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La vérité, c’est qu’on ne sait nommer
ce qui nous pousse.
Lorsque le désir résiste
aux premières atteintes du bon sens,
on lui cherche des raisons.
Et on en trouve qui ne valent rien…
Extrait de Nicolas Bouvier dans l’Usage du Monde


Citation :
L'Afrique sans la France,
c'est comme une voiture sans chauffeur
La France sans l'Afrique,
c'est une voiture sans carburant
Omar Bongo


Pétition :
"Justice pour Thomas Sankara,
Justice pour l'Afrique"






18 février 2010 4 18 /02 /février /2010 16:17

Juillet 1961 : SIBITI (Congo)

 

Mon congé en France se prolongea pendant un an. A l’expiration de ce temps, je fus mis à la disposition du Ministre de la coopération qui me plaça en position de service détaché et me mit à la disposition du Gouvernement du Congo (Brazzaville) que je rejoignis le 23 juillet 1961. Le président Fulbert Youlou était alors Président. Depuis 2 ans déjà, il avait pris la décision d’africaniser les fonctions de Chef de district. Si cette décision fut appréciée des bénéficiaires d’une façon générale, elle fut fort mal accueillie par la majorité de la population. Cette dernière envoya, d’un peu partout des délégations à Brazzaville, pour obtenir l’annulation de cette mesure. Mais le Président Youlou ne voulut rien entendre. Dans les premiers mois de l’année 1961, le Président de la République du Congo parla de confier les fonctions de Chef de région à des Congolais. Le projet souleva, à travers tous le Congo, plus que de l’émotion. Ce fut presque une révolution. Bien qu’il n’exista à l’époque aucun groupement ou association ou syndicat, de tous les points du Congo, de toutes les ethnies, des délégations convergèrent vers Brazzaville. Elles se firent recevoir par Mr Youlou. Toutes tirent à peu près le même langage :

 

-         Il y a deux ans, tu as voulu confier les fonctions de Chef de district à des Congolais. Nous n’étions pas d’accord, mais tu n’as pas voulu nous écouter. Et maintenant, tu parles de nommer des Chefs de région congolais. Nous ne pouvons accepter cela. Des Chefs de district congolais, c’est déjà beaucoup. Nous ne pouvons admettre que les Chefs de régions soient également congolais. Si la chose devait arriver, qui est-ce alors qui nous rendra justice.

 

Devant une pareille opposition, Fulbert Youlou recula et décida de demander à la France de mettre des Administrateurs à sa disposition. C’est ce qui me valut de partir. A mon arrivée, je fus informé que j’étais nommé Chef de la région de Bouenza Louesse, ou plutôt Préfet car c’était la nouvelle appellation décidée par le président Youlou. Je pris l’avion de Brazzaville à Dolisie qui était également une station de chemin de fer de la ligne Congo-Océan. Cette dernière reliait les port de Pointe Noir à  Brazzaville.

Lorsque je parvins à  Sibiti, je fus l’objet de grandioses manifestations auxquelles j’étais loin de m’attendre. La population qui était déjà informée de mon arrivée me fit une réception délirante. Elle était tellement heureuse de la venue d’un Administrateur Français qu’elle laissa éclater sa joie. Je remerciais chaleureusement la foule. Mais je dus l’inciter à plus de calme et  de modération.

«  Je ne voudrais pas dis-je, qu’à Brazzaville, on puisse supposer que j’ai l’intention de proclamer la République de Bouenza Louesse dont je serais le président. Bien que Français, vous devez me considérer comme un fonctionnaire congolais qui représente ici votre Gouvernement et votre Président de la République. Alors, si vous le voulez bien, nous allons ensemble nous mettre au travail et œuvrer pour le plus grand bien du Congo. Durant tout mon séjour parmi vous, je serai à votre disposition pour accueillir vos suggestions et vos propositions. »

 

(p398)

« le café »

« L’une des ressources les plus importantes au Congo vient de l’exploitation de la forêt. Toutefois, cette activité est réservée aux seuls Européens. Elle nécessite, en effet, un capital très important et dépasse de beaucoup les moyens de l’Africain le mieux nanti. Le bois de beaucoup le plus recherché et le plus exploité est le « limba ». C’est un bois de nuance très clair. La demande la plus forte vient de l’Allemagne. Des quantités énormes sont expédiées à Hambourg. Le repérage de leur peuplement se fait d’avion par photographies infrarouges. Après l’avoir repéré, l’exploitant doit ouvrir des routes avec des bulldozers, afin de pouvoir procéder à l’abattage et à l’évacuation des billes. Aussitôt que l’exploitation d’un site est achevée, la route devient la propriété du gouvernement du Congo. »

