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Thomas SAnkara (Burkina Faso)
l'homme intègre

Hugo Shavez
(discours Copenhague déc 2009)

Keny Arkana : un autre monde est possible
reportage altermondialiste

"The Take" (Argentine) ou comment les ouvriers
se sont accaparés de plus de 200 usines

Paradis fiscaux, la grande évasion
Un film de Frédéric Brunnquell
Diffusion sur France 2 dans Infrarouge.


Voyage :
La vérité, c’est qu’on ne sait nommer
ce qui nous pousse.
Lorsque le désir résiste
aux premières atteintes du bon sens,
on lui cherche des raisons.
Et on en trouve qui ne valent rien…
Extrait de Nicolas Bouvier dans l’Usage du Monde


Citation :
L'Afrique sans la France,
c'est comme une voiture sans chauffeur
La France sans l'Afrique,
c'est une voiture sans carburant
Omar Bongo


Pétition :
"Justice pour Thomas Sankara,
Justice pour l'Afrique"






22 février 2010 1 22 /02 /février /2010 15:18
Désarroi d'un homme toujours en avance sur son entourage, trahison d'une

amitié, déchirement d'une famille perdant un être cher, la vie de Thomas
Sankara s'est terminée en tragédie. La hauteur avec laquelle il s'est
toujours refusé, malgré les fortes pressions de son entourage, à éliminer
son adversaire qui était aussi son meilleur ami, suffirait à le classer
parmi les grands hommes de l'histoire moderne. L'un repose en paix en accord
avec lui-même l'autre doit vivre avec sa conscience.


La jeunesse a besoin de héros. Mieux vaut que ce soient des êtres de chair
et de sang que ces machines à faire de l'argent, fabriquées par des
multinationales que sont les vedettes du show business. Mieux vaut qu'ils
fassent rêver par leurs qualités humaines et leur action contre
l'exploitation et l'injustice et pour plus de solidarité que pour les sommes
phénoménales qu'ils brassent et qui surtout retombent aux mains de ceux qui
dans l'ombre les manipulent comme des marionnettes.


Originellement le mot héros désigne des demi-dieux, c'est-à-dire des êtres
mi-humains mi-dieux. Les " héros " fabriqués par des sociétés de marketing
ont perdu toute forme d'humanité bien que les gains de leur promoteur soient
eux très réels. Les doutes, les interrogations, les hésitations voire les
erreurs de Thomas Sankara viennent nous rappeler qu'il était profondément
humain. Il avait de plus un grand sens du concret.


Sa popularité réside dans les qualités qu'il a déployées au pouvoir, dans
son énergie, son intelligence, sa créativité, sa résolution, l'ampleur du
travail qu'il était capable d'accomplir, sa capacité à entraîner son
entourage et son peuple mais aussi dans son intégrité et sa rigueur morale.
Autant de qualités somme toute très humaines et très réelles. Mais elles
sont rares chez le même homme et atteignent rarement la même force.

Son héroïsme réside surtout dans la valeur d'exemple qu'il représentait, ce qui
décuplait sa capacité à faire rêver, à entraîner derrière lui son entourage
mais aussi son peuple, tout en restant toujours très proche des gens, par la
proximité physique mais aussi par son langage qu'il voulait accessible.


Les hommes de pouvoir doivent passer par tellement d'étapes, jouer de tant
de malignité, passer par tant de compromission ou de compromis, se
débarrasser de tant de rivaux que lorsqu'ils arrivent au sommet ils en ont
souvent oublié leur engagement initial quand il n'était pas dès le départ
des ambitieux motivés essentiellement par leur propre avenir.

Thomas Sankara tranche avec tous ceux-là, il est arrivé très jeune au pouvoir.

Il a tenté de l'exercer sans perdre le contact avec la population, bien au contraire
puisqu'il prenait sur son sommeil pour le faire. Il sortait incognito et se
présentait impromptu dans un village ou une permanence de CDR à la recherche
de contacts directs et improvisés débarrassés de tout protocole.
Il s'est efforcé de démystifier le pouvoir avec humour. Il a réussi à en
éviter les fastes et les travers dans lesquels tant de révolutionnaires
déclarés se sont égarés. Il a au contraire assumé dignement la pauvreté de
son pays non comme une honte mais comme le résultat d'un processus
historique et des conditions naturelles dues à sa position géographique.
Comme nous l'avons vu il a plusieurs fois refusé de prendre le pouvoir avec
ses camarades, qui pourtant l'y poussaient. Ce n'était en effet pas le
pouvoir qui l'intéressait mais ce qu'on pouvait réaliser avec, pour son
peuple. Il sentait alors qu'il n'était pas encore temps.


Thomas Sankara nous ramenait sans cesse à la réalité. Plus que de faire
rêver à ce que pourrait être demain, il communiquait son énergie pour
construire un monde réel, tout de suite. Quels étaient les objectifs de la
Révolution? Il a cru nécessaire de les rappeler au plus fort de la crise en
déclarant peu avant sa mort :


" Notre révolution est et doit être permanemment, l'action collective des
révolutionnaires pour transformer la réalité et améliorer la situation
concrète des masses de notre pays. Notre révolution n'aura de valeur que si
en regardant derrière nous, en regardant à nos côtés et en regardant devant
nous, nous pouvons dire que les burkinabé sont, grâce à la révolution, un
peu plus heureux, parce qu'ils ont de l'eau saine à boire, parce qu'ils ont
une alimentation abondante, suffisante, parce qu'ils ont une santé
resplendissante, parce qu'ils ont l'éducation, parce qu'ils ont des
logements décents parce qu'ils sont mieux vêtus, parce qu'ils ont droit aux
loisirs ; parce qu'ils ont l'occasion de jouir de plus de liberté, de plus
de démocratie, de plus de dignité. Notre révolution n'aura de raison d'être
que si elle peut répondre concrètement à ces questions. "


Est-ce donc rêver que de construire une société où ce minimum puisse être
réalisé? Certes même des pays bien plus riches comme la France ou les Etats
Unis n'arrivent pas à satisfaire ces besoins pour tous. Ce n'est pas faute
d'en avoir les moyens, mais plutôt mondialisation oblige, que le moteur de
la société reste la recherche de la rentabilité plutôt que la satisfaction
des besoins. Le mot révolution est désormais absent des débats politiques,
il a été tellement dévoyé, mais comment remettre la satisfaction des besoins
au premier plan?


Dans le Burkina Faso de Thomas Sankara, on faisait la révolution. L'économie
devait être tirée par les besoins et surtout on s'en donnait les moyens en
luttant contre ceux qui s'y opposaient. On ne rêvait pas à réaliser ses
objectifs, on y travaillait, durement. Il ne s'agissait pas d'un rêve.

La part de rêve consistait peut-être dans la vitesse avec laquelle on voulait
les atteindre. Tant d'aînés de Thomas Sankara s'étaient fixé les mêmes
objectifs qui à force de réalisme, d'étapes historiques à respecter, de
planifications soigneusement élaborées se sont perdus dans les méandres de
l'histoire pour finir à force d'excuses et de compromissions par s'enrichir
personnellement sur fond de dictature pendant que le peuple s'enfonçait
toujours plus dans la misère. C'est à la lumière de ces révolutions trahies,
de la Guinée de Sékou Touré, au Bénin de Mathieu Kérékou, de Madagascar de
Didier Ratsiraka au Congo de Sassou Nguesso que nous pouvons mieux juger de
l'oeuvre de Thomas Sankara.


Le rêve n'était pas tant que ces objectifs étaient irréels mais plutôt qu'il
voulait qu'ils se réalisent vite, presque tout de suite. Mais c'est aussi
pour ne pas être responsable du énième échec qu'il était si exigeant. Les
seuls véritables reproches qu'on pourrait lui faire, c'est d'avoir accédé au
pouvoir trop jeune, d'avoir voulu aller très vite dans une situation
pourtant extrêmement difficile en regard des objectifs que s'était fixée la
révolution et des moyens disponibles pour les atteindre.

Ce qu'on peut lui reprocher c'est finalement d'avoir été trop humain, trop sensible.

C'est son humanité qui l'avait amené à pousser son entourage à s'atteler à une tâche
que beaucoup pensait inhumaine car trop ambitieuse.
Nous touchons ici aux limites de l'action d'un homme face aux réalités
objectives dans un contexte historique précis.


Les forces productives n'étaient guère développées en Haute-Volta. La
révolution ne consistait pas à se saisir des biens des bourgeois détenteurs
des moyens de production quasiment inexistants, pour les remettre aux mains
du peuple, mais plutôt à créer une industrie nationale. Ce qui ne peut se
faire en quatre ans. La paysannerie était au centre des préoccupations, mais
elle était peu politisée, une grande partie demeurait sous l'emprise de la
chefferie. Et dans bien des endroits les méthodes de culture en étaient
restées à ce qu'elles étaient avant la colonisation. Seuls le coton avait
bénéficié d'une attention particulière. La révolution s'entendait ici par le
développement des forces productives, la modernisation et la rationalisation
de l'agriculture, le développement de filières, la mise à sa place d'un
circuit de commercialisation qui libère les paysans de l'emprise des
commerçants spéculateurs mais aussi la formation des paysans,
l'alphabétisation et lutte contre la chefferie. Les ennemis du peuple se
résumaient pour l'essentiel aux quelques politiciens qui s'étaient partagés
le pouvoir jusqu'ici et leur quelques alliés. Mais on ne les a guère
entendus durant le processus, les leaders arrêtés, leurs partis ont cessé
d'exister, montrant par là leur peu de réalité.


La révolution a donc surtout consisté à mettre en place une véritable
économie nationale et à tenter de se libérer des pressions extérieures
économiques et politiques, à résister aux tentatives de déstabilisation.
Nous avons montré à ce propos tous les obstacles que le Burkina Faso a
rencontrés de la part des bailleurs de fonds. Enfin, la Haute-Volta n'a
guère de richesse dans son sous-sol, une bonne partie de son territoire
souffre de sécheresse.


C'est dans ce contexte qu'a éclaté la révolution. Sur quelles forces
pouvait-elle s'appuyer en l'absence d'une classe ouvrière ou d'une
paysannerie consciente. Sur la petite-bourgeoisie urbaine constituée
essentiellement des salariés fonctionnaires ou d'intellectuels, d'une partie
de l'armée dont l'engagement est forcément limité, de la jeunesse scolaire
et de celle encore plus nombreuse au chômage.


Quant aux forces politiques organisées, capables de diriger le processus,
elles étaient faibles et la mieux structurée a été écartée dès la première
année. Les autres se sont perdues dans des querelles intestines. C'est dans
ce contexte que l'armée a pu prendre tant de poids dans la prise du pouvoir
puis dans la direction de la révolution et enfin dans le dénouement tragique
de la crise.


C'est peu dire que les conditions objectives pour la réussite de la
révolution n'était guère réunies. Ce n'est pas d'avoir voulu aller trop vite
que la révolution a échoué, dans le sens où elle a été interrompue, mais
bien du fait que le contexte était trop défavorable. Replacé dans ce
contexte, le bilan est plus que positif, il est même remarquable.


Thomas Sankara aurait pu se débarrasser de ses ennemis, il en avait les
moyens, beaucoup dans son entourage le suppliait de le faire. La révolution
est plus importante que ta rigueur morale lui a-t-on sans doute affirmé.
Peut-être aurait-il du mieux se protéger? Il ne pouvait en tout cas pas
imaginer que son ami viendrait à être responsable de son assassinat. En tout
cas, il ne voulait pas tomber dans le cycle sans fin des clarifications sur
fond d'assassinat sous prétexte d'étapes supérieures qui cachent souvent une
simple lutte pour le pouvoir. Au contraire il a cherché à élargir la base de
la révolution et s'est opposé à ceux qui portaient des exclusives. Il s'est
battu politiquement, mais en face on a préféré l'éliminer physiquement ce
que nous pourrions interpréter comme un aveu de faiblesse. Thomas Sankara
savait que s'il venait à employer ces méthodes, il aurait cessé d'être celui
qu'on aimait, celui en qui on avait confiance, celui qui rassurait au moment
des doutes par son intégrité et sa rigueur morale. Bien d'autres n'ont pas
eu cette attitude qui se sont vite dévoyés.


L'itinéraire de Thomas Sankara de l'enfance à la présidence de la république
n'en fait pas un héros. Certes il avait de bonne disposition, et a vécu,
malgré les difficultés qu'il a connues, une enfance privilégiée par rapport
à la masse des petits voltaïques de sa génération. Mais pour le reste, les
clés de son ascension sont, le travail, l'observation, l'étude, la
persévérance, la résolution, l'écoute, la curiosité, la soif de savoir, la
fidélité.


A reprendre les différentes étapes de sa vie, on a l'impression qu'il a vécu
l'esprit perpétuellement en éveil et qu'il a su faire fructifier chacune de
ses expériences pour en tirer le meilleur. De son enfance il se rappelle
combien l'injustice est insupportable, de son éducation religieuse il
conserve les leçons d'humilité de Jésus et un certain humanisme, de son
adolescence il tire surtout la formation classique et sans doute quelques
leçons sur la révolution française, de sa rencontre avec le marxisme, la
rigueur de l'analyse des rapports sociaux et les perspectives de changement,
de son séjour à Madagascar, de précieuses leçons d'économie mais aussi une
expérience vivante de révolution, de la guerre avec le Mali, une horreur du
sang versé inutilement. Faut-il continuer?


A la fin de sa vie, il s'apprêtait à faire fructifier l'expérience acquise
depuis qu'il était au pouvoir pour donner une nouvelle impulsion à la
révolution. Il avait compris qu'il fallait en ralentir la marche, il voulait
prendre des distances avec le pouvoir pour mieux se consacrer à ce qui lui
semblait une tâche urgente qui devenait primordiale pour toute nouvelle
avancée : unir les différentes factions qui soutenaient la révolution et en
rallier de nouvelles. Non qu'il avait un goût particulier pour la
construction d'un appareil. On sentait au contraire qu'il voulait mettre sur
pied une organisation d'un type nouveau, qui tout en étant efficace dans la
direction de la révolution conserverait la diversité nécessaire à la
réflexion créative. Mais à l'étape où en était la révolution il sentait
qu'il n'était plus possible que tous les cadres engagés perdent leur énergie
à lutter les uns contre les autres au lieu de se rassembler et de s'unir
dans une même structure entièrement consacrée à la réflexion collective pour
aller de l'avant et lutter politiquement contre les véritables adversaires.
C'est un dirigeant qui venait juste de franchir une étape nouvelle qui a été
assassiné.


