nos anciens puits. (autrement dit, ceux que les Administrateurs ont construit par dizaine de milliers. Mais il se trouve que les utilisateurs n’ont pas compris que les puits, comme toute chose, nécessitaient un entretien régulier). J’avoue avoir été heureux de la réponse de ce Chef de village. »

 

«  Je pense qu’il n’est pas sans intérêt de relater ici deux incidents symptomatiques. Après le référendum du 28 septembre 1958, l’autonomie interne fut donnée au Tchad. Dès que les tribus nomades en eurent connaissance, elles crurent que cet événement entraînait, de facto, le départ de tous les Français. Aussitôt, et sans aucune concertation préalable, elles convergèrent vers Fort Lamy, à force de chameaux. Fort heureusement, le Gouverneur en fut informé et prit immédiatement des dispositions pour interposer des troupes françaises. Lorsque les nomades se présentèrent au contact de nos troupes, le colonel les apostropha ainsi :

-         Eh, où vous allez si vite ?

-         Nous avons appris que les Français partaient du Tchad, alors nous allons régler nos comptes aux esclaves ! (aux Noirs) Le colonel leur dit :

-         Il est exact que l’autonomie interne a été donné au Tchad ! Mais rien n’est changé pour ce qui concerne les Français, la preuve, c’est que nous sommes encore là !

-         Ah, bien, alors il n’y a aucun problème, nous retournons vers nos tentes !

 

S’ils acceptaient sans difficulté l’autorité des blancs, ils ne pouvaient admettre de se trouver un jour sous les ordres des Noirs qui, soixante ans avant, avaient été leurs esclaves.

 

Lors de mon arrivée à Fort Lamy, le Tchad venait de se voir conférer l’autonomie externe, Autrement dit, il avait alors l’autorité pleine et entière sur l’administration du pays y compris sur les relations avec les autres pays du monde. Exactement, au moment ou je parvenais à Mao, où je venais d’être affecté, le Gouvernement du Tchad venait d’être informé, d’une part par l’ONU, d’autre part par le Président de la République Française, le Général De Gaule, que les tribus nomades du Nord du Tchad venaient de les saisir d’une requête par laquelle elles demandaient à demeurer sous l’autorité de la France. Je me demande jusqu’à quel point je n’ai pas été soupçonné d’être à l’origine de ces démarches car je fus assaillis de télégrammes sur chiffrés par lesquels on me demandait toutes sortes d’explications et de justifications.

 

Personnellement, je ne fus pas surpris de la réaction des tribus Nomades. Elle était dans la logique des choses. En aucune façon, les Nomades ne voulaient être subordonnés aux Noirs. Je les ai encore mieux compris, lorsque je les ai mieux connu. Par leur port, par leur maintien, par leurs attitudes, par leurs paroles, par leur distinction naturelle, j’ai découvert, en effet, de vrais seigneurs. Alors qu’en pays Noirs, les écoles s’étaient rapidement multipliées, alors que tous les enfants noirs ou presque étaient alphabétisés, il est infiniment regrettable qu’on n’est jamais rien fait pour les enfants des Nomades, parce que justement, ils étaient Nomades. Et pourquoi ils étaient Nomades ? Parce qu’ils étaient éleveurs. Pour les pâturages et pour l’eau, ils étaient condamnés à suivre leurs troupeaux dans un pays infiniment dur et démuni.

 

Dans la zone saharienne du Tchad, nombreux étaient les groupes nomades Libyens. Dans les centres comme Mao, c’était encore des Libyens qui tenaient le commerce. Bien que ces étrangers soient pacifiques et se soumettent sans problème à l’autorité du Tchad, leur nombre pouvait, à un certain moment donné, poser des problèmes, pour peu qu’ils soient soumis à une influence venant de leur pays d’origine. C’est pour étudier cette situation que je fus amené à présider une conférence, composée des responsables tant civils que militaires. Elle se tint à Moussoro où stationnait une compagnie de tirailleurs. »

 

../..