« Le Latex »

 

(p401)

« J’avais déjà effectué la moitié de mon séjour, lorsque je fus informé, par la voie officiel de la visite du président Fulbert Youlou. »

« Le Président Fulbert Youlou nous quitta vers 16 heures en direction de Dolisie, chef lieu de région. Mais auparavant, s’adressant à moi à brûle pourpoint, il me dit :

 

-         Ah, Monsieur l’Administrateur, il faut que vous me donniez 5 millions.

-         Monsieur le Président, je souhaiterai pouvoir vous donner cette somme. Cela prouverait au moins que je suis riche mais c’est loin d’être le cas .

-         Non, monsieur l’Administrateur, il n’est pas question de cela. Vous m’avez mal compris. Je vous demandais simplement de donner l’ordre à votre Agent Spécial (comptable du trésor) de me remettre cette somme !

-         Je regrette infiniment, Monsieur le Président mais la chose est matériellement impossible et sous aucun prétexte, je ne peux donner un ordre pareil !

-         Mais enfin Monsieur l’Administrateur, je suis le Président du Congo, c’est à dire le Chef de tout le Congo ! j’ai bien le droit, en tant que tel, d’exiger lorsque j’en ai besoin que l’Agent Spécial me remette la somme que je demande !

-         Monsieur le Président, vous êtes le Chef d’un état qui est régit par des règles que vous avez le premier le devoir et l’obligation de respecter et de faire respecter.

 

Il n’insista pas mais sembla se considérer comme victime d’une offense personnelle.

«  Trois mois environ avant la fin de mon séjour, je contractais une broncho pneumonie avec rechute un mois après et se déclaraient les premières crises d’asthme de ma vie. Je sollicitais mon rapatriement auquel je pouvais, du reste, prétendre après deux ans de séjour. Je fus donc le dernier Administrateur français à servir le Congo. »

 

Juillet 1963 : retour en France

 

«  Avant l’indépendance, les Africains qui en faisaient la demande, se voyaient accorder un permis d’achat de fusil à canon lisse. Pour eux, il n’existait pas de permis de chasse en raison même de l’abondance de la faune. Par contre le permis de chasse pour les détenteurs d’un fusil à canon rayé était assez élevé. Seul les européens pouvaient l’obtenir d’autant que l’achat d’une arme lourde représentait une vraie fortune. Aussi, il existait une réglementation stricte qui interdisait d’abattre plusieurs animaux (buffle, girafe, antilope,éléphants… ). Le chasseur ne pouvait abattre un jeune animal, à plus forte raison une femelle… Ces règles, du reste, satisfaisaient parfaitement les européens. Ils ne chassaient pas en effet pour la viande, mais bien plutôt pour les trophées. En outre après avoir tué un animal, les chasseurs devaient se présenter au district voisin et payer un droit d’abattage. C’était là une formalité sans laquelle ils ne pouvaient obtenir un certificat d’origine qui permettait d’exporter son trophée. La fraude n’existait-elle virtuellement pas.

Un mois avant mon départ, le Président Youlou pris la décision d’autoriser tous les Africains à posséder une arme lourde sans aucune condition et sans permis. Aussi dans le dernier rapport politique que j’adressais au Gouvernement, j’exprimais les plus grande réserve concernant cette décision. J’émettais l’avis que cette mesure était le prélude à l’extermination de la faune, en rappelant que la chasse avait constitué jusqu’à lors une des recettes importantes du budget. Par ailleurs, le tourisme injectait, annuellement, des sommes appréciables dans l’économie locale. Je concluais en disant : «  Et quand il n’y aura plus de gibier à tuer, à quoi serviront les armes ? Le Gouvernement risque alors de regretter vivement la décision prise aujourd’hui. »

Monsieur Foulbert Youlou dut se réfugier un peu plus tard en Espagne.