Oui, Thomas Sankara peut être montré en exemple comme un homme de son temps.
Et tant mieux si la jeunesse africaine s'en empare comme une lueur d'espoir,
comme un phare qui éclaire son chemin, comme l'exemple du possible et de
l'intégrité que l'on jette à la face de tous les autres présidents du
continent toujours à se chercher des excuses dans leur incapacité à
entraîner leur peuple et à améliorer sa situation. Certes la marge de
manoeuvre d'un pays qui se voudrait indépendant semble aujourd'hui encore
plus petite qu'en 1983. Mais l'histoire ne se répète jamais et réserve
souvent des surprises. Et tant mieux si la jeunesse africaine fait de Thomas
Sankara l'un de ses héros. Son exemple mérite d'être suivi. Nous ne pouvons
que souhaiter qu'il suscite des vocations.


Bruno Jaffré


"Biographie de Thomas Sankara la patrie ou la mort..."

 

 

Signer la pétition "Justice pour Thomas Sankara, Justice pour l'Afrique"



Pour continuer la recherche :

http://thomassankara.net/

http://www.monde-diplomatique.fr/2007/10/JAFFRE/15202

 


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18 février 2010 4 18 /02 /février /2010 20:34

Article tiré du site « Acontresens » par Clara

 

 

Hommages sincères et respectueux, la France au Tchad



Dans son discours de Dakar, monstre de racisme néo-colonial, M. Sarkozy déplorait le fatalisme de l’Africain qui « jamais ne s’élance vers l’avenir ». La plaisanterie est bonne, et a dû faire rire dans les salons où sont reçus les PDG des entreprises françaises présentes en Afrique. Car lier les problèmes de ce continent à une prétendue « Nature africaine », cela n’est pas nouveau. Mais c’est toujours aussi faux.


Présentation du lieu et des acteurs


Le Tchad est un pays qui possède des réserves naturelles de pétrole, de fer, de wolfram, d’or, d’argent, d’uranium, de cuivre, de diamants, de chrome, de titane, de cobalt, et des nappes souterraines importantes d’eau douce. Des richesses telles qu’un homme politique tchadien, M. Yorongar, le surnomme l’« Eldorado africain ». Et ses réserves de pétrole, dont l’exploitation a commencé en 2003, sont prometteuses puisqu’elles devraient fournir 2 milliards de barils, une manne considérable.


Cependant, les richesses immenses de ce pays ne bénéficient pas à sa population, qui reste l’une des plus pauvres du monde. Mike Davis, sociologue et historien américain, donne dans son livre
Planète bidonvilles le chiffre suivant : plus de 99% de la population urbaine du Tchad vit dans des bidonvilles. En outre, 60% des Tchadiens vivent en dessous du seuil de pauvreté, les famines se répètent régulièrement et l’espérance de vie d’un Tchadien est inférieure à 45 ans. Les populations sont maintenues dans l’ignorance et l’illettrisme est massif.

Comment expliquer ce gouffre entre les richesses du pays et le niveau de vie de ses habitants ?


En réalité, quand on parle « des Tchadiens » il faut prendre certaines précautions : la classe dirigeante du Tchad, elle, tire très bien son épingle du jeu. Le président, Idriss Déby, vit dans le luxe. Tout comme le noyau restreint qui l’entoure et qui constitue un appareil d’Etat corrompu et inféodé aux intérêts occidentaux. Faire partie de cette classe dirigeante, cela ne s’improvise pas. Et Idriss Déby n’a pas lésiné sur les massacres d’opposants politiques et les tortures pour s’affirmer à la tête de l’Etat. Mais avant toute autre chose, il faut, pour prendre la tête du Tchad, avoir des amis puissants. Et être prêt à tout sacrifier à leurs intérêts.



La France, bras armé de ses multinationales


Depuis l’indépendance du Tchad, l’ombre de la France plane sur sa politique, et fait régulièrement des piqués pour intervenir militairement, quand l’un où l’autre des dirigeants du Tchad ne sert pas assez ses intérêts économiques et stratégiques. La situation perdure depuis l’indépendance et le gouvernement fantoche du pro-français Tombalbaye. Mais la situation reste plus que jamais d’actualité.


Pour exemple, en 1979, le Tchad est contrôlé par le leader du Front de libération nationale du Tchad (FROLINAT) nommé Weddeye, mieux disposé à l’égard des intérêts libyens que français. La France fait alors appel à Hissène Habré, un membre du Frolinat qui jouait depuis longtemps la carte française dans la région. Alors qu’il est le ministre de la Défense du gouvernement en place, la France le débauche et l’aide militairement à renverser Weddeye par un coup d’Etat en 1982.


Hissène Habré est pourtant bien connu pour être un criminel. A sa prise de pouvoir, le Tchad connaît une des périodes les plus sombres de son histoire. On impute au régime Habré l’assassinat de 40.000 opposants politiques, et des tortures innombrables. Mais rien ici ne peut inquiéter la France. Ni son président, bien de gauche, François Mitterrand...


En 1990, Hissène Habré dépasse les limites du convenable, et signe ainsi sa destitution : Elf n’a pas obtenu la part qui lui revenait « de droit », en récompense de bons et loyaux services de l’Etat français pour Habré, dans le consortium pétrolier qui voit le jour. Les sociétés américaines telles qu’Exxon ou Chevron sont privilégiées dans l’accès à ce marché naissant. Dès lors, son sort est scellé. La France, par l’intermédiaire d’Elf (que de Gaulle appelait en connaissance de cause la « seconde diplomatie française ») lui trouve un successeur.


En octobre 1990, Idriss Déby rencontre les représentants d’Elf aux Pays-Bas, et, malgré sa compromission dans les massacres de l’ère Habré, pendant lesquels il était général de l’armée tchadienne, il est le candidat retenu.


Le marché qu’Elf lui propose est simple : en échange d'un appui militaire et de l'accès au pouvoir, Déby doit garantir l'entrée de la compagnie dans le consortium pétrolier. Chose dite chose faite, le 1er décembre 1990, l'armée française ouvre les portes de N'Djaména à la division rebelle de Déby qui prend ainsi le pouvoir par un formidable coup de force, sponsorisé par Elf et l'armée française. Déby saura remercier Elf qui entre à 20% dans le consortium pétrolier.


Dans une note de service, la compagnie pétrolière nous donne des renseignements sur cette fameuse « Nature Africaine », décidemment bien pratique pour légitimer l’intolérable : « 
Au Tchad, la guérilla est quasiment une tradition et la prise du pouvoir se conçoit par les armes et non par les urnes. Ainsi, seul un régime militaire est concevable. » Concevable pour les Tchadiens ? Ou pour Elf et l’Etat français ?

Mais, en récompense, les retombées pour les grandes entreprises françaises furent importantes. Pour Elf, nous l’avons vu, mais également pour Sogéa-Satom et Bouygues, car 500 millions d’euros de contrats de travaux et de services ont été adjugés à des entreprises françaises pour la construction du pipe-line Tchad/Cameroun.


Dans toute cette affaire, l’Etat français et ses militaires se sont bien comportés comme le bras armé des multinationales françaises. Et le personnel de l’Etat tchadien, mis en place pour ces intérêts, les sert avec zèle : Idriss Déby maintient pour les entreprises étrangères, et donc françaises, un climat fiscal très appréciable. Elles bénéficient de très nombreuses exonérations : rien que pour la construction du pipe-line, le montant des exonérations a été estimé en 1995 à plus de 21 milliards de dollars.


Tout cela se fait bien entendu au détriment des populations du Tchad. Car la classe rapace qui se maintient au sommet de leur pays grâce à l’aide active de la France ne leur offre que misère et violence. Par exemple, lors de la construction du pipe-line, tous les habitants qui avaient le malheur de se trouver sur le trajet du pipe-line ont été déplacés, avec violence et sans indemnité. Dans tout cela, les institutions mondiales sont complices. Le député Yorongar écrivit un courrier à la Banque Mondiale pour attirer son attention sur ces séries d’expropriations. Il prenait pour exemple le cas d’un paysan tchadien qui avait été expulsé par la compagnie de construction filiale du groupe Bolloré et avait été ainsi dépossédé de sa maison et condamné à l’errance. Le sous-secrétaire de la Banque Mondiale, Serge Michaïlof, lui répondait ainsi, dans une lettre du 21 mai 1999 :


« 
La personne citée (Ndodjingar) était éligible à une indemnisation totale de 90 000 Francs CFA. Elle a choisi l'indemnisation en nature sous forme d'une bicyclette. Le prix de cette bicyclette est de 89 000 F CFA. La différence est égale au montant de l'indemnisation en liquide lui étant du : 1 985 F CFA [19,85 FF ou 3 Euros]. Il lui a été remis un certificat d'indemnisation en nature pour un montant de 89 000 F CFA au moment de la livraison de sa bicyclette. Ce document témoigne du paiement en nature. »

Perdre son terrain et sa maison est acceptable aux yeux des plus grandes institutions en échange de 3 euros et... d’une bicyclette. La réponse de la Banque Mondiale prouve tout simplement les connivences de l'institution avec les grandes sociétés de construction responsables du projet.


Mais tout cela n’est pas étonnant, et découle du système capitaliste qui régit l’économie mondiale. En effet, le marché des travaux de l’ampleur de la construction d’un pipe-line sont limités. Pour les groupes français de BTP, l’octroi de tels marchés, avec tous les profits qu’ils génèrent, est indispensable à leur survie car s’ils en perdaient plusieurs d’affilée au détriment de grands groupes américains par exemple, ils pourraient se faire engloutir par ces groupes. C’est pourquoi les conditions économiques, politiques, militaires, leur permettant de remporter ces marchés doivent absolument être réunies. Au Tchad, comme dans bien d'autres régions d'Afrique et du monde, cela passe par l'intervention armée et tout ce qu'elle implique : dictature, répression des opposants politiques, création et exacerbation des conflits « ethniques »...


Au Tchad, l’intervention de l’armée française crée à la fois des débouchés et des profits pour les entreprises françaises, et participe au maintien du capitalisme. Ce système a un nom : l’impérialisme.



Mensonges d’Etat à la française


Comment faire passer, aux yeux de la population française, un tel soutien ? Il s’agit de maquiller Idriss Déby en chef d’Etat ami et respectable, car « démocratiquement élu », et, bien entendu, reconnu par des institutions internationales comme l’Union Européenne ou l’ONU. Mais, en fait d’élection, nous avons bien vu comment Idriss Déby était arrivé au pouvoir, et cela ne nous étonne pas de voir comment il s’y maintient : entre action armée de la France et de l’Europe, et suffrages truqués. Lors de la dernière élection présidentielle en date, le 3 mai 2006, le dictateur corrompu a recueilli... 77,5% des suffrages de sa population. Grâce notamment à l’aide active de la France qui coopère dans le trucage des élections pour permettre au dictateur de s’habiller en président respectable. A l’issue de ces élections, c’est à Lionel Jospin qu’est revenu le rôle d’acclamer le nouveau président. Il l’a reçu en juin 1997, avalisant ainsi la « démocratisation » du Tchad.


Mais la plaisanterie ne s’arrête pas là... les intellectuels français les plus en vue rejoignent le cortège des applaudissements. Ainsi, Pascal Chaigneau (administrateur de RFI, professeur à HEC, ancien consul et expert en relations internationales, Officier de la légion d’honneur) déclare à la tête d'une délégation française officielle :


« 
C'est un particulier honneur d'être aujourd'hui au Tchad pour remettre à son excellence le diplôme Honoris causa de l'Ecole des Hautes études internationales créé pour récompenser les hommes ayant oeuvré pour la paix. »

Dans la grande mascarade, chacun y met un peu de sa peinture de criminel. En vingt ans de pouvoir, Idriss Déby a vu les gouvernements, les intellectuels, les journalistes, etc., qu’ils soient de droite ou de gauche, se succéder. Mais leur soutien inconditionnel est resté une constante.



Retour sur la dernière intervention française au Tchad


Dans les mois de février et mars 2008, la France, aux côtés de l’Union Européenne dans le cadre du dispositif militaire Epervier, est une fois de plus intervenue pour maintenir au pouvoir le dictateur Idriss Déby. Bien que son intervention militaire soit niée, la France reconnaît tout de même que Paris a fourni des munitions (16 petites tonnes), de la logistique et des services de « renseignement ». Mais sans entrer dans la bataille. Une exception unique est reconnue par les pouvoirs français : lors de l’attaque des rebelles sur l’aéroport de N’Djaména, le 2 février, les soldats du dispositif Epervier ouvrent le feu. Le journal
Le Monde, du 7 février 2008 reconnaissait tout de même « Ce rôle pèsera lourd dans l'issue de la bataille pour la capitale, car c'est à l'aéroport que se concentrent des éléments cruciaux de l'appareil militaire tchadien ».

En lisant entre les lignes, on peut se rendre compte de l’aide effective apportée par la France et l’Union Européenne au dictateur. Cependant, cette réalité s’affronte en permanence à la langue de bois des dirigeants. En 2006, Jacques Chirac parlait d’un « 
coup de semonce » au Tchad... En langage moins diplomatique, comprenez : un bombardement par un avion Mirage de l’armée française sur les files de rebelles qui se dirigeaient vers N’Djaména.

De nos jours, alors que les rebelles condamnent l'intervention directe de l'aviation française qui a causé d'énormes victimes civiles, notamment sur le Lycée de la Liberté et le marché central de N'Djamena, le Ministre des Affaires Etrangères M. Kouchner affirme de son côté :?« 
Jamais il n'y a eu aussi peu d'interventions de la France. Et je prétends même que c'est cela qui est nouveau ».


Remerciements à « nos amis »


L’entreprise de légitimation et de mensonge qui entoure la politique de la France au Tchad n’est pas l’oeuvre de la France seule...