 

« A quel que temps de là, je fus informé par télégramme officiel, de la venue à Mao du Président de la République Tchadien. Il n’était autre que Mr Toumbalbaye, ancien Président du PTT, avec lequel j’avais rompu pas mal de lances, quelques années avant, lorsque j’étais Chef de district de Fort Archambault. Je dois dire que, malgré tout, nous avions l’un pour l’autre une certaine estime. Mr Toumbalbaye n’était jamais venu dans la zone saharienne du Tchad. Il ne connaissait pas, de ce fait, ce peuple de Nomades, tous Musulmans, qui en bloc l’avaient récusé. C’est pourquoi, je tins à donner à cette réception une certaine solennité et un certain faste. Mr Toumbalbaye arriva par voie des airs, c’est à dire par « Broussard », petit avion militaire de reconnaissance, le seul susceptible de se poser sur la piste de Mao. Il était accompagné de son Directeur de Cabinet. En grand uniforme, je l’accueillis à sa descente d’avion. Mon peloton de méharistes était là pour lui rendre les honneurs.

 

C’était de loin la plus belle garde du Tchad. Elle était composée de deux cent méharistes, en uniformes sahariens, montés sur leur chameaux. Je lui fis la présentation des corps constitués, puis en ma compagnie, il passa en revue le peloton de gardes. Après quoi, nous montâmes en voiture pour rejoindre Mao. Sur les trois à quatre kilomètres qui nous séparaient de la ville, tous les cinquante mètres, de part et d’autre de la piste, se trouvait un chamelier immobile sur sa monture. Au fur et mesure de notre passage, ils quittaient leur emplacement et venaient se placer à l’arrière du peloton de gardes. Le spectacle était vraiment exceptionnel et Mr Toumbalbaye en fut vraiment impressionné. Il me demanda comment, en si peu de temps, j’avais pu rassembler une telle foule, répartie sur un territoire aussi immense que celui de la région de Mao. Il n’était, cependant pas au bout de ses surprises. A l’arrivée à Mao, nous nous arrêtâmes sur l’immense place, sur laquelle la foule musulmane avait l’habitude de célébrer les grandes fêtes religieuses. Elle était toute blanche de gandouras et de chèches et entourée de milliers de chameaux. Nous descendîmes de voiture devant la tribune que j’avais fait construire spécialement. Mr Toumbalbaye monta à la tribune et je vins me placer au près de lui. De là, il put facilement haranguer la foule. Il savait s’exprimer et j’eus l’impression qu’il réussit à capter l’attention, les esprits et même les cœurs. J’en eus confirmation par la suite.

 

Lorsque enfin, nous arrivâmes à la résidence, nous causâmes comme de vieux amis. Je lui rappelais les passes d’armes que nous avions eu ensemble à Fort Archambault. Je lui dis combien j’avais été touché qu’il soit venu me saluer avant mon départ.

 

-         Vous savez, Monsieur le Président, je peux vous le dire maintenant, votre présence ce jour là sur le terrain d’aviation et ces paroles que vous m’avez adressées me paient de toutes mes peines, de toute ma fatigue, de tous mes doutes. Aussi derrière mes grosses lunettes noires, deux larmes ont-elles coulé !

 

Puis nous parlâmes de choses et d’autres. Il finit par me dire :

 

-         Monsieur Degoul, lorsque vous étiez à Fianga, vous avez accompli un miracle. Sans bruit, sans menace, sans aucune coercition, pendant 2 ans, vous avez plus que quadruplé la production de coton. Personne n’avait réussi ce prodige avant vous, personne n’a pu le renouveler après vous. Personnellement, je comprends l’intérêt que représente la production de coton pour le développement du Tchad. Depuis que je suis devenu responsable de mon pays, j’ai tout essayé pour renouveler votre miracle. J’ai essayé la menace et même la force. Rien n’a pu y faire. Je n’arrive pas à comprendre comment vous avez pu procéder. !

 

Je mis ensuite la conversation sur les chefferies coutumières. J’en profitais pour lui faire part de ce que je pensais de sa politique à ce sujet, qui consistait à destituer tous les chefs coutumiers, tant les chefs de villages que les chefs de cantons.