 

Après mon retour en France, par mon ami Kounkou, j’eus des nouvelles du congo. C’est de cette façon que j’ai pu apprendre l’installation progressive de l’anarchie dans le pays. Le Gouvernement fit appel successivement aux Chinois, puis aux Russes, enfin aux Cubain. Dans chaque village, les gamins furent armés. On leur confia le droit, pour ne pas dire l’obligation d’ arrêter et de contrôler tous les véhicules qui traversaient le village. La situation devint très grave. Tout le monde avait tous les pouvoirs »

A la lecture de ces informations, je pensais souvent à la sagesse du Président Toumbalbaye au Tchad. J’étais un jour de conférence avec lui dans son bureau. Plusieurs membres influents de son entourage demandèrent à le voir. Il les reçut en ma présence. Ces derniers lui firent grief de continuer à entretenir des relations amicales avec la France. « Vous devez  tourner le dos à la France et faire appel à d’autres puissances. Vous obtiendrez beaucoup plus. Du reste, nous savons que vous avez reçu des proposition alléchantes et concrètes. Alors pourquoi n’acceptez vous pas ce que l’on vous offre ? »

Toumbalbaye leur répondit : « Messieurs, la France, spontanément, nous a donné l’indépendance, ce n’est pas pour nous imposer à nouveau le joug colonial. Les autres puissances, par contre, nous font des propositions mirifiques, c’est vrai ! Mais si nous les acceptons, elles auront tôt fait de nous imposer un régime néo-colonialiste, dont il sera difficile de ce défaire. »

 

Juillet 1966 : Kinshasa

 

 

(p410)

«  Je demeurais durant 3 ans à ronger mon frein avant de recevoir une nouvelle affectation. Enfin, le 3 septembre 1966, j’embarquais à Nice pour Kinshasa. J’avais été mis à la disposition du Gouvernement sur sa demande comme conseiller technique. » 

« Très vite, j’ai été amené à constater que toutes les fonctions de direction étaient tenues par des Français. C’est ainsi que nous étions environ une quarantaine d’Administrateurs français pour faire tourner la maison. Il en était de même dans les services techniques : tous les ingénieurs étaient Français. Le service de santé ne faisait pas non plus exception. Seuls, les emplois subalternes étaient encore tenus par des Belges. Il était du reste évident que les Noirs du Zaïre manifestaient une très grande sympathie pour les Français.

 

La population locale paraissait avoir conservé un très mauvais souvenir de l’administration belge. Elle semblait ne pas avoir oublié les exactions dont elle avait été victime.

C’est à Kinshasa que, pour la première fois, j’ai pu avoir des contacts fréquents et quotidien avec des Belges. Force m’a été d’avoir confirmation de la réputation qui leur est faite. Il est évident qu’ils sont vraiment lourd ! …

( orgueil, vanité, spéculation…) (le clergé au pouvoir…)

«  Après la révolution, et l’indépendance, beaucoup de Belges ne sont pas revenus. Toutefois, le Zaïre est un territoire très riche en minerais et en pierres précieuses. Il possède notamment le plus grand gisement de cuivre au monde. Il est donc normal et logique que tout le personnel d’encadrement de ces exploitation ait repris sa place. La tempête passée, les ordres religieux sont également revenus en force et on n’imagine pas leur nombre et leur variété. Dans un but d’illustration, j’en citerais quelque uns…. (plus de 100)

 

« J’en reviens maintenant à l’indépendance et à la période qui a suivi. C’est en 1960 que l’ancien Congo Belge accède à l’indépendance, sous le nom de Zaïre. Inutile de dire qu’aussitôt les ambitions et les compétitions se succédèrent. Patrice Loumumba, qui jouissait d’une grande popularité, devint chef du Gouvernement à Kinshasa, alors que Joseph Kasavudu devenait chef de l’état. Mais, en même temps, dans le sud, la province du Katanga (autrefois le Saba) faisait sécession, avec Moïse Tshombe, qui, installé à Lubumbashi, capitale du Katanga, devenait Chef de l’Etat.

 

Le Katanga était une province riche, avec ses gisements de cuivre, de manganèse, et de cobalt. Un an après, Lubumba était assassiné. Au cours de la même année, les forces de l’ONU étaient amenées à intervenir au Katanga. Ce n’est que deux ans plus tard, en 1963, que pris fin la sécession de Katanga. En novembre 1965, à la suite d’un coup d’état, Mobutu accéda à la Présidence de la République. En 1966, Mobutu, devint aussi chef du Gouvernement.