Le rôle de l’ONU dans cette affaire est également révélateur de l’aide que peut apporter cette instance internationale dans la répartition des zones d’influence des pays les plus puissants, et ici de l’aide apportée à l’action de la France au Tchad. Nicolas Sarkozy, dans son discours de La Rochelle de mars 2008 nous explique le rôle de l’ONU en ces termes :


«
Le Conseil de sécurité de l'ONU a condamné les attaques [des rebelles] et appelé ses membres à apporter leur soutien au gouvernement du Tchad, il faut laisser le Tchad tranquille » et « arrêter maintenant avec ces actions rebelles
».
L’action française au Tchad reçoit également la bénédiction et le soutien actif de l’Union Européenne, grâce à l’action de l’Eufor - force européenne au Tchad (ancienne opération française « Epervier ») - qui a pour but affiché de protéger les 45 000 réfugiés du Darfour et les déplacés tchadiens et centrafricains, et qui n’est en réalité que la caution européenne donnée à une présence militaire française accrue au Tchad. En effet, sur ses 3 700 soldats, 2 100 sont français.

Mais l’Eufor ne joue pas uniquement le rôle de caution de l’action française au Tchad : les autres gouvernements européens y trouvent également leur compte. Ainsi, la participation de soldats néerlandais n'est pas un hasard. La société Shell (anglo-néerlandaise) est entrée pour une part importante dans le capital du consortium pétrolier tchadien.


Le soutien de l'Union Européenne s'explique donc par ces sommes d'intérêts des classes dominantes des différents pays d'Europe qui comptent bien maintenir ou développer leurs intérêts sur place.


Quant au rôle de la Banque mondiale, nous avons déjà vu que son aide est précieuse.


La France, dans son entreprise, ne se comporte donc pas en délinquant de la communauté internationale, et ne reçoit aucune réprobation.



Parlons maintenant de changer cette situation


Le cas de l’impérialisme français au Tchad n’est qu’un exemple. L’impérialisme est issu du capitalisme. A un stade de développement donné, les entreprises et donc les Etats des pays développés doivent trouver de nouveaux débouchés pour leur production, trouver de nouvelles sources de profits, sous peine de voir d’autres pays et d’autres entreprises en tirer partie, et les engloutir. S’attaquer à l’impérialisme, cela signifie donc nécessairement s’attaquer au système capitaliste qui l’engendre. Et donc renverser les personnes qui font tenir ce système car elles en tirent profit : la classe dominante, celle des Martin Bouygues, des Sarkozy, des Idriss Déby. Cette classe est bien consciente de ses intérêts, et les défend sans prendre en compte la violence qu’elle génère pour les Tchadiens par exemple, mais également pour les sans-papiers qui se font exploiter en France dans les entreprises de BTP, pour les travailleurs licenciés pour plus de profits, exploités ici comme ailleurs. Pour elle, la lutte des classes n’est pas une fiction, mais une donnée qu’elle exploite savamment, pour la défense de ses intérêts. Comme l’a dit Warren Buffet, un spéculateur qui fait partie des hommes les plus riches du monde, cité dans le
Canard enchaîné du 22 octobre 2008, « la guerre des classes existe, c’est un fait, mais c’est la mienne, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner ».


Sources


Ouvrages


-
Projet pétrolier Tchad-Cameroun. Dés pipés sur le pipe-line. « Dossiers Noirs », association Agir ici, Survie.
- Tchad, le procès d’Idriss Déby - Témoignage A Charge, Ngarlejy Yorongar
- Noir Silence, François-Xavier Verschave.
- La Françafrique. Histoire du plus long scandale de la République, François-Xavier Verschave.
- Planète bidonvilles, Mike Davis.

Articles


- discours de Nicolas Sarkozy à Dakar, le 26 juillet 2007

- discours de Nicolas Sarkozy à Dijon, le 23 avril 2007 (discours de campagne)
- « Où est passé l’argent du pétrole tchadien ? », Anne-Claire Poirson, Monde diplomatique, septembre 2005
- « Nicolas Sarkozy obtient du Tchad la promesse d'une enquête », Emmanuel Jarry, Le Monde, 27 février 2008
- « Tchad : l'Elysée était partagé sur l'intervention », Le Monde, 07 février 2008
- « La France et l'Eufor prises dans la tempête tchadienne », Thierry Oberlé, Le Figaro, 08 février 2008
- « Sarkozy : « La France fera son devoir au Tchad » », Le Figaro, 05 février 2008
- « Tchad, un vrai conte de fées », JF J, Le canard enchaîné, 13 février 2008
- « Ingérence à l’ancienne au Tchad », Philippe Leymarie, Monde diplomatique, 2006
- « Tchad, Une dictature qui ne survit que grâce au soutien de la France », Lutte de classe n° 111, mars 2008
- « La gueule ouverte », Le canard enchaîné, 22 octobre 2008

 

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18 février 2010 4 18 /02 /février /2010 16:17

Juillet 1961 : SIBITI (Congo)

 

Mon congé en France se prolongea pendant un an. A l’expiration de ce temps, je fus mis à la disposition du Ministre de la coopération qui me plaça en position de service détaché et me mit à la disposition du Gouvernement du Congo (Brazzaville) que je rejoignis le 23 juillet 1961. Le président Fulbert Youlou était alors Président. Depuis 2 ans déjà, il avait pris la décision d’africaniser les fonctions de Chef de district. Si cette décision fut appréciée des bénéficiaires d’une façon générale, elle fut fort mal accueillie par la majorité de la population. Cette dernière envoya, d’un peu partout des délégations à Brazzaville, pour obtenir l’annulation de cette mesure. Mais le Président Youlou ne voulut rien entendre. Dans les premiers mois de l’année 1961, le Président de la République du Congo parla de confier les fonctions de Chef de région à des Congolais. Le projet souleva, à travers tous le Congo, plus que de l’émotion. Ce fut presque une révolution. Bien qu’il n’exista à l’époque aucun groupement ou association ou syndicat, de tous les points du Congo, de toutes les ethnies, des délégations convergèrent vers Brazzaville. Elles se firent recevoir par Mr Youlou. Toutes tirent à peu près le même langage :

 

-         Il y a deux ans, tu as voulu confier les fonctions de Chef de district à des Congolais. Nous n’étions pas d’accord, mais tu n’as pas voulu nous écouter. Et maintenant, tu parles de nommer des Chefs de région congolais. Nous ne pouvons accepter cela. Des Chefs de district congolais, c’est déjà beaucoup. Nous ne pouvons admettre que les Chefs de régions soient également congolais. Si la chose devait arriver, qui est-ce alors qui nous rendra justice.

 

Devant une pareille opposition, Fulbert Youlou recula et décida de demander à la France de mettre des Administrateurs à sa disposition. C’est ce qui me valut de partir. A mon arrivée, je fus informé que j’étais nommé Chef de la région de Bouenza Louesse, ou plutôt Préfet car c’était la nouvelle appellation décidée par le président Youlou. Je pris l’avion de Brazzaville à Dolisie qui était également une station de chemin de fer de la ligne Congo-Océan. Cette dernière reliait les port de Pointe Noir à  Brazzaville.

Lorsque je parvins à  Sibiti, je fus l’objet de grandioses manifestations auxquelles j’étais loin de m’attendre. La population qui était déjà informée de mon arrivée me fit une réception délirante. Elle était tellement heureuse de la venue d’un Administrateur Français qu’elle laissa éclater sa joie. Je remerciais chaleureusement la foule. Mais je dus l’inciter à plus de calme et  de modération.

«  Je ne voudrais pas dis-je, qu’à Brazzaville, on puisse supposer que j’ai l’intention de proclamer la République de Bouenza Louesse dont je serais le président. Bien que Français, vous devez me considérer comme un fonctionnaire congolais qui représente ici votre Gouvernement et votre Président de la République. Alors, si vous le voulez bien, nous allons ensemble nous mettre au travail et œuvrer pour le plus grand bien du Congo. Durant tout mon séjour parmi vous, je serai à votre disposition pour accueillir vos suggestions et vos propositions. »

 

(p398)

« le café »

« L’une des ressources les plus importantes au Congo vient de l’exploitation de la forêt. Toutefois, cette activité est réservée aux seuls Européens. Elle nécessite, en effet, un capital très important et dépasse de beaucoup les moyens de l’Africain le mieux nanti. Le bois de beaucoup le plus recherché et le plus exploité est le « limba ». C’est un bois de nuance très clair. La demande la plus forte vient de l’Allemagne. Des quantités énormes sont expédiées à Hambourg. Le repérage de leur peuplement se fait d’avion par photographies infrarouges. Après l’avoir repéré, l’exploitant doit ouvrir des routes avec des bulldozers, afin de pouvoir procéder à l’abattage et à l’évacuation des billes. Aussitôt que l’exploitation d’un site est achevée, la route devient la propriété du gouvernement du Congo. »

« Le Latex »

 

(p401)

« J’avais déjà effectué la moitié de mon séjour, lorsque je fus informé, par la voie officiel de la visite du président Fulbert Youlou. »

« Le Président Fulbert Youlou nous quitta vers 16 heures en direction de Dolisie, chef lieu de région. Mais auparavant, s’adressant à moi à brûle pourpoint, il me dit :

 

-         Ah, Monsieur l’Administrateur, il faut que vous me donniez 5 millions.

-         Monsieur le Président, je souhaiterai pouvoir vous donner cette somme. Cela prouverait au moins que je suis riche mais c’est loin d’être le cas .

-         Non, monsieur l’Administrateur, il n’est pas question de cela. Vous m’avez mal compris. Je vous demandais simplement de donner l’ordre à votre Agent Spécial (comptable du trésor) de me remettre cette somme !

-         Je regrette infiniment, Monsieur le Président mais la chose est matériellement impossible et sous aucun prétexte, je ne peux donner un ordre pareil !

-         Mais enfin Monsieur l’Administrateur, je suis le Président du Congo, c’est à dire le Chef de tout le Congo ! j’ai bien le droit, en tant que tel, d’exiger lorsque j’en ai besoin que l’Agent Spécial me remette la somme que je demande !

-         Monsieur le Président, vous êtes le Chef d’un état qui est régit par des règles que vous avez le premier le devoir et l’obligation de respecter et de faire respecter.

 

Il n’insista pas mais sembla se considérer comme victime d’une offense personnelle.

«  Trois mois environ avant la fin de mon séjour, je contractais une broncho pneumonie avec rechute un mois après et se déclaraient les premières crises d’asthme de ma vie. Je sollicitais mon rapatriement auquel je pouvais, du reste, prétendre après deux ans de séjour. Je fus donc le dernier Administrateur français à servir le Congo. »

 

Juillet 1963 : retour en France

 

«  Avant l’indépendance, les Africains qui en faisaient la demande, se voyaient accorder un permis d’achat de fusil à canon lisse. Pour eux, il n’existait pas de permis de chasse en raison même de l’abondance de la faune. Par contre le permis de chasse pour les détenteurs d’un fusil à canon rayé était assez élevé. Seul les européens pouvaient l’obtenir d’autant que l’achat d’une arme lourde représentait une vraie fortune. Aussi, il existait une réglementation stricte qui interdisait d’abattre plusieurs animaux (buffle, girafe, antilope,éléphants… ). Le chasseur ne pouvait abattre un jeune animal, à plus forte raison une femelle… Ces règles, du reste, satisfaisaient parfaitement les européens. Ils ne chassaient pas en effet pour la viande, mais bien plutôt pour les trophées. En outre après avoir tué un animal, les chasseurs devaient se présenter au district voisin et payer un droit d’abattage. C’était là une formalité sans laquelle ils ne pouvaient obtenir un certificat d’origine qui permettait d’exporter son trophée. La fraude n’existait-elle virtuellement pas.

Un mois avant mon départ, le Président Youlou pris la décision d’autoriser tous les Africains à posséder une arme lourde sans aucune condition et sans permis. Aussi dans le dernier rapport politique que j’adressais au Gouvernement, j’exprimais les plus grande réserve concernant cette décision. J’émettais l’avis que cette mesure était le prélude à l’extermination de la faune, en rappelant que la chasse avait constitué jusqu’à lors une des recettes importantes du budget. Par ailleurs, le tourisme injectait, annuellement, des sommes appréciables dans l’économie locale. Je concluais en disant : «  Et quand il n’y aura plus de gibier à tuer, à quoi serviront les armes ? Le Gouvernement risque alors de regretter vivement la décision prise aujourd’hui. »

Monsieur Foulbert Youlou dut se réfugier un peu plus tard en Espagne.

 

Après mon retour en France, par mon ami Kounkou, j’eus des nouvelles du congo. C’est de cette façon que j’ai pu apprendre l’installation progressive de l’anarchie dans le pays. Le Gouvernement fit appel successivement aux Chinois, puis aux Russes, enfin aux Cubain. Dans chaque village, les gamins furent armés. On leur confia le droit, pour ne pas dire l’obligation d’ arrêter et de contrôler tous les véhicules qui traversaient le village. La situation devint très grave. Tout le monde avait tous les pouvoirs »

A la lecture de ces informations, je pensais souvent à la sagesse du Président Toumbalbaye au Tchad. J’étais un jour de conférence avec lui dans son bureau. Plusieurs membres influents de son entourage demandèrent à le voir. Il les reçut en ma présence. Ces derniers lui firent grief de continuer à entretenir des relations amicales avec la France. « Vous devez  tourner le dos à la France et faire appel à d’autres puissances. Vous obtiendrez beaucoup plus. Du reste, nous savons que vous avez reçu des proposition alléchantes et concrètes. Alors pourquoi n’acceptez vous pas ce que l’on vous offre ? »

Toumbalbaye leur répondit : « Messieurs, la France, spontanément, nous a donné l’indépendance, ce n’est pas pour nous imposer à nouveau le joug colonial. Les autres puissances, par contre, nous font des propositions mirifiques, c’est vrai ! Mais si nous les acceptons, elles auront tôt fait de nous imposer un régime néo-colonialiste, dont il sera difficile de ce défaire. »

 

Juillet 1966 : Kinshasa

 

 

(p410)

«  Je demeurais durant 3 ans à ronger mon frein avant de recevoir une nouvelle affectation. Enfin, le 3 septembre 1966, j’embarquais à Nice pour Kinshasa. J’avais été mis à la disposition du Gouvernement sur sa demande comme conseiller technique. » 

« Très vite, j’ai été amené à constater que toutes les fonctions de direction étaient tenues par des Français. C’est ainsi que nous étions environ une quarantaine d’Administrateurs français pour faire tourner la maison. Il en était de même dans les services techniques : tous les ingénieurs étaient Français. Le service de santé ne faisait pas non plus exception. Seuls, les emplois subalternes étaient encore tenus par des Belges. Il était du reste évident que les Noirs du Zaïre manifestaient une très grande sympathie pour les Français.