 

-         Je sais bien lui dis-je que vous les avez remplacé par des délégués politiques. Toutefois, ces derniers n’auront jamais l’autorité qu’avaient les plus mauvais d’entre les chefs, car ils étaient dépositaires de la coutume. D’autre part, ce n’est pas à vous que j’apprendrais que les chefs avaient aussi un rôle social. Qu’une femme devînt veuve et restât seule avec ses enfants, le chef du village lui donnait immédiatement une case dans son tata et lui assurait la nourriture. Qu’un enfant devînt orphelin, il était immédiatement pris en charge par le chef qui le confiait à l’une de ses femmes. Qu’un étranger en déplacement parvînt en fin de journée, dans un village, c’était encore le chef qui lui assurait le vivre et le couvert. Enfin, le chef réglait, entouré de ses assesseurs, les petits conflits qui pouvaient exister entre deux familles ou deux villageois. D’une façon générale, leurs sentences étaient respectées. Je limite là, l’énumération des services qu’assuraient les chefs, vous les connaissez mieux que moi. Jamais vos délégués ne rendront les mêmes services, ne serait-ce que pour la raison qu’ils sont des délégués politiques et que de ce fait, ils sont contestés par une grande partie de la population. Cela vous n’êtes pas sans le savoir, vous êtes un homme bien trop avisé ! Mais voilà, c’est justement parce que vous connaissiez la réelle autorité des chefs que vous avez craint qu’elle ne constitue un obstacle à la marche en avant de votre pays, votre but et votre ambition est tout a fait louable cependant ! je connais présentement une grande partie du Tchad. J’ai vécu quotidiennement au près des populations. Je peux donc avoir un point de vue valable sur ces problèmes. C’est pourquoi, je pense pouvoir vous dire que vous avez commis une grossière erreur en supprimant une institution aussi vieille que le monde. Ce faisant, vous avez déstabilisé des populations qui avaient l’habitude de s’en remettre aux Chefs, pour toutes sortes de décisions à prendre. Je connais personnellement bon nombre de Chefs, tant à Fort Archambault, qu’à Kourma et à Fianga qui sont des hommes intelligents et ouverts au progrès, dans tous les domaines. Si vous les aviez maintenus à leur place, si vous leur aviez parlé, ils auraient été, à mon avis, vos meilleurs auxiliaires, d’autant que je ne vous apprendrais pas que les Africains n’acceptent de se soumettre qu’à l’autorité d’un Chef appartenant à la même tribu que la leur. Votre influence en eut été grandement renforcée. Mais je pense qu’il n’est pas trop tard pour faire un pas en arrière. Je me permets de vous suggérer de ré introniser quelques-uns des chefs les plus brillants d’entre eux, tel que Taguina, chef du canton de Mao, à Fort Archambault, le chef du canton de Bediondo à Kourma, le chef de canton de Dooua à Fianga.

 

 

Le président Toumbalbaye m’écoutait avec beaucoup d’attention. Par la suite, j’eus l’occasion d’apprendre qu’il avait redonné leur place aux Chefs que je lui avait désignés. Une des grandes qualités de Mr Toumbalbaye tenait au fait qu’il savait allier l’intelligence au bon sens, qualité assez rare. Le lendemain, il regagna Fort Lamy. Avant qu’il ne montât dans son « broussard », nous nous serrâmes la main comme deux vieux amis. J’avoue avoir été profondément attristé lorsque j’appris son assassinat, quelques années plus tard !

 

(p383)

« Le Kanem est une immense région située à la limite du sahel et du désert.

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, lorsque, pour la première fois, on aborde ces zones particulièrement arides, on est saisi d’une sorte d’exaltation, semblable à celle de l’homme qui découvre l’océan. Ce fut, en tout cas, ma première impression.

En y réfléchissant, la chose semble s’expliquer. Ces deux étendues, apparemment sans limite, troublent l’imagination. Toutes deux évoquent le mystère, des images floues de dangers étranges et latents ; toutes deux font naître dans l’esprit un certain sentiment de peur, et en même temps, cependant, l’envie de connaître et d’aller voir, envers et contre tout. C’est l’attrait de l’inconnu et de l’aventure, qui, de toute éternité, a hanté l’esprit de l’homme.

Paradoxalement, cette ambiance qui pourrait être débilitante, a forgé à l’homme du désert une âme de seigneur ; il semble ignorer le mot « peur » et celui de « mort » ; il a dans son comportement et dans son attitude une grande noblesse, quelques puissent être les circonstances. Il a ses règles de l’honneur, qu’il ne transgresse jamais ; il a également un sens aigu de l’hospitalité.

 

1960 : retour en France

 


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