De 1960 à 1965, l’anarchie totale s’était installée au Zaïre. Des groupes armés, revêtus d’uniformes militaires, pillaient systématiquement le pays et faisaient la loi. Il ne faisait pas bon s’absenter de sa résidence. Il ne faisait pas bon non plus de circuler en ville. A tout instant, on pouvait être arrêté et mis en prison. En demander la raison était inutile…

 

Mobutu mit fin, tout au moins en apparence, à l’anarchie. C’est à dire qu’à partir de ce moment, lorsqu’un groupe armé, revêtu de vêtements militaires, non encadré, non muni d’une commission, commettait une exaction, on savait qu’il agissait sur l’ordre de l’autorité…

 

../..

 

(p421)

« Le Zaïre ayant conquis sont indépendance, il fallait mettre sur pied une nouvelle organisation administrative calquée, bien entendu, sur la précédente. Mais la tâche paraissait relever de la gageure, étant donné que les masses de Zaïrois n’avaient reçu qu’une formation primaire élémentaire. En effet, d’une toute petite minorité de gens aptes et assidus, fourmillaient des incapables, qui par l’épaisseur de leur ignorance, ralentissaient le fonctionnement des services. Aussi faudra t-il encore beaucoup de temps au Zaïre avant qu’il soit apte à se suffire à lui même. »

 

(p427)

Lorsque j’étais élève de l’ENFOM, avait eu lieu à la radio un grand concours d’éloquence entre les élèves des grandes écoles. Ce fut un élève de l’ ENFOM qui gagna le concours. Son discours s’intitulait « L’ONU, arme moderne de l’impérialisme américain ». A l’époque, j’avais admiré l’éloquence de ce camarade, mais j’avais été septique quant à ses affirmations.

 

Depuis lors, je me suis parfois posé des questions et me suis demandé s’il n’y avait pas un fond de vérité dans les affirmations de ce camarade. Je prendrais un exemple entre autres. Peut après l’accession du Zaïre à l’indépendance, le Katanga fit sécession. Presque aussitôt les tribus se soulevèrent contre l’autorité locale. La révolte fut tellement dure et meurtrière qu’en 1961, les forces de l’ONU durent intervenir. L’Etat Major de ces forces s’installa à Kinshasa dans le plus luxueux et le plus grand hôtel : l’hôtel Royal. C’était la tour de babel. On y entendait parler toutes les langues, à se demander qui comprenait l’autre. Grâce à l’intervention des forces de l’ONU, la révolte des tribus du Katanga pris fin en 1963. Le calme étant revenu, les troupes de l’ONU quittèrent le Katanga et rejoignirent leur pays respectif. Il en fut de même des Etats Majors qui libérèrent l’hôtel Royal et le rendirent à sa destination première. Tous les représentants des pays concernés rejoignirent leur pays d’origine en laissant au Zaïre que le souvenir de leur présence. Un seul fit exception : l’Amérique. Elle installa dans le centre de Kinshasa un bureau d’informations économiques et culturelles. Elle s’est donc implantée dans le pays à l’ombre de l’ONU. Ce qu’elle n’aurait pas fait autrement. Alors, il est permis de se demander s’il n’y a pas un fond de vérité dans les informations de ce camarade vainqueur à l’époque d’une joute oratoire.

 

Septembre 1966 : Retour en France

 

« Ce fut mon dernier séjour en Afrique, ce fut aussi le moins intéressant pour moi, en raison du fait que j’avais mené, à Kinshasa, la vie du parfait fonctionnaire. Elle n’était pas de nature à me plaire. Il y manquait les contacts humains, les responsabilités, les risques, les initiatives, les événements imprévus devant lesquels il fallait faire front immédiatement, la variété infinie des activités ! C’est avec une grande nostalgie que je quittais l’Afrique. Je savais que c’était la fin de toutes activités et cependant je me sentais en pleine forme. J’avais connu à la fois l’indépendance et l’esclavage : L’esclavage à mes devoirs et à mes obligations, l’esclavage à ceux que j’administrais et auxquels je me suis toujours consacrés entièrement.

 

Posteface :

 

Et actuellement, en 1991, ce que je ressens, c’est un certain sentiment d’injustice à notre égard. Cette affirmation peut surprendre. Pour la comprendre, une explication est nécessaire. J’ai appartenu, comme mes camarades, bien entendu, au cadre le plus élevé de la hiérarchie nationale et par voie de conséquences, nos traitements étaient également les plus élevés. Or, vers les années 1955, le gouvernement avait décidé de procéder au reclassement de la totalité des cadres de la nation. Seul, celui des Administrateur ne l’a pas été. Mr Giscard d’Estaing, alors Ministre des Finances, s’y est opposé, sous le prétexte que l’empire était en train de se lézarder et qu’il risquait fort de se disloquer.