 

La population locale paraissait avoir conservé un très mauvais souvenir de l’administration belge. Elle semblait ne pas avoir oublié les exactions dont elle avait été victime.

C’est à Kinshasa que, pour la première fois, j’ai pu avoir des contacts fréquents et quotidien avec des Belges. Force m’a été d’avoir confirmation de la réputation qui leur est faite. Il est évident qu’ils sont vraiment lourd ! …

( orgueil, vanité, spéculation…) (le clergé au pouvoir…)

«  Après la révolution, et l’indépendance, beaucoup de Belges ne sont pas revenus. Toutefois, le Zaïre est un territoire très riche en minerais et en pierres précieuses. Il possède notamment le plus grand gisement de cuivre au monde. Il est donc normal et logique que tout le personnel d’encadrement de ces exploitation ait repris sa place. La tempête passée, les ordres religieux sont également revenus en force et on n’imagine pas leur nombre et leur variété. Dans un but d’illustration, j’en citerais quelque uns…. (plus de 100)

 

« J’en reviens maintenant à l’indépendance et à la période qui a suivi. C’est en 1960 que l’ancien Congo Belge accède à l’indépendance, sous le nom de Zaïre. Inutile de dire qu’aussitôt les ambitions et les compétitions se succédèrent. Patrice Loumumba, qui jouissait d’une grande popularité, devint chef du Gouvernement à Kinshasa, alors que Joseph Kasavudu devenait chef de l’état. Mais, en même temps, dans le sud, la province du Katanga (autrefois le Saba) faisait sécession, avec Moïse Tshombe, qui, installé à Lubumbashi, capitale du Katanga, devenait Chef de l’Etat.

 

Le Katanga était une province riche, avec ses gisements de cuivre, de manganèse, et de cobalt. Un an après, Lubumba était assassiné. Au cours de la même année, les forces de l’ONU étaient amenées à intervenir au Katanga. Ce n’est que deux ans plus tard, en 1963, que pris fin la sécession de Katanga. En novembre 1965, à la suite d’un coup d’état, Mobutu accéda à la Présidence de la République. En 1966, Mobutu, devint aussi chef du Gouvernement.

De 1960 à 1965, l’anarchie totale s’était installée au Zaïre. Des groupes armés, revêtus d’uniformes militaires, pillaient systématiquement le pays et faisaient la loi. Il ne faisait pas bon s’absenter de sa résidence. Il ne faisait pas bon non plus de circuler en ville. A tout instant, on pouvait être arrêté et mis en prison. En demander la raison était inutile…

 

Mobutu mit fin, tout au moins en apparence, à l’anarchie. C’est à dire qu’à partir de ce moment, lorsqu’un groupe armé, revêtu de vêtements militaires, non encadré, non muni d’une commission, commettait une exaction, on savait qu’il agissait sur l’ordre de l’autorité…

 

../..

 

(p421)

« Le Zaïre ayant conquis sont indépendance, il fallait mettre sur pied une nouvelle organisation administrative calquée, bien entendu, sur la précédente. Mais la tâche paraissait relever de la gageure, étant donné que les masses de Zaïrois n’avaient reçu qu’une formation primaire élémentaire. En effet, d’une toute petite minorité de gens aptes et assidus, fourmillaient des incapables, qui par l’épaisseur de leur ignorance, ralentissaient le fonctionnement des services. Aussi faudra t-il encore beaucoup de temps au Zaïre avant qu’il soit apte à se suffire à lui même. »

 

(p427)

Lorsque j’étais élève de l’ENFOM, avait eu lieu à la radio un grand concours d’éloquence entre les élèves des grandes écoles. Ce fut un élève de l’ ENFOM qui gagna le concours. Son discours s’intitulait « L’ONU, arme moderne de l’impérialisme américain ». A l’époque, j’avais admiré l’éloquence de ce camarade, mais j’avais été septique quant à ses affirmations.

 

Depuis lors, je me suis parfois posé des questions et me suis demandé s’il n’y avait pas un fond de vérité dans les affirmations de ce camarade. Je prendrais un exemple entre autres. Peut après l’accession du Zaïre à l’indépendance, le Katanga fit sécession. Presque aussitôt les tribus se soulevèrent contre l’autorité locale. La révolte fut tellement dure et meurtrière qu’en 1961, les forces de l’ONU durent intervenir. L’Etat Major de ces forces s’installa à Kinshasa dans le plus luxueux et le plus grand hôtel : l’hôtel Royal. C’était la tour de babel. On y entendait parler toutes les langues, à se demander qui comprenait l’autre. Grâce à l’intervention des forces de l’ONU, la révolte des tribus du Katanga pris fin en 1963. Le calme étant revenu, les troupes de l’ONU quittèrent le Katanga et rejoignirent leur pays respectif. Il en fut de même des Etats Majors qui libérèrent l’hôtel Royal et le rendirent à sa destination première. Tous les représentants des pays concernés rejoignirent leur pays d’origine en laissant au Zaïre que le souvenir de leur présence. Un seul fit exception : l’Amérique. Elle installa dans le centre de Kinshasa un bureau d’informations économiques et culturelles. Elle s’est donc implantée dans le pays à l’ombre de l’ONU. Ce qu’elle n’aurait pas fait autrement. Alors, il est permis de se demander s’il n’y a pas un fond de vérité dans les informations de ce camarade vainqueur à l’époque d’une joute oratoire.

 

Septembre 1966 : Retour en France

 

« Ce fut mon dernier séjour en Afrique, ce fut aussi le moins intéressant pour moi, en raison du fait que j’avais mené, à Kinshasa, la vie du parfait fonctionnaire. Elle n’était pas de nature à me plaire. Il y manquait les contacts humains, les responsabilités, les risques, les initiatives, les événements imprévus devant lesquels il fallait faire front immédiatement, la variété infinie des activités ! C’est avec une grande nostalgie que je quittais l’Afrique. Je savais que c’était la fin de toutes activités et cependant je me sentais en pleine forme. J’avais connu à la fois l’indépendance et l’esclavage : L’esclavage à mes devoirs et à mes obligations, l’esclavage à ceux que j’administrais et auxquels je me suis toujours consacrés entièrement.

 

Posteface :

 

Et actuellement, en 1991, ce que je ressens, c’est un certain sentiment d’injustice à notre égard. Cette affirmation peut surprendre. Pour la comprendre, une explication est nécessaire. J’ai appartenu, comme mes camarades, bien entendu, au cadre le plus élevé de la hiérarchie nationale et par voie de conséquences, nos traitements étaient également les plus élevés. Or, vers les années 1955, le gouvernement avait décidé de procéder au reclassement de la totalité des cadres de la nation. Seul, celui des Administrateur ne l’a pas été. Mr Giscard d’Estaing, alors Ministre des Finances, s’y est opposé, sous le prétexte que l’empire était en train de se lézarder et qu’il risquait fort de se disloquer.

 

Jusqu’en 1964, les conséquences prises à notre encontre n’étaient pas encore très sensibles. Toutefois, depuis lors, plusieurs reclassements ont eu lieu, plusieurs dévaluations ont été effectuées. Si on ajoute à cela l’inflation annuelle, il est facile de se rendre compte que notre situation s’est très gravement détériorée. En 1964, sans être Rothschild, j’étais riche ou tout au moins, je jouissais d’une très large aisance. Mon traitement mensuel à l’époque s’élevait à 1 million. J’ai pu sans difficulté faire face aux études de nos 4 enfants. : un ingénieur, une docteur es pharmacie, un professeur, un géomètre. J’ai également acheté à l’époque un assez grand appartement et je l’ai meublé sans crédit supplémentaire. Je pouvais, malgré cela offrir quelques voyages à ma famille.

Mais actuellement, j’en suis réduit à la portion congrue. Le montant mensuel de ma pension est de 12 000 francs. Que puis-je faire avec cela ? Payer péniblement mes impôts et taxes, ma cotisation à une mutuelle, les assurances diverses. Toutes dépenses sortant de la routine, même vestimentaires, me sont interdites. Je prends la chose avec philosophie. Mais, lorsque j’imagine ma femme qui a onze ans de moins que moi, sera seule un jour, c’est alors que je ressens vraiment un sentiment d’injustice. Elle n’aura plus alors, avec les mêmes charges, que le minimum pour vivre. En 1964, le gouvernement a décidé qu’il était inutile de revaloriser les traitements des Administrateurs, étant donné qu’ils avaient de droit accès sur leur demande à tous les cadres supérieurs et en outre aux plus hauts de l’échelle. Et le statut de Cadre des Administrateurs de la FOM, devint celui d’un cadre d’extinction.

Evidemment, la chose était intéressante pour tous les Administrateurs plus jeunes que moi. Mais moi, je n’avais plus que 5 ans avant d’arriver à la retraite. Je ne pouvais dans ces conditions faire carrière dans un autre cadre. Par contre, mon adjoint de Fianga est Ambassadeur en Iran depuis un certain nombre d’années. L’ancien cadre des Administrateurs de la FOM  a de ce fait fourni à la France, au moins :

 

-         109 ambassadeurs

-         76 préfets

-         8 inspecteurs de finances

-         18 conseillers à la cour des comptes

-         16 membres du conseil d’Etat

-         10 conseillers à la cour de cassation

-         6 premiers présidents à la cour d’appel

-         8 procureurs généraux à la cour d’appel

-         4 présidents du tribunal administratif

-         4 inspecteurs généraux du travail

-         1 premier ministre

-         3 ministres

-         12 députés

-         6 sénateurs

 

et ces renseignements sont loin d’être à jour.

 

En 1964, un décret récent prescrivait la mise en congé de longue durée de 5 ans de tous les Administrateur qui n’avaient pas opté pour un autre cadre ou qui à l’époque se trouvaient sans affectation. Et voilà pourquoi, j’ai été placé en position de congé longue durée de 5 ans, à compter du 12 juin 1964.

 

Ainsi, en outre, du fait que mon traitement est resté le même depuis 1964, je n’ai pas non plus participé à l’avancement durant toute cette période. Par voie de conséquence, il ne m’a pas été possible d’atteindre l’échelon le plus élevé de mon grade, ce qui aurait sensiblement amélioré le taux de ma pension.

 

De tout cela, je n’en fait pas une maladie et n’en fait  pas non plus le sujet de mes conversations quotidiennes. Mais, par contre, chaque jour, dans mon for intérieur, je ne peux m’empêcher d’éprouver un sentiment de très grande injustice en pensant à la situation de ma femme quand je ne serai plus là.

 

Mais tout ceci n’est qu’une incidente qui ne peut en rien me faire oublier, ou regretter le merveilleux métier qui a été le mien. Ce que j’ai raconté de ma vie, de mes activités, de mes fatigues, parfois de mes épuisements, n’a qu’une valeur de témoignage d’une métier qui n’existe plus et n’existera plus jamais. En aucune façon, il a été dans mes intentions de vouloir me présenter comme un homme exceptionnel. Le très grande majorité de mes camarades ont pareillement aimé leur métier, il fallait être bâti à chaux et à sable. Il fallait avoir du caractère et une volonté effroyable. Notre plus grand ennemi a été l’isolement, et la solitude, solitude de la fonction d’abord, mais surtout solitude du milieu. Au début de ma carrière, j’ai connu des camarades qui n’ont pas pu la supporter. Quelque uns ont fait de la dépression. D’autres se sont mis à boire. Les uns et les autres ont été rapatriés définitivement. Et pourtant, le volume de nos activités était tel qu’il suffisait à occuper les jours, les nuits, les jours dit fériés et les fêtes officielles. C’est pourquoi personnellement, je me suis toujours demandé comment on pouvait s’ennuyer. Combien nous avions de ressemblance et de parallélisme avec ces pilotes de la ligne dont parle Saint-Exupéry. Je me souviens avec émotion de mon premier départ en brousse où j’était tout seul à assumer toutes les responsabilités, et à décider. J’y retrouve toutes les sensations et toutes les émotions du moment dans ses livres.

 

../..

 

Il est infiniment regrettable que de misérables politiciens en mal d’électeurs , vers la fin de ma carrière, aient inventé le terme de « colonialisme » propre à attiser la réprobation, je dirai même la haine à l’encontre de tous les Français vivant Outre-Mer. J’admets qu’il existait des individus que j’appelle des « petits blancs ». ceux là, par leur comportement ont souvent défiguré le visage de la France. Ceux-là qui en métropole occupaient le bas de l’échelle sociale, sous prétexte qu’ils étaient blancs en pays noir, avaient la prétention de jouer les seigneurs. Ils étaient exigeants, méprisants et souvent brutaux à l’égard des Africains. Mais ceux-là, nous les avons toujours combattus et rappelés à l’ordre et avons bien souvent pris des sanctions à leur encontre. Je me souviens en ce qui me concerne du mécanicien de l’Institut de Recherche du coton et des textiles de Fianga. Une première fois, je l’avais convoqué pour le mettre en garde. Quotidiennement, il injuriait son personnel et bien souvent le frappait. N’ayant pas tenu compte de mes réprimandes et de mes conseils, je l’embarquais huit jours après sur un avion à destination de la France. Il ne revînt jamais.

 

Le seul mal que nous, nous ayons commis, c’est d’avoir arraché les Noirs à la maladie, à la famine et à la mort, d’avoir amélioré leur condition de vie, tant sur le plan physique qu’intellectuel. Nous avons construit des écoles pour les jeunes et actuellement il n’y a plus d’analphabète parmi eux et le nombre d’illettrés diminue. On peut toujours nous dire pourquoi leur avoir appris à lire et à écrire ? Ils n’en n’avaient pas besoin ! je laisse répondre Saint-Exupéry : « Pourquoi apprenez vous l’astronomie à un bûcheron ? En effet, celui-là n’en n’a pas besoin, mais un autre homme naîtra !. »

 

Pourquoi avoir inventé ce mot horrible de colonialisme ? C’est simple et habituel. Il faut faire vibrer l’âme des Français. Car épris d’idéal et de justice, sentimental et émotif, enthousiaste et timoré, tel est le Français. Sa nature lui fait un besoin de s’exalter ou de s’indigner. Il aime mettre ses nerfs à l’épreuve. Toujours prêt à la révolte contre l’iniquité, il recherche tout ce qui peut éveiller un écho dans son âme. Faute d’objets réels, on lui invente des chimères, on lui fabrique des épouvantails. Un mot vide de contenu suffit à le complaire. Ils le savent bien les politiciens, qui fabriquent des fantômes à l’usage des foules pour le plus grand profit d’un parti et dans l’intérêt de quelques hommes. Mais le Français est satisfait car il peut se gargariser d’un slogan. Peut importe qu’on le trompe. Il ne se soucie même pas de le savoir. Un mot suffit pour que soient traînés aux gémonies les hommes qui, humblement, silencieusement, au prix d’une volonté admirable, et souvent de leur vie, ont fait la grandeur de la France. Réaction, capitalisme, militarisme, communisme, fascisme, colonialisme, cléricalisme, et bien d’autres termes encore sont autant d’épouvantails qui soulèvent des passions et entretiennent des remous au sein de la nation. Peu d’individus seraient capables d’en analyser les substances. Mais pour cela même, ces étiquettes, réduisant le champs visuel des Français, facilitent le jeu des combinaisons politiques.

 

C’est ainsi que se crée une psychose dangereuse, une aberration de l’opinion qui conduit à des catastrophes nationales de l’ampleur de celle que nous avons vécue en 1940.

 

A l’époque, où le terme colonialisme a pris naissance, il s’agissait de s’attaquer à l’œuvre coloniale française. Mais qu’était-ce au juste que le colonialisme : personne ne le savait, même pas ceux qui avaient lancé le mot, dont aucun ne s’était rendu Outre-Mer. Non, je fais erreur ; il y avait un journaliste qui le savait, pour avoir en tout et pour tout passé quinze jours en Indochine du côté d’Ho Chi Minh, c’est M. Boutien, rédacteur en chef du journal Combat. Le colonialisme disait-il « c’est une machine à drainer du fric et à refouler le boulot. »

 

Qu’avaient-ils donc en tête ces politiciens ? Quel but poursuivaient-ils ? Pourquoi avaient-ils ainsi voulu vilipender la tâche de ceux qui, souvent sans gloire, sans honneur, parfois abandonnés de la mère patrie ont fait flotter notre pavillon sur des terres lointaines et sont allés, donnant le meilleur d’eux mêmes, apporter aux peuplades primitives et malheureuses d’Outre-Mer, un peu de rayonnement bienfaisant de la France ? Mais savait-il ce journaliste, savaient-ils ces politiciens qui jetaient l’anathème sur les artisans de la grandeur française et condamnaient en bloc l’œuvre colonisatrice de la France, savaient-ils de quoi était faite la vie de cette armés d’exilés, d’hommes inconnus et méconnus, qui ont pourtant écrit une des plus belles pages de notre histoire ? Savaient-ils la dose de volonté, de courage, d’énergie qu’il leur fallait déployer pour accomplir leur tâche quotidienne. Vivre seul parfois des années, isolé du monde, sans parents, sans ami, sans médecin, sans journaux, sans livre, sans radio, sans théâtre, perdu dans la brousse ; tout faire sans moyen, sans argent, sans matériel, souvent sans compétence :car il fallait les avoir toutes : travailler sans cesse et malgré la maladie ; effectuer dix longs jours de tournée à pieds ou à cheval, grelottant de fièvre, ne jamais s’arrêter, toujours lutter contre soi même, contre le climat, contre l’inertie des indigènes ; être en service de jour et de nuit ; toujours avec ses préoccupations et ses soucis, ne jamais pouvoir s’évader, se refaire une tête neuve, des forces neuves ; ne connaître ni dimanche, ni jour de fête, vouloir le mieux être de l’indigène contre lui même, le protéger de la famine, l’arracher aux misères physiques malgré lui même, être l’Administrateur, l’agriculteur, l’ingénieur, le vétérinaire, le médecin, être le juge, le conciliateur, celui de qui on attend la sentence juste et impartiale, être celui qu’on craint parfois, mais du quel, passivement, l’indigène attend qu’il soit un magicien, car il n’imagine pas que le blanc puisse avoir besoin de sa collaboration, être le centre vital d’un pays, la tête d’où tout rayonne et où tout aboutit, voilà quel a été notre lot. Et j’ose affirmer que beaucoup de nos détracteurs auraient eu de belles leçons à apprendre de nous. S’ils s’étaient donné la peine de connaître ce dont ils parlaient, ils auraient découvert avec étonnement que les vieilles qualités françaises brillaient toujours du même éclat Outre Mer. Grandeur et servitude de la vie coloniale : voilà comment pourrait être intitulé l’histoire de la colonisation française.

 

Ses détracteurs connaissaient mal l’histoire de monde ou ne la connaissaient pas du tout. Ils semblent ignorer que le soleil se lève à l’est et que la civilisation nous est venue d’Orient. De proche en proche, elle s’est propagée jusqu’aux confins de l’Occident. Chaque peuple, à son tour a été colonisé. Et chaque peuple en est sorti enrichi : enrichi dans sa pensée, enrichi dans ses connaissances, enrichi dans son comportement ! Ils semblent ignorer que la France n’a pas fait exception à la règle, puisque la Gaule a été colonisée successivement par les Romains, par les Germains, par les Francs, les Alains, et enfin par les Arabes. A tous ces envahisseurs, nous devons d’être ce que nous sommes ! Dans quel état primitif serions nous demeurés sans cela ? Lorsque je me remémore maintenant l’état dans lequel j’ai découvert les Africains il y a soixante ans et celui qu’ils ont atteint aujourd’hui, je me rends compte que, sans conteste, ils ont accompli depuis lors un pas de géant.

 

Et je m’en réjouis avec tous les camarades. Nos séjours africains étaient un minimum de deux ans. Durant ces deux ans, sans répit, et sans tenir compte de notre état de fatigue et souvent de santé, nous oeuvrions jour et nuit, pour faire avancer les choses, pour faire un nouveau progrès. A chaque fois, lorsque notre séjour s’achevait et que nous partions en congé, nous éprouvions un sentiment de déception, de découragement. Nous étions amers car nous avions l’impression d’avoir perdu notre temps, amer de constater notre échec. Mais après six mois de congé, nous revenions tout neufs, décidés à chaque fois à accomplir une révolution ! Et le séjour terminé, nous retombions chaque fois dans la désespérance. Combien il est dur de lutter contre des habitudes ancestrales, contre des coutumes vieilles comme le monde, contre des traditions indéracinables !

 

L’évolution, cependant, s’accomplissait, mais elle était très lente et sous-jacente. Aussi a-t-il fallu plusieurs décades pour prendre conscience que nous n’avions pas œuvré en vain et que grâce à notre persévérance, nous avions réussi à gagner une belle victoire. Ce n’est qu’après trente ou quarante ans que nous avons pu nous réconcilier avec nous mêmes et voir la certitude que nos fatigues, nos maladies, notre travail n’avaient pas été vain.

 

Ainsi en 1956, à Fianga, j’avais tenté en matière d’agriculture, de remplacer l’usage de la petite houe à lame et manche très court, par l’utilisation de la charrue, tractée par des bœufs et de faire adopter la charrette pour remplacer le transport à tête d’homme. Après trois ans de séjour, j’ai quitté Fianga avec l’horrible impression d’une défaite. Or, vers les années 1985, un père missionnaire, que j’avais connu à Fianga, arrivant de Tchad vint me faire une visite impromptue à Nice. Aussitôt que je lui eut ouvert la porte, il me dit : «  Monsieur l’Administrateur, je vais vous annoncer une nouvelle qui va, j’en suis sûr, vous remplir de joie ! A ce jour, dans le district de Fianga, plus aucun cultivateur n’utilise la houe traditionnelle. La totalité des habitants laboure à la charrue et transporte leur récolte sur des charrettes. » J’avoue que je ressentis une très grande joie ! A partir de ce jour, je sus que je n’avais pas perdu ma vie et que toutes les graines que j’avais semées, avec amour, avaient germé et qu’elles avaient fructifié. Tous les doutes et toutes les déceptions que j’avais ressenti s’évanouissaient soudain pour laisser la place à une certitude de victoire. J’étais pleinement heureux.

 

Ce sept septembre dernier, j’écoutais radio bleue. Par le plus grand des hasards, il m’a été donné d’écouter l’interview d’Elisabeth de Gaulle, rescapée d’Auschwitz et présidente d’une œuvre humanitaire. Je ferai mienne sa conclusion :

 

« A quoi servirait la vie, si on ne la donnait pas ! »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Annexe

 

 

 

Institut de France

Académie des sciences morales et politiques

 

Paris

Le secrétaire perpétuel

 

Mr . Degoul appartient à cette génération d’Administrateurs de la France d’Outre mer dont la carrière a commencé dans les années trente avant la seconde guerre mondiale, au temps où l’empire colonial français semblait à son apogée et s’est terminée au milieu des années soixante, après les indépendances.

 

Il est de ceux qui n’ont pas quitté leur administration d’origine mais qui sont restés dans un corps d’extinction dont le sort était peu enviable.

 

Mais il ne s’en plaignait pas car il aimait l’Afrique où il a servit la France et les Africains pendant près de trente ans, au Togo et au Congo, au Tchad et pour finir au Zaïre. Et il aimait son métier d’Administrateur dont la raison d’être est d’établir, de consoler, de renouer ou de changer parfois, les relations entre les hommes

 

A travers son récit, souffle comme un air d’allégresse qui ne retombe que dans les dernières pages quand la fonction d’Administrateur a été transformée en celle de coopérant et que l’auteur en vient à s’interroger sur son utilité.

 

En cela le destin de l’auteur n’est pas différent de celui de grands coloniaux dont la fin est souvent triste car leur rêve a été brisé.

 

Pierre Mesmer.

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18 février 2010 4 18 /02 /février /2010 16:14
Janvier 1954 : Kourma

 

« Je me rappelle que vers le milieu de mon congé, j’appris que de graves incidents s’étaient produits dans le district de Kourma, voisin d’Archambault, si bien que l’on avait du faire intervenir l’armée. M’étant présenté au Gouverneur à mon arrivé à Fort Lamy, il me fit connaître mon affectation à Kourma… » 

« Au cours de la passation de service, j’eus l’occasion de me rendre compte que les adepte du PTT et son leader Toumbalbaye étaient nombreux dans le district de Kourma. Le chef du village de Kourma, lui même en était l’un des protagonistes. Pour cette raison, il ne s’entendait pas avec mes prédécesseur. J’appris en particulier qu’il avait fait de nombreuses demandes de permis d’achat pour un fusil de chasse à double canon. On ne lui avait jamais accordé, en raison de son appartenance politique. En contre partie, le chef du village passait son temps à s’opposer, par tous les moyens à l’autorité administrative. Il se refusait à collaborer à l’action élaborée par le Chef de district, en vue du progrès général de la circonscription. Aussi, dès que je fus en « charge » et pour la première fois de ma carrière, je décidais de ne pas suivre la politique de mes prédécesseur. Aussitôt que je le pus, je fis une visite au chef du village : ce que personne, avant moi, n’avait fait. Il en fut tout surpris et fort honoré. Au cours de la conversation, sans avoir l’air de rien, je lui demandais s’il était chasseur. Il me répondit par l’affirmative. Je lui demandais s’il avait un fusil. Il me répondit : « Depuis longtemps, j’ai adressé des demandes pour obtenir un permis d’achat. Je n’ai jamais pu en avoir. »

Je lu répondis : « Et bien, je vais combler cette lacune regrettable. J’ai apporté avec moi un permis d’achat que je te remets ! »

Le brave homme en bégayait et ne savait pas trop comment me remercier. Il n’en revenait pas. Aussi, à partir de ce jour, ce chef rebelle rentra dans l’orthodoxie et ne cessa de collaborer avec le Chef du district. Chose qui ne s’était jamais vu, dès la fin de la saison des pluies, sans que je l’en ai sollicité, il procéda au désherbage des abords des rues et au nettoyage de tous les caniveaux. Pour la première fois, on eut une ville propre. De mon côté, je m’attachais à avoir un réseau routier impeccable. Dans le même temps, je remplaçais tous les bâtiments en briques de banco et couverts en paille par des bâtiments en béton couvert de tôles. »

 

(p269 à 271)

Histoire de Bagheera la panthère apprivoisée qui restera 1 année dans la famille.

Les enfants viennent partager les vacances d’été.

 

(p304)

« Pour être admis dans le groupe des hommes ou celui des femmes, il fallait en tout premier lieu, à défaut d’état civil, avoir atteint un certain développement physique. Il fallait en outre subir des épreuves, souvent très dures, en particulier pour les garçons. Elles variaient avec les ethnies. D’une façon générale, l’une d’elle obligeait les garçons à survivre pendant un mois en pleine brousse, sans aucune arme, et sans aucun ravitaillement. Cela peut paraître simple à de jeunes européens mais il faut imaginer qu’à l’époque, la brousse était infesté de fauves, de buffles, d’éléphants, de serpents tous venimeux, de phacochères, d’hippopotames, de rhinocéros, de crocodiles, de cynocéphales et … j’en passe. Ils ne pouvaient compter sur l’aide d’aucune personne de la même ethnie. Par ailleurs, ils devaient éviter d’être surpris par des hommes d’une autre ethnie. Pour eux, c’eut été la mort ou l’esclavage. Alors, si l’ont tient compte de tous ces facteurs, on comprendra que l’épreuve était très dur et comportait de nombreux dangers. A cette épreuve s’en ajoutaient bien d’autres. Ceux qui avaient satisfait à tous ces tests devaient être capable de griffer leur mère ou d’enfoncer leur doigt dans son sexe. Etc. 