 

Jusqu’en 1964, les conséquences prises à notre encontre n’étaient pas encore très sensibles. Toutefois, depuis lors, plusieurs reclassements ont eu lieu, plusieurs dévaluations ont été effectuées. Si on ajoute à cela l’inflation annuelle, il est facile de se rendre compte que notre situation s’est très gravement détériorée. En 1964, sans être Rothschild, j’étais riche ou tout au moins, je jouissais d’une très large aisance. Mon traitement mensuel à l’époque s’élevait à 1 million. J’ai pu sans difficulté faire face aux études de nos 4 enfants. : un ingénieur, une docteur es pharmacie, un professeur, un géomètre. J’ai également acheté à l’époque un assez grand appartement et je l’ai meublé sans crédit supplémentaire. Je pouvais, malgré cela offrir quelques voyages à ma famille.

Mais actuellement, j’en suis réduit à la portion congrue. Le montant mensuel de ma pension est de 12 000 francs. Que puis-je faire avec cela ? Payer péniblement mes impôts et taxes, ma cotisation à une mutuelle, les assurances diverses. Toutes dépenses sortant de la routine, même vestimentaires, me sont interdites. Je prends la chose avec philosophie. Mais, lorsque j’imagine ma femme qui a onze ans de moins que moi, sera seule un jour, c’est alors que je ressens vraiment un sentiment d’injustice. Elle n’aura plus alors, avec les mêmes charges, que le minimum pour vivre. En 1964, le gouvernement a décidé qu’il était inutile de revaloriser les traitements des Administrateurs, étant donné qu’ils avaient de droit accès sur leur demande à tous les cadres supérieurs et en outre aux plus hauts de l’échelle. Et le statut de Cadre des Administrateurs de la FOM, devint celui d’un cadre d’extinction.

Evidemment, la chose était intéressante pour tous les Administrateurs plus jeunes que moi. Mais moi, je n’avais plus que 5 ans avant d’arriver à la retraite. Je ne pouvais dans ces conditions faire carrière dans un autre cadre. Par contre, mon adjoint de Fianga est Ambassadeur en Iran depuis un certain nombre d’années. L’ancien cadre des Administrateurs de la FOM  a de ce fait fourni à la France, au moins :

 

-         109 ambassadeurs

-         76 préfets

-         8 inspecteurs de finances

-         18 conseillers à la cour des comptes

-         16 membres du conseil d’Etat

-         10 conseillers à la cour de cassation

-         6 premiers présidents à la cour d’appel

-         8 procureurs généraux à la cour d’appel

-         4 présidents du tribunal administratif

-         4 inspecteurs généraux du travail

-         1 premier ministre

-         3 ministres

-         12 députés

-         6 sénateurs

 

et ces renseignements sont loin d’être à jour.

 

En 1964, un décret récent prescrivait la mise en congé de longue durée de 5 ans de tous les Administrateur qui n’avaient pas opté pour un autre cadre ou qui à l’époque se trouvaient sans affectation. Et voilà pourquoi, j’ai été placé en position de congé longue durée de 5 ans, à compter du 12 juin 1964.

 

Ainsi, en outre, du fait que mon traitement est resté le même depuis 1964, je n’ai pas non plus participé à l’avancement durant toute cette période. Par voie de conséquence, il ne m’a pas été possible d’atteindre l’échelon le plus élevé de mon grade, ce qui aurait sensiblement amélioré le taux de ma pension.

 

De tout cela, je n’en fait pas une maladie et n’en fait  pas non plus le sujet de mes conversations quotidiennes. Mais, par contre, chaque jour, dans mon for intérieur, je ne peux m’empêcher d’éprouver un sentiment de très grande injustice en pensant à la situation de ma femme quand je ne serai plus là.