Je connais peu les épreuves auxquelles étaient soumises les filles. Toutefois, je sais qu’à la fin des épreuves, elles étaient appeler à subir l’excision. Cette opération correspondait en fait à une mutilation car on les privait d’un organe sensoriel important. D’une façon générale, c’était le forgeron du village qui procédait à cette opération. Quelle a été la pensée qui a présidé à l’instauration de cette pratique ? Cela paraît difficile à imaginer. Toutefois, je suppose qu’on pourrait y voir un symbole puisque c’est la toute dernière épreuve qui précède l’admission au stade de femme. Mais il n’est pas impossible, il est même certain, à mon avis, que le mâle, dès l’origine, doit avoir sa petite idée sur la question ! En supprimant l’un des organes du plaisir, il a voulu s’assurer de fidélité de la part de la femme. Si la chose s’est passé de la sorte, on peut affirmer que l’excision est un acte doublement odieux et condamnable ! »

 

Mars 1956 : retour en France

 

« Quand le lendemain matin, j’aperçu la terre de France, morcelée en parcelles de couleurs variées, j’avoue avoir été saisi d’une très grande émotion. Cette vision représentait pour moi, depuis des temps reculés, la vie d’une race, d’un peuple, d’une nation. Ce spectacle faisait apparaître à mes yeux les qualités de nos paysans de cette belle terre de France, mais aussi les qualités de tous les citoyens de ce pays, courage, volonté, obstination, travail, labeur dure et pénible, économie aussi, volonté de vivre et faire vivre, obstination devant l’adversité etc. Et toutes ces petites maisons qui, là en bas, fumaient en cette froide matinée de mars, évoquait pour moi la famille, l’amour de cette famille qui est le fondement de toute société ! Plus loin apparurent les villes, les usines, les cheminées, les trains en marche. Quelles images extraordinaires de calme, de douceur, de vie heureuse, pour celui qui, pendant plus de deux ans a connu un pays dur et pauvre, et à perte de vue, des terres tristes, parce qu’elles sont en friches, où la vie frôle toujours la mort. Quels doutes, quelles déceptions pour nous, quel découragement, lorsqu’on a conscience d’avoir tout fait, tout tenté pour aider ces pays, que nous aimions cependant, d’avoir l’impression de ne pas avoir été compris, de ne pas avoir été suivi et de s’être battu en vain ! Et puis, sans m’en rendre compte, je revins à nouveau, par la pensée, vers cette terre d’Afrique, sur laquelle j’œuvrais, de toute mon âme, depuis 1936. »

« Une pensée revenait toujours lancinante, dans ma tête : nos enfants, nos enfants que nous avions laissés en  France, à huit ans. C’était certainement un déchirement pour eux, mais également pour nous. Ce devait être dur pour eux ! mais j’avais beaucoup trop connu de familles, qui, pour n’avoir pas eu le courage ou la volonté de s’éloigner de leur progéniture, avaient fait des « fruits secs » de leur enfants, des ignares et des naufragés de la vie. Il y a en outre, à les garder près de soi, un grand écueil pour les enfants dont le père occupe de haute fonctions. Ils trouvent normal d’être environnés de domestiques et de n’avoir qu’un mot à dire pour être servis. Ils trouvent normal de participer à des réunions et des réceptions, et d’être les bénéficiaires indirects de la considération et du respect dont le père fait l’objet. Ils ne réfléchissent pas, ils ne pensent pas, ils n’envisagent même pas l’avenir. Mais, petit à petit, ils arrivent à se complaire dans cet écrin doré et douillet, et sans en avoir conscience, ils finissent par admettre la pérennité de cette situation. »

 

../..

 

Octobre 1956 : retour à Fort Lamy puis affectation à Fianga

 

.../..

 

« Après quoi, mon prédécesseur quitta Fianga en direction de la France. Ce cher camarade était vraiment sympathique et d’une très agréable compagnie, bien qu’il fut un peu bohème. Il était courant de le voir avec un pantalon dont le bord était décousu et une chemise passée dessus le pantalon, dont les boutons étaient partis en vacances. Les Africains qui cependant, n’ont pas pour habitude d’être des « dandys », loin s’en faut, remarquèrent, dès mon arrivée, que j’étais impeccable dans mon uniforme ; ce qui leur fit dire : « maintenant nous avons un Commandant. »

 

Maintenant que j’étais en charge, il convenait que je n’oublie pas les consignes formelles , données par le gouverneur, à mon arrivée à Fort Lamy. Il m’avait dit :

 

-         Degoul, vous allez prendre le commandement de Fianga ! Il s’agit d’une part de reprendre, immédiatement,  la main sur vos administrés. Par ailleurs, je compte, totalement, sur vous pour battre tous les records de production cotonnière. N’oubliez pas que nous avons besoin de devises pour l’équipement du territoire.

 

Fort heureusement pour moi, il existait dans mon district un centre de recherche scientifique sur le coton. Je décidais donc de faire une retraite d’une quinzaine de jour dans cette cathédrale de la science. Je me rendis compte, très vite, que mes connaissances sur le coton et sa culture étaient plus que superficielles. Je pris connaissance d’un grand nombre de rapports sur les semis et le cycle évolutif de cette plante. Je me fis initier aux essais en cours et prenais des notes sur ce qui me paraissaient essentiel. J’appris que le fait de semer fin juin ou début juillet, comme la pratique était courante, faisait perdre obligatoirement 50% de la production.

 

Pour procéder au semis, les Africains portaient en bandoulière un sac de graines de coton. De la main droite, ils tenaient un gros bâton pointu du côté du sol. D’un coup sec, à l’aide de ce bâton, ils faisaient au sol, un trou, appelé « poquet ». Avec la main gauche, ils prenaient quatre graines de coton qu’ils laissaient tomber dans le poquet.

..

En respectant à la lettre toutes ces données, j’étais donc sûr d’être gagnant. (75 000 pieds hectare, bonne répartition par rapport à la terre, date de semis etc.) restait maintenant à régler le problème du personnel.

Je considérais personnellement qu’on devait jouer avec les cartes qu’on avait en main. J’estimais, en outre, qu’à condition de bien s’y prendre, on peut, toujours, obtenir le maximum de tous les hommes. J’obtins gain de cause de la part du Gouverneur. Dès ce moment là, je convoquai un par un les contractuels et leur tins ce langage :

 

-         Vous êtes en fin de contrat dont le renouvellement n’a pas été demandé pour des raisons que j’ignore. Toutefois, cela ne constitue pas un indice favorable. Cependant, je me porte garant  pour vous et si vous voulez bien suivre et exécuter les directives que je vous donnerai et faire équipe avec moi, vous pouvez me faire totalement confiance. Vos contrats seront renouvelés avec une sensible augmentation de votre salaire. Le Gouverneur m’a demandé de battre cette année les records de production cotonnière et je veux obtenir ce résultat. A bon entendeur salut !

 

Je parlai dans le même sens au seul conducteur appartement à un cadre. Ce programme établie, je les réunis tous et leur donnai des directives très précises sur les opérations à effectuer, et leur fixai un calendrier.

J’entrepris une tournée générale au cours de laquelle je pris contact avec tous les Chefs de canton et de village. A chacun d’eux, je parlais du problème du coton et des dispositions que j’avais prises pour obtenir le résultat. J’ajoutait que je comptais sur leur collaboration totale !

Je crois uniquement au prosélytisme de l’exemple ! Les choses allèrent leur train. Au 25 mai, toutes les terres étaient défrichées et prêtes à recevoir les graines. La superficie demandée à chaque cultivateur était d’un hectare. A cette même date, les graines avaient été distribuées à chaque planteur, avec consigne de semer à la première pluie de juin.

Ce fut un vrai succès. Aux premières gouttes d’eau, le coton prit aussitôt racine. On procédât ensuite au démariage. Il était important aussi de veiller à ce que les plants soit biner au moins trois fois. Les choses s’étaient déroulées telles que je les avais voulues et d’avance, je savais que je serai gagnant.

 

Le record de production du district de Fianga avait été de 3000 tonnes avec un rendement de 150 kg hectare, ce qui revient à dire que le coton produit ne payait pas le travail effectué. Or, pour l’année 1957, dans ce même district, la production cotonnière s’éleva à 12 000 tonnes, soit un rendement de 600 kg à l’hectare. Jamais on n’avait vu autant de coton. Les paniers regroupés autour des villages, en attendant les marchés, ressemblaient à des champs de neige. Pour une fois, les cultivateurs furent largement payés de leur travail et tout le monde fut content.

Dans ce même temps, je pensais qu’il devait être possible, sur un plan agricole d’obtenir des résultats bien plus spectaculaires encore, tout en diminuant l’effort et le travail humain.

Je me trouvais en effet, dans un pays exceptionnel, habité par une race exceptionnelle, les « Toupouris ». Chose rare en Afrique, j’avais affaire à une race de Noirs éleveurs. De ce fait, ils bénéficiaient d’un régime alimentaire égal et même supérieur à celui des pays européens les plus riches.. Ils étaient à la fois cultivateurs, éleveurs et pêcheurs. Ils avaient donc  en abondance du lait, de la viande, des céréales et du poisson. Alors que d’une façon générale, les Noirs souffrent d’une carence notoire en viande et en matière grasse. Aussi les « Toupouris » ont-ils des tailles d’athlètes. La taille moyenne des hommes se situe entre 1 m 90 et 2 m 20. Hommes et femmes vivent entièrement nus. Ils sont très beau à regarder.

 

Malheureusement, si les Toupouris étaient éleveurs , ils ne savaient pas tirer parti de leur bétail pour améliorer leur culture d’une part et diminuer leurs efforts d’autre part. Aussi, dès le départ, j’ai pensé qu’il fallait leur apprendre à faire et à stocker le fumier afin de l’utiliser comme engrais. Ensuite, il convenait de dresser des bœufs à la traction : traction de charrues et de charrettes pour le transport du fumier et des récoltes.

 

Avant toutes choses, je demandais au chef de Cantons le plus réceptif à tout ce qui touchait au progrès de me céder une superficie de terre suffisante pour y établir une ferme d’essais cotonniers. Compte tenu du fait que la couche de terre arable ne dépasse pas en Afrique 30 cm, je fis venir de France des charrues à un seul soc, retournant la terre sur une faible profondeur. Il importait de ne pas stériliser les sols. Je fis également l’achat de petites charrettes.

 

A part la fumure et la pulvérisation d’un produit insecticide lors du premier binage, toutes les opérations de la ferme furent accomplies en même temps que celles des villageois. Je dois également préciser qu’à l’époque du défrichement des terres, on a mis à la disposition de tous ceux qui en firent la demande, un moniteur, un bœuf et une charrette.

 

La production fut la même que l’année précédente, soit 12 000 tonnes soit 600 kg hectare. Par contre, la production obtenue sur les terres de la ferme dépassèrent les prévisions les plus optimistes, on obtint 4 tonnes hectare. Je fis constater les résultats obtenus à la ferme par les Chefs de canton, plusieurs Chefs de villages et plusieurs notable afin de leur faire admettre qu’avec l’usage de fumier, d’un labour attelé et d’une pulvérisation d’insecticide on pouvait obtenir, avec moins de travail que par le passé, une production presque 7 fois supérieure à la leur, cependant déjà bien améliorée par rapport au passé. Avec de pareil résultat, la culture du coton devenait une culture riche.

 

A cette époque, j’ai reçu la visite d’un ingénieur agronome russe en mission qui venait voir en Afrique les résultats obtenus dans la culture du coton. Il nous raconta comment le Soviet Suprême décida que l’URSS deviendrait un pays producteur de coton. Il chargea un groupe d’ingénieurs de chercher une région favorable à cette culture. Ce fut celle de la mer d’Aral. Ceci établi, le Soviet Suprême dépêcha l’armée pour chasser de cette zone tous ceux qui y habitaient. Après quoi, des charrues tractées mécaniquement préparèrent le terrain. Mais les difficultés commencèrent au moment de la récolte. La cueillette des capsules ne peut, en effet, se faire qu’à la main et il n’y avait plus demain d’œuvre sur place puisqu’on l’avait chassée. Le gouvernement n’hésita pourtant pas à faire appel aux anciens habitants qui refusèrent de venir récolter le coton. Devant leur refus, on leur envoya l’armée et les chars pour ramener par la force les anciens occupants, qui furent contraints d’effectuer la cueillette. La production obtenue était plus que correcte , elle était de 3 tonnes 500 à l’hectare… mais qu’en est-il du coût humain ? »

 

(p347)

« Personnellement, j’en été resté à la date du 23 juin, date à laquelle devait avoir lieu l’accouchement de notre quatrième enfant dénommé Robert. J’étais donc parti en tournée le 3 juin. J’avais décidé de me rendre aux sources de Mayo Kebi et à l’endroit où se produit le déversement du Logone, en hautes eaux. Cette zone n’est accessible que durant 3 semaines, à la fin de la saison des pluies. Le reste du temps, elle était totalement isolé du reste du monde. J’arrivais exactement à midi en bordure du Logone où était construit le village de pêcheurs. Le Chef du village vint m’accueillir. Il avait l’air joyeux et déclara : « Mon Commandant, je suis très content pour toi par ce que tu as gagné le garçon. » Je l’en remerciais chaleureusement, bien que je ne crusse pas à l’information que je pris pour un heureux présage. Or, je fus très surpris, deux jours après mon retour de tournée, d’apprendre qu’à la date du 3 juin, ma femme avait accouché d’un garçon nommé Robert. Ainsi donc, le téléphone de la brousse allait infiniment plus vite que le télégramme des PTT. Le village où j’avais appris la nouvelle se trouve environ à 600 Km de Fort Lamy et loin de toutes voies de communication….