 

Mais tout ceci n’est qu’une incidente qui ne peut en rien me faire oublier, ou regretter le merveilleux métier qui a été le mien. Ce que j’ai raconté de ma vie, de mes activités, de mes fatigues, parfois de mes épuisements, n’a qu’une valeur de témoignage d’une métier qui n’existe plus et n’existera plus jamais. En aucune façon, il a été dans mes intentions de vouloir me présenter comme un homme exceptionnel. Le très grande majorité de mes camarades ont pareillement aimé leur métier, il fallait être bâti à chaux et à sable. Il fallait avoir du caractère et une volonté effroyable. Notre plus grand ennemi a été l’isolement, et la solitude, solitude de la fonction d’abord, mais surtout solitude du milieu. Au début de ma carrière, j’ai connu des camarades qui n’ont pas pu la supporter. Quelque uns ont fait de la dépression. D’autres se sont mis à boire. Les uns et les autres ont été rapatriés définitivement. Et pourtant, le volume de nos activités était tel qu’il suffisait à occuper les jours, les nuits, les jours dit fériés et les fêtes officielles. C’est pourquoi personnellement, je me suis toujours demandé comment on pouvait s’ennuyer. Combien nous avions de ressemblance et de parallélisme avec ces pilotes de la ligne dont parle Saint-Exupéry. Je me souviens avec émotion de mon premier départ en brousse où j’était tout seul à assumer toutes les responsabilités, et à décider. J’y retrouve toutes les sensations et toutes les émotions du moment dans ses livres.

 

../..

 

Il est infiniment regrettable que de misérables politiciens en mal d’électeurs , vers la fin de ma carrière, aient inventé le terme de « colonialisme » propre à attiser la réprobation, je dirai même la haine à l’encontre de tous les Français vivant Outre-Mer. J’admets qu’il existait des individus que j’appelle des « petits blancs ». ceux là, par leur comportement ont souvent défiguré le visage de la France. Ceux-là qui en métropole occupaient le bas de l’échelle sociale, sous prétexte qu’ils étaient blancs en pays noir, avaient la prétention de jouer les seigneurs. Ils étaient exigeants, méprisants et souvent brutaux à l’égard des Africains. Mais ceux-là, nous les avons toujours combattus et rappelés à l’ordre et avons bien souvent pris des sanctions à leur encontre. Je me souviens en ce qui me concerne du mécanicien de l’Institut de Recherche du coton et des textiles de Fianga. Une première fois, je l’avais convoqué pour le mettre en garde. Quotidiennement, il injuriait son personnel et bien souvent le frappait. N’ayant pas tenu compte de mes réprimandes et de mes conseils, je l’embarquais huit jours après sur un avion à destination de la France. Il ne revînt jamais.

 

Le seul mal que nous, nous ayons commis, c’est d’avoir arraché les Noirs à la maladie, à la famine et à la mort, d’avoir amélioré leur condition de vie, tant sur le plan physique qu’intellectuel. Nous avons construit des écoles pour les jeunes et actuellement il n’y a plus d’analphabète parmi eux et le nombre d’illettrés diminue. On peut toujours nous dire pourquoi leur avoir appris à lire et à écrire ? Ils n’en n’avaient pas besoin ! je laisse répondre Saint-Exupéry : « Pourquoi apprenez vous l’astronomie à un bûcheron ? En effet, celui-là n’en n’a pas besoin, mais un autre homme naîtra !. »

 

Pourquoi avoir inventé ce mot horrible de colonialisme ? C’est simple et habituel. Il faut faire vibrer l’âme des Français. Car épris d’idéal et de justice, sentimental et émotif, enthousiaste et timoré, tel est le Français. Sa nature lui fait un besoin de s’exalter ou de s’indigner. Il aime mettre ses nerfs à l’épreuve. Toujours prêt à la révolte contre l’iniquité, il recherche tout ce qui peut éveiller un écho dans son âme. Faute d’objets réels, on lui invente des chimères, on lui fabrique des épouvantails. Un mot vide de contenu suffit à le complaire. Ils le savent bien les politiciens, qui fabriquent des fantômes à l’usage des foules pour le plus grand profit d’un parti et dans l’intérêt de quelques hommes. Mais le Français est satisfait car il peut se gargariser d’un slogan. Peut importe qu’on le trompe. Il ne se soucie même pas de le savoir. Un mot suffit pour que soient traînés aux gémonies les hommes qui, humblement, silencieusement, au prix d’une volonté admirable, et souvent de leur vie, ont fait la grandeur de la France. Réaction, capitalisme, militarisme, communisme, fascisme, colonialisme, cléricalisme, et bien d’autres termes encore sont autant d’épouvantails qui soulèvent des passions et entretiennent des remous au sein de la nation. Peu d’individus seraient capables d’en analyser les substances. Mais pour cela même, ces étiquettes, réduisant le champs visuel des Français, facilitent le jeu des combinaisons politiques.