Mais voyez-vous, le Tchad est rempli de choses étranges ! Ainsi, par exemple, ma femme, qui était partie à Fort Lamy pour accoucher et qui avait mis au monde un petit Robert, revint à Fianga, fin juin, accompagnée de quatre enfants. Quelle surprise ! Mais finalement, tout arrive à s’expliquer. En effet, nos trois aînés, en fin d’année scolaire avaient pris l’avion à Nice pour retrouver leur mère à Fort Lamy. Ce qui fait qu’en définitive, je fus tout heureux de retrouver mon épouse, ainsi que mes trois enfants et de faire la connaissance de notre dernier fils, qui me parut avoir une tête sympathique. »

 

(p351)

« Je reviens maintenant sur l’adduction d’eau de Fianga. Quelques jours après ma prise de service, j’examinais de plus près les travaux déjà entrepris. Voilà les constatations que je fis : La contenance du château d’eau était de 100 mètres cube. A partir du château d’eau, une tranchée avait été ouverte sur environ 1 km. Elle s’arrêtait à proximité de la où l’on avait creusé un puits. Dans la tranchée, on avait déjà placé une conduite en chlorure de vinyl. Elle n’était encore ni reliée au château d’eau, ni au puits. Le puits était situé environ à 50 mètres du lac dont il recevait l’eau par infiltration. Près de ce puits se trouvait une cabane fermée à clef. Elle contenait une pompe Guinard (haute pression) toute neuve et reliée au puits. Le dénivelé entre le château d’eau et le puits était d’environ 50m. Je fis exécuter un essai de pompage. Au bout d’une heure le puits était vide. Le débit de la pompe avait été de 4 mètres cube. J’arrivais donc aux conclusions suivantes.

 

-         La pompe me paraissait incapable de refouler l’eau du château d’eau.

-         En tout état de cause, en supposant que l’eau puisse y arriver, étant donné le débit de la pompe, cette dernière devrait tourner jour et nuit pour arriver à faire le plein du château d’eau. Un matériel qui tourne de façon ininterrompu s’use très rapidement.

-         J’ai contrôlé le débit du puits, il est de 4 mètre cube à l’heure. Mais à ce moment là, il est vide. Je n’ai pas vérifié le temps de son remplissage. Quoi qu’il en soit, il me paraissait en conséquence impossible d’alimenter normalement le château d’eau.

-         A mon avis, les conduites en vinyl ne tiendraient pas en raison de l’importance du champ magnétique dans cette région du globe terrestre.

-         Enfin, normalement, un château d’eau en béton doit être immergé, aussitôt que la prise est terminée, sous peine de se fendiller ou même de s’effondrer.

 

Lorsque l’ingénieur du Génie Rural vint me voir, je lui fis part de toutes mes remarques et de tous mes doutes. Avec beaucoup de nuances et beaucoup de précautions, il m’exprima quelque chose qui voulait dire : malgré toutes leurs connaissances, les Administrateurs ne sont tout de même pas omniscients, réflexion que j’avais déjà entendue ailleurs.  Je lui fit donc connaître que je lui confirmerai par écrit ce que je venais de lui exposer et que, quoi qu’il arrive, la SAP dont j’étais le président n’investirait pas de nouveaux fonds dans cette adduction d’eau.

Il s’est avéré, par la suite, hélas, que mes observations étaient parfaitement fondées. Ce fiasco donna lieu, dans le journal du Tchad à un article virulent intitulé : le scandale de l’eau à Fianga. A la suite de quoi, je reçu la visite de l’ingénieur en Chef du Génie Rural qui m’affirma qu’il trouverait les fonds nécessaires pour la réalisation d’un nouveau projet. »

 

(p356)

«  La maladie de loin la plus fréquente chez les bovins est la tuberculose bovine. A cette occasion, je dois relater un fait qui m’a profondément étonné, car il m’a appris que les Foulbés avaient découvert la vaccination animale bien avant Pasteur. Depuis un temps immémorial, lorsque dans les troupeaux se trouvaient des bêtes atteintes par la tuberculose, qui se signalait par un écoulement anormale du mucus nasal, ils taillaient, dans un bois très dur, une sorte de trocart. Sur ce trocart, ils recueillaient du mucus nasal, le soumettaient à une exposition solaire d’une certaine durée qu’eux seuls connaissaient. Sans le savoir, ils atténuaient ainsi la virulence du bacille. Ensuite, ils plongeaient le trocart dans le flanc de la bête malade. Par ce procédé, ils arrivaient à sauver un certain nombre de bêtes, c’était une vaccination ! »

 

(p358)

« Comme partout où je suis passé dans ma carrière, j’avais pour Fianga un programme de construction de puits. En ai-je construit des puits ! Aussi, je connaissais toutes les techniques utilisées en fonction de la nature du terrain : du puits Friring pour les sols mouvants, jusqu’aux puits forés dans la roche avec utilisation de la dynamite. Il faut dire qu’en Afrique, le problème de l’eau est crucial. J’ai connu moi même tout au long de ma carrière la hantise de l’eau. Chaque jour, je me demandais si j’aurais de l’eau pour le lendemain.

Il y avait sur le territoire de Fianga, sur la rive gauche du lac, un village nommé « petit Saïka » auquel je tenais à toute force à donner de l’eau. Les femmes accomplissaient en effet environ dix kilomètres (vingt aller-retour) pour s’approvisionner en eau.

Je confiais, exceptionnellement le travail de forage, en régie, à un petit entrepreneur français, installé sur place. Et je chargeais un ingénieur des Travaux Ruraux de suivre et de contrôler ce travail, à charge de m’en rendre compte. Au cours de l’une de mes tournées, je fis halte à Petit Saïka pour voir ou en était le travail. M’étant rendu sur place, j’eus la grande surprise de voir que le chantier était arrêté. On était en train de déménager le matériel. Je m’adressai à l’entrepreneur qui, fort heureusement, se trouvait là, et lui demandai des explications. Il me dit : « Nous sommes à 14 mètres. On est arrivé au rocher, sans qu’il y ait la moindre trace d’humidité. Alors l’ingénieur m’a demandé de tout arrêter et d’enlever mon matériel.

« Ecoutez, je n’ai été tenu au courant de rien et je n’admets pas que quelqu’un prenne des décisions à ma place, sans m’en avoir rendu compte. Moi, je vous donne l’ordre de réinstaller votre matériel et de reprendre le travail. Je suis personnellement convaincu qu’on arrivera très prochainement à la nappe. Seulement, je vous demande d’être très vigilant. Je vous conseille de laisser en permanence la nacelle au fond, au côté de l’ouvrier qui creuse. Veilliez aussi à ce qu’il y ait à tout moment, un manœuvre à proximité du treuil, afin d’éviter toute surprise.

L’équipe descendit petit à petit dans le rocher jusqu’à 20 mètres et tout à coup se produisit ce que j’avais prévu. Le manœuvre du fond appela au secours et aussitôt le treuil se mit en marche. Et l’eau montait à l’allure de la nacelle. L’ouvrier du fond dut abandonner son pic, sa pioche, sa pelle et son seau. L’eau suivit la nacelle jusqu’en haut du puits et se déversa abondamment à l’extérieur. C’était un puits artésien. L’entrepreneur n’en revenait pas et les habitants du village dirent que j’étais un sorcier. La certitude de ma réussite était basée sur le fait que le Mont Doré était un ancien volcan, tout au moins d’origine volcanique. A vol d’oiseau, il y avait environ 5 Km entre le Mont Doré et le village de Saïka. Il était à mon avis hors de doute que depuis la base de ce mont existaient des plaques de roches volcaniques qui devaient s’étendre assez loin aux alentours. Dans un cas semblable, l’eau qui tombe sur la montagne s’insinue sous les plaques. Accumulée au dessous, elle est douée d’une importante pression et ne demande qu’à jaillir.

Il se trouva que mon résonnement se fut avéré exact, j’en fus très heureux, mais j’étais en outre content d’avoir réussi à donner de l’eau à une population qui en manquait depuis des générations. »

 

(p362)

J’ai dit ce qu’on m’avait demandé de réaliser lorsque je fus affecté à Fianga à mon retour de congé. J’ai dit également quel était le personnel à ma disposition et quelle était sa situation. J’ai demandé son maintien sur place et je m’étais porté garant pour lui. Je n’ai jamais eu à le regretter, bien au contraire. J’ai remarqué, tout au long de ma carrière, que toutes les fois qu’on confie à un homme des fonctions au dessus de sa condition, on le transforme et on modifie complètement son caractère et son comportement. En se découvrant, en prenant conscience de sa vrai valeur, de ses vraies capacités et de ses possibilités, il devient un autre homme et ses relations avec son métier sont complètements modifiées. C’est à cela qu’on reconnaît le Chef, le Patron. Malheureusement, des Patrons, il y en a beaucoup, mais rares sont ceux qui sont dignes de ce nom avec un grand P majuscule. Le Patron, c’est celui qui sait faire confiance à ses hommes et avoir avec eux des relations de collaborateurs et non de subordonnés, des relations de confiance et non de suspicion !

 

(p367)

 

-         « Degoul, vous constituez pour moi une énigme ! Le Gouvernement du Tchad a récusé la presque totalité des jeunes Administrateurs que la France a mis à sa disposition, aussi les plus anciens ont été remis à la disposition de la France. Or maintenant vous êtes le plus ancien au Tchad. Vous avez eu un moment ou à un autre tous les ministres actuels sous vos ordres, y compris Monsieur Toumbalbaye. A un moment ou à un autre, vous avez été amené à les juger, à les condamner et à les mettre en « tôle ». Et cependant, vous êtes le seul au Tchad à avoir une solide position et à ne pas être contesté. Alors, je ne comprends pas !

 

-         « Eh, bien Monsieur l’Ambassadeur, je pense être à même d’éclaircir ce que vous dénommez une énigme. Lorsque j’ai débuté dans ma carrière, il y a maintenant pas loin de vingt cinq ans, devant mon bureau, j’avais toujours deux fauteuils pour recevoir ceux qui me demandaient une audience ou ceux que j’avais convoqué. Lorsque que quelqu’un pénétrait dans mon bureau, Européen ou Noir de la brousse, souvent assez primitif, je me levais pour l’accueillir, je lui serrais la main et je le faisais asseoir. Lorsque je convoquais des Africains pour une infraction commise ou un délit, la convocation que je leur adressais comportait les mêmes formules de politesse que j’aurais employé pour n’importe quel Européen. Comme ils étaient illettrés, ils se trouvaient dans l’obligation de se faire traduire le contenu de mes convocations et je sais qu’ils étaient très sensibles à ces marques de respect. Je sais qu’ils disaient : « Quand le Commandant nous convoque, c’est parfois pour nous traduire devant le tribunal, mais il est toujours très poli envers nous. » Par ailleurs, je pense avoir été de loin le premier à avoir invité à ma table quelques Africains qui se détachaient très nettement du lot par leur intelligence, par leur conscience professionnelle, par leur recherche de la culture. Je ne le faisais pas démagogie. J’ai été de loin le premier à recevoir à la résidence des Chefs et des Notables Africains à l’occasion de réceptions que j’organisais, et où était également invitée la colonie Européenne. En ce temps, je fus à ce sujet l’objet de nombreuses critiques dont je me souciais guère. Je suppose que je récolte, maintenant, les fruits de mon comportement et de la considération que je me suis toujours appliqué à accorder aux Noirs. : s’ils étaient incultes et primitifs, ils n’en étaient pas moins des hommes ! Il est primordial, à mon avis, de se faire humble avec les humbles, car ils ne vous pardonnent pas la morgue et l’insolence dont vous pouvez faire preuve à leur égard »

 

Nous quittâmes donc Fort Lamy le 22 juin 1958 pour un congé de 6 mois mais moins de 3 mois plus tard, je dus repartir pour le Tchad. Un ordre général était donné à tous les Administrateurs en congé d’avoir à rejoindre le poste qu’ils occupaient avant le départ. En effet, le référendum proposé par le Général De Gaule aux Territoires d’Outre Mer, devait se dérouler le 28 septembre 1958. Par ce référendum, la France proposait à ses territoires d’Outre Mer leur autonomie pleine et entière. Plusieurs solutions leur étaient données. Ils pouvaient demander soit d’être maintenus dans leur ancien statut, soit d’acquérir leur autonomie tout en conservant un lien avec la France. Dans ce cas là, ils acceptaient de faire parti d’un système politique qui porterait le nom d’Union Française, calquée sur le système des Dominions anglais. Ils auraient alors droit à la double nationalité. Ils pouvaient enfin choisir l’autonomie pleine et entière, mais demander à sortir de la zone Franc ; ce fut le cas de la Guinée, qui lia son sort à celui de l’URSS. Je m’embarquais donc à Nice le 6 septembre pour débarquer le 7 à Fort Lamy.

 

Dès mon retour à Fianga, et jusqu’au référendum, je passais tout mon temps en tournée. Je devais en effet expliquer à tous et partout ce qu’était le référendum et quelles étaient les diverses solutions proposées par la France aux TOM. Le Tchad demanda à conserver des relations avec la France. Mais dès ce moment, le Tchad, qui avait déjà un gouvernement, du fait de son autonomie interne, eut en plus un Président de la République, en raison de son autonomie externe. Ce fut Monsieur Toumbalbaye qui fut élu avec une énorme majorité. Dès ce moment, je devins un Administrateur hors cadre. Toutefois, afin de parer aux tentations de brimades qu’auraient pu avoir les Gouverneurs locaux à l’égard des Administrateurs, le Gouvernement français prenait à sa charge leur traitement.

 

Malgré ces changements, le rôle des Administrateurs ne changea pas. Leur autorité fut la même que par le passé. Seulement, les rapports économiques, politiques et agricoles mensuels et annuels qu’ils adressaient précédemment au Gouverneur du Territoire furent adressés désormais au Premier Ministre. Toutefois, ce changement, fort important, qui conférait l’autorité à un Président de la République Noir et à un groupe de Ministres Noirs, sembla à certains Noirs ambitieux de pouvoir permettre de se débarrasser facilement des Administrateurs pour se mettre à leur place, par le moyen de la dénonciation calomnieuse. Heureusement que mon passé ne permettait pas de doute sur mon intégrité. »

 

Septembre 1959 : Retour en France

 

début 1960 : affectation à Kanem (Nord Tchad)

 

(p374)

«  Je fus chargé de l’intérim des fonctions de Préfet du Kanem (autrement dit de Chef de Région du Kanem). Cette région comportait 4 districts : ceux de Mao, de Moussoro, bâti sur le bord de l’ancien lit du Barh el Gazal, de Bol situé au bord du lac Tchad, enfin du district nomade de Nokou. Du fait de mes nouvelles fonctions, je fus emmené à visiter tous ces districts. »

 

(p377)

« J’ai pu voir il y a peu de temps à la télévision, la remise d’une pompe mécanique, destinée au puisage de l’eau à un Chef de village du Niger. (cadeau de l’organisation du rallye Paris Dakar). Ce Chef de village remerciait chaleureusement les donateurs mais ajoutait : «  Malheureusement, nous ne connaissons rien à la mécanique et lorsque cette machine tombera en panne, nous serons gros-jean comme avant ! Nous ne demandons pas de matériel perfectionné. Nous demandons, seulement, que l’on nous redonne nos anciens puits. (autrement dit, ceux que les Administrateurs ont construit par dizaine de milliers. Mais il se trouve que les utilisateurs n’ont pas compris que les puits, comme toute chose, nécessitaient un entretien régulier). J’avoue avoir été heureux de la réponse de ce Chef de village. »

 

«  Je pense qu’il n’est pas sans intérêt de relater ici deux incidents symptomatiques. Après le référendum du 28 septembre 1958, l’autonomie interne fut donnée au Tchad. Dès que les tribus nomades en eurent connaissance, elles crurent que cet événement entraînait, de facto, le départ de tous les Français. Aussitôt, et sans aucune concertation préalable, elles convergèrent vers Fort Lamy, à force de chameaux. Fort heureusement, le Gouverneur en fut informé et prit immédiatement des dispositions pour interposer des troupes françaises. Lorsque les nomades se présentèrent au contact de nos troupes, le colonel les apostropha ainsi :

-         Eh, où vous allez si vite ?