 

C’est ainsi que se crée une psychose dangereuse, une aberration de l’opinion qui conduit à des catastrophes nationales de l’ampleur de celle que nous avons vécue en 1940.

 

A l’époque, où le terme colonialisme a pris naissance, il s’agissait de s’attaquer à l’œuvre coloniale française. Mais qu’était-ce au juste que le colonialisme : personne ne le savait, même pas ceux qui avaient lancé le mot, dont aucun ne s’était rendu Outre-Mer. Non, je fais erreur ; il y avait un journaliste qui le savait, pour avoir en tout et pour tout passé quinze jours en Indochine du côté d’Ho Chi Minh, c’est M. Boutien, rédacteur en chef du journal Combat. Le colonialisme disait-il « c’est une machine à drainer du fric et à refouler le boulot. »

 

Qu’avaient-ils donc en tête ces politiciens ? Quel but poursuivaient-ils ? Pourquoi avaient-ils ainsi voulu vilipender la tâche de ceux qui, souvent sans gloire, sans honneur, parfois abandonnés de la mère patrie ont fait flotter notre pavillon sur des terres lointaines et sont allés, donnant le meilleur d’eux mêmes, apporter aux peuplades primitives et malheureuses d’Outre-Mer, un peu de rayonnement bienfaisant de la France ? Mais savait-il ce journaliste, savaient-ils ces politiciens qui jetaient l’anathème sur les artisans de la grandeur française et condamnaient en bloc l’œuvre colonisatrice de la France, savaient-ils de quoi était faite la vie de cette armés d’exilés, d’hommes inconnus et méconnus, qui ont pourtant écrit une des plus belles pages de notre histoire ? Savaient-ils la dose de volonté, de courage, d’énergie qu’il leur fallait déployer pour accomplir leur tâche quotidienne. Vivre seul parfois des années, isolé du monde, sans parents, sans ami, sans médecin, sans journaux, sans livre, sans radio, sans théâtre, perdu dans la brousse ; tout faire sans moyen, sans argent, sans matériel, souvent sans compétence :car il fallait les avoir toutes : travailler sans cesse et malgré la maladie ; effectuer dix longs jours de tournée à pieds ou à cheval, grelottant de fièvre, ne jamais s’arrêter, toujours lutter contre soi même, contre le climat, contre l’inertie des indigènes ; être en service de jour et de nuit ; toujours avec ses préoccupations et ses soucis, ne jamais pouvoir s’évader, se refaire une tête neuve, des forces neuves ; ne connaître ni dimanche, ni jour de fête, vouloir le mieux être de l’indigène contre lui même, le protéger de la famine, l’arracher aux misères physiques malgré lui même, être l’Administrateur, l’agriculteur, l’ingénieur, le vétérinaire, le médecin, être le juge, le conciliateur, celui de qui on attend la sentence juste et impartiale, être celui qu’on craint parfois, mais du quel, passivement, l’indigène attend qu’il soit un magicien, car il n’imagine pas que le blanc puisse avoir besoin de sa collaboration, être le centre vital d’un pays, la tête d’où tout rayonne et où tout aboutit, voilà quel a été notre lot. Et j’ose affirmer que beaucoup de nos détracteurs auraient eu de belles leçons à apprendre de nous. S’ils s’étaient donné la peine de connaître ce dont ils parlaient, ils auraient découvert avec étonnement que les vieilles qualités françaises brillaient toujours du même éclat Outre Mer. Grandeur et servitude de la vie coloniale : voilà comment pourrait être intitulé l’histoire de la colonisation française.

 

Ses détracteurs connaissaient mal l’histoire de monde ou ne la connaissaient pas du tout. Ils semblent ignorer que le soleil se lève à l’est et que la civilisation nous est venue d’Orient. De proche en proche, elle s’est propagée jusqu’aux confins de l’Occident. Chaque peuple, à son tour a été colonisé. Et chaque peuple en est sorti enrichi : enrichi dans sa pensée, enrichi dans ses connaissances, enrichi dans son comportement ! Ils semblent ignorer que la France n’a pas fait exception à la règle, puisque la Gaule a été colonisée successivement par les Romains, par les Germains, par les Francs, les Alains, et enfin par les Arabes. A tous ces envahisseurs, nous devons d’être ce que nous sommes ! Dans quel état primitif serions nous demeurés sans cela ? Lorsque je me remémore maintenant l’état dans lequel j’ai découvert les Africains il y a soixante ans et celui qu’ils ont atteint aujourd’hui, je me rends compte que, sans conteste, ils ont accompli depuis lors un pas de géant.

 

Et je m’en réjouis avec tous les camarades. Nos séjours africains étaient un minimum de deux ans. Durant ces deux ans, sans répit, et sans tenir compte de notre état de fatigue et souvent de santé, nous oeuvrions jour et nuit, pour faire avancer les choses, pour faire un nouveau progrès. A chaque fois, lorsque notre séjour s’achevait et que nous partions en congé, nous éprouvions un sentiment de déception, de découragement. Nous étions amers car nous avions l’impression d’avoir perdu notre temps, amer de constater notre échec. Mais après six mois de congé, nous revenions tout neufs, décidés à chaque fois à accomplir une révolution ! Et le séjour terminé, nous retombions chaque fois dans la désespérance. Combien il est dur de lutter contre des habitudes ancestrales, contre des coutumes vieilles comme le monde, contre des traditions indéracinables !

 

L’évolution, cependant, s’accomplissait, mais elle était très lente et sous-jacente. Aussi a-t-il fallu plusieurs décades pour prendre conscience que nous n’avions pas œuvré en vain et que grâce à notre persévérance, nous avions réussi à gagner une belle victoire. Ce n’est qu’après trente ou quarante ans que nous avons pu nous réconcilier avec nous mêmes et voir la certitude que nos fatigues, nos maladies, notre travail n’avaient pas été vain.

 

Ainsi en 1956, à Fianga, j’avais tenté en matière d’agriculture, de remplacer l’usage de la petite houe à lame et manche très court, par l’utilisation de la charrue, tractée par des bœufs et de faire adopter la charrette pour remplacer le transport à tête d’homme. Après trois ans de séjour, j’ai quitté Fianga avec l’horrible impression d’une défaite. Or, vers les années 1985, un père missionnaire, que j’avais connu à Fianga, arrivant de Tchad vint me faire une visite impromptue à Nice. Aussitôt que je lui eut ouvert la porte, il me dit : «  Monsieur l’Administrateur, je vais vous annoncer une nouvelle qui va, j’en suis sûr, vous remplir de joie ! A ce jour, dans le district de Fianga, plus aucun cultivateur n’utilise la houe traditionnelle. La totalité des habitants laboure à la charrue et transporte leur récolte sur des charrettes. » J’avoue que je ressentis une très grande joie ! A partir de ce jour, je sus que je n’avais pas perdu ma vie et que toutes les graines que j’avais semées, avec amour, avaient germé et qu’elles avaient fructifié. Tous les doutes et toutes les déceptions que j’avais ressenti s’évanouissaient soudain pour laisser la place à une certitude de victoire. J’étais pleinement heureux.

 

Ce sept septembre dernier, j’écoutais radio bleue. Par le plus grand des hasards, il m’a été donné d’écouter l’interview d’Elisabeth de Gaulle, rescapée d’Auschwitz et présidente d’une œuvre humanitaire. Je ferai mienne sa conclusion :

 

« A quoi servirait la vie, si on ne la donnait pas ! »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Annexe

 

 

 

Institut de France

Académie des sciences morales et politiques

 

Paris

Le secrétaire perpétuel

 

Mr . Degoul appartient à cette génération d’Administrateurs de la France d’Outre mer dont la carrière a commencé dans les années trente avant la seconde guerre mondiale, au temps où l’empire colonial français semblait à son apogée et s’est terminée au milieu des années soixante, après les indépendances.

 

Il est de ceux qui n’ont pas quitté leur administration d’origine mais qui sont restés dans un corps d’extinction dont le sort était peu enviable.

 

Mais il ne s’en plaignait pas car il aimait l’Afrique où il a servit la France et les Africains pendant près de trente ans, au Togo et au Congo, au Tchad et pour finir au Zaïre. Et il aimait son métier d’Administrateur dont la raison d’être est d’établir, de consoler, de renouer ou de changer parfois, les relations entre les hommes

 

A travers son récit, souffle comme un air d’allégresse qui ne retombe que dans les dernières pages quand la fonction d’Administrateur a été transformée en celle de coopérant et que l’auteur en vient à s’interroger sur son utilité.

 

En cela le destin de l’auteur n’est pas différent de celui de grands coloniaux dont la fin est souvent triste car leur rêve a été brisé.

 

Pierre Mesmer.

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