-         Nous avons appris que les Français partaient du Tchad, alors nous allons régler nos comptes aux esclaves ! (aux Noirs) Le colonel leur dit :

-         Il est exact que l’autonomie interne a été donné au Tchad ! Mais rien n’est changé pour ce qui concerne les Français, la preuve, c’est que nous sommes encore là !

-         Ah, bien, alors il n’y a aucun problème, nous retournons vers nos tentes !

 

S’ils acceptaient sans difficulté l’autorité des blancs, ils ne pouvaient admettre de se trouver un jour sous les ordres des Noirs qui, soixante ans avant, avaient été leurs esclaves.

 

Lors de mon arrivée à Fort Lamy, le Tchad venait de se voir conférer l’autonomie externe, Autrement dit, il avait alors l’autorité pleine et entière sur l’administration du pays y compris sur les relations avec les autres pays du monde. Exactement, au moment ou je parvenais à Mao, où je venais d’être affecté, le Gouvernement du Tchad venait d’être informé, d’une part par l’ONU, d’autre part par le Président de la République Française, le Général De Gaule, que les tribus nomades du Nord du Tchad venaient de les saisir d’une requête par laquelle elles demandaient à demeurer sous l’autorité de la France. Je me demande jusqu’à quel point je n’ai pas été soupçonné d’être à l’origine de ces démarches car je fus assaillis de télégrammes sur chiffrés par lesquels on me demandait toutes sortes d’explications et de justifications.

 

Personnellement, je ne fus pas surpris de la réaction des tribus Nomades. Elle était dans la logique des choses. En aucune façon, les Nomades ne voulaient être subordonnés aux Noirs. Je les ai encore mieux compris, lorsque je les ai mieux connu. Par leur port, par leur maintien, par leurs attitudes, par leurs paroles, par leur distinction naturelle, j’ai découvert, en effet, de vrais seigneurs. Alors qu’en pays Noirs, les écoles s’étaient rapidement multipliées, alors que tous les enfants noirs ou presque étaient alphabétisés, il est infiniment regrettable qu’on n’est jamais rien fait pour les enfants des Nomades, parce que justement, ils étaient Nomades. Et pourquoi ils étaient Nomades ? Parce qu’ils étaient éleveurs. Pour les pâturages et pour l’eau, ils étaient condamnés à suivre leurs troupeaux dans un pays infiniment dur et démuni.

 

Dans la zone saharienne du Tchad, nombreux étaient les groupes nomades Libyens. Dans les centres comme Mao, c’était encore des Libyens qui tenaient le commerce. Bien que ces étrangers soient pacifiques et se soumettent sans problème à l’autorité du Tchad, leur nombre pouvait, à un certain moment donné, poser des problèmes, pour peu qu’ils soient soumis à une influence venant de leur pays d’origine. C’est pour étudier cette situation que je fus amené à présider une conférence, composée des responsables tant civils que militaires. Elle se tint à Moussoro où stationnait une compagnie de tirailleurs. »

 

../..

 

« A quel que temps de là, je fus informé par télégramme officiel, de la venue à Mao du Président de la République Tchadien. Il n’était autre que Mr Toumbalbaye, ancien Président du PTT, avec lequel j’avais rompu pas mal de lances, quelques années avant, lorsque j’étais Chef de district de Fort Archambault. Je dois dire que, malgré tout, nous avions l’un pour l’autre une certaine estime. Mr Toumbalbaye n’était jamais venu dans la zone saharienne du Tchad. Il ne connaissait pas, de ce fait, ce peuple de Nomades, tous Musulmans, qui en bloc l’avaient récusé. C’est pourquoi, je tins à donner à cette réception une certaine solennité et un certain faste. Mr Toumbalbaye arriva par voie des airs, c’est à dire par « Broussard », petit avion militaire de reconnaissance, le seul susceptible de se poser sur la piste de Mao. Il était accompagné de son Directeur de Cabinet. En grand uniforme, je l’accueillis à sa descente d’avion. Mon peloton de méharistes était là pour lui rendre les honneurs.

 

C’était de loin la plus belle garde du Tchad. Elle était composée de deux cent méharistes, en uniformes sahariens, montés sur leur chameaux. Je lui fis la présentation des corps constitués, puis en ma compagnie, il passa en revue le peloton de gardes. Après quoi, nous montâmes en voiture pour rejoindre Mao. Sur les trois à quatre kilomètres qui nous séparaient de la ville, tous les cinquante mètres, de part et d’autre de la piste, se trouvait un chamelier immobile sur sa monture. Au fur et mesure de notre passage, ils quittaient leur emplacement et venaient se placer à l’arrière du peloton de gardes. Le spectacle était vraiment exceptionnel et Mr Toumbalbaye en fut vraiment impressionné. Il me demanda comment, en si peu de temps, j’avais pu rassembler une telle foule, répartie sur un territoire aussi immense que celui de la région de Mao. Il n’était, cependant pas au bout de ses surprises. A l’arrivée à Mao, nous nous arrêtâmes sur l’immense place, sur laquelle la foule musulmane avait l’habitude de célébrer les grandes fêtes religieuses. Elle était toute blanche de gandouras et de chèches et entourée de milliers de chameaux. Nous descendîmes de voiture devant la tribune que j’avais fait construire spécialement. Mr Toumbalbaye monta à la tribune et je vins me placer au près de lui. De là, il put facilement haranguer la foule. Il savait s’exprimer et j’eus l’impression qu’il réussit à capter l’attention, les esprits et même les cœurs. J’en eus confirmation par la suite.

 

Lorsque enfin, nous arrivâmes à la résidence, nous causâmes comme de vieux amis. Je lui rappelais les passes d’armes que nous avions eu ensemble à Fort Archambault. Je lui dis combien j’avais été touché qu’il soit venu me saluer avant mon départ.

 

-         Vous savez, Monsieur le Président, je peux vous le dire maintenant, votre présence ce jour là sur le terrain d’aviation et ces paroles que vous m’avez adressées me paient de toutes mes peines, de toute ma fatigue, de tous mes doutes. Aussi derrière mes grosses lunettes noires, deux larmes ont-elles coulé !

 

Puis nous parlâmes de choses et d’autres. Il finit par me dire :

 

-         Monsieur Degoul, lorsque vous étiez à Fianga, vous avez accompli un miracle. Sans bruit, sans menace, sans aucune coercition, pendant 2 ans, vous avez plus que quadruplé la production de coton. Personne n’avait réussi ce prodige avant vous, personne n’a pu le renouveler après vous. Personnellement, je comprends l’intérêt que représente la production de coton pour le développement du Tchad. Depuis que je suis devenu responsable de mon pays, j’ai tout essayé pour renouveler votre miracle. J’ai essayé la menace et même la force. Rien n’a pu y faire. Je n’arrive pas à comprendre comment vous avez pu procéder. !

 

Je mis ensuite la conversation sur les chefferies coutumières. J’en profitais pour lui faire part de ce que je pensais de sa politique à ce sujet, qui consistait à destituer tous les chefs coutumiers, tant les chefs de villages que les chefs de cantons.

 

-         Je sais bien lui dis-je que vous les avez remplacé par des délégués politiques. Toutefois, ces derniers n’auront jamais l’autorité qu’avaient les plus mauvais d’entre les chefs, car ils étaient dépositaires de la coutume. D’autre part, ce n’est pas à vous que j’apprendrais que les chefs avaient aussi un rôle social. Qu’une femme devînt veuve et restât seule avec ses enfants, le chef du village lui donnait immédiatement une case dans son tata et lui assurait la nourriture. Qu’un enfant devînt orphelin, il était immédiatement pris en charge par le chef qui le confiait à l’une de ses femmes. Qu’un étranger en déplacement parvînt en fin de journée, dans un village, c’était encore le chef qui lui assurait le vivre et le couvert. Enfin, le chef réglait, entouré de ses assesseurs, les petits conflits qui pouvaient exister entre deux familles ou deux villageois. D’une façon générale, leurs sentences étaient respectées. Je limite là, l’énumération des services qu’assuraient les chefs, vous les connaissez mieux que moi. Jamais vos délégués ne rendront les mêmes services, ne serait-ce que pour la raison qu’ils sont des délégués politiques et que de ce fait, ils sont contestés par une grande partie de la population. Cela vous n’êtes pas sans le savoir, vous êtes un homme bien trop avisé ! Mais voilà, c’est justement parce que vous connaissiez la réelle autorité des chefs que vous avez craint qu’elle ne constitue un obstacle à la marche en avant de votre pays, votre but et votre ambition est tout a fait louable cependant ! je connais présentement une grande partie du Tchad. J’ai vécu quotidiennement au près des populations. Je peux donc avoir un point de vue valable sur ces problèmes. C’est pourquoi, je pense pouvoir vous dire que vous avez commis une grossière erreur en supprimant une institution aussi vieille que le monde. Ce faisant, vous avez déstabilisé des populations qui avaient l’habitude de s’en remettre aux Chefs, pour toutes sortes de décisions à prendre. Je connais personnellement bon nombre de Chefs, tant à Fort Archambault, qu’à Kourma et à Fianga qui sont des hommes intelligents et ouverts au progrès, dans tous les domaines. Si vous les aviez maintenus à leur place, si vous leur aviez parlé, ils auraient été, à mon avis, vos meilleurs auxiliaires, d’autant que je ne vous apprendrais pas que les Africains n’acceptent de se soumettre qu’à l’autorité d’un Chef appartenant à la même tribu que la leur. Votre influence en eut été grandement renforcée. Mais je pense qu’il n’est pas trop tard pour faire un pas en arrière. Je me permets de vous suggérer de ré introniser quelques-uns des chefs les plus brillants d’entre eux, tel que Taguina, chef du canton de Mao, à Fort Archambault, le chef du canton de Bediondo à Kourma, le chef de canton de Dooua à Fianga.

 

 

Le président Toumbalbaye m’écoutait avec beaucoup d’attention. Par la suite, j’eus l’occasion d’apprendre qu’il avait redonné leur place aux Chefs que je lui avait désignés. Une des grandes qualités de Mr Toumbalbaye tenait au fait qu’il savait allier l’intelligence au bon sens, qualité assez rare. Le lendemain, il regagna Fort Lamy. Avant qu’il ne montât dans son « broussard », nous nous serrâmes la main comme deux vieux amis. J’avoue avoir été profondément attristé lorsque j’appris son assassinat, quelques années plus tard !

 

(p383)

« Le Kanem est une immense région située à la limite du sahel et du désert.

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, lorsque, pour la première fois, on aborde ces zones particulièrement arides, on est saisi d’une sorte d’exaltation, semblable à celle de l’homme qui découvre l’océan. Ce fut, en tout cas, ma première impression.

En y réfléchissant, la chose semble s’expliquer. Ces deux étendues, apparemment sans limite, troublent l’imagination. Toutes deux évoquent le mystère, des images floues de dangers étranges et latents ; toutes deux font naître dans l’esprit un certain sentiment de peur, et en même temps, cependant, l’envie de connaître et d’aller voir, envers et contre tout. C’est l’attrait de l’inconnu et de l’aventure, qui, de toute éternité, a hanté l’esprit de l’homme.

Paradoxalement, cette ambiance qui pourrait être débilitante, a forgé à l’homme du désert une âme de seigneur ; il semble ignorer le mot « peur » et celui de « mort » ; il a dans son comportement et dans son attitude une grande noblesse, quelques puissent être les circonstances. Il a ses règles de l’honneur, qu’il ne transgresse jamais ; il a également un sens aigu de l’hospitalité.

 

1960 : retour en France

 


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18 février 2010 4 18 /02 /février /2010 16:10

Janvier 1948 : Brazzaville.

 

(p97)

« L’arrivée à Brazzaville, par la voie des airs est tout ce qu’il y a de plus surprenant. En effet, d’avion, on aperçoit de l’eau partout, comme si l’on abordait l’océan. Sur le moment, il est difficile de comprendre ; il faut dire que le Congo est le deuxième grand fleuve du monde, après l’Amazone, qu’il bat parfois par son débit. Eu Europe, il n’existe que des fleuves de dimensions modestes. Comment imaginer, qu’en amont de Brazzaville, la largeur du fleuve soit de 55 kilomètres et que sa profondeur varie entre 250 et 500 mètres. Et subitement, entre Brazzaville et Kinshasa (ex-Léopoville), la largeur se réduit à environ 4 à 5 kilomètres. Alors, le courant devient d’une rare violence et va s’écraser un peu plus loin sur d’immenses blocs de rochers : les premiers rapides du Congo, qui vont ensuite se succéder jusque-là l’océan. »

..

« Deux capitales, deux traditions, deux politiques de colonisation. Du côté de Brazzaville, une colonisation débonnaire et démocratique. On pouvait y voir des Européens côtoyant les Noirs, un Européen s’arrêtant saluer un Noir et lui serrer la main, des Européens et des Noirs consommant à la même terrasse de café et parfois à la même table. C’étaient là des scènes de la vie quotidienne.

Du côté de Kinshasa, c’était une colonisation basée sur le racisme : dans les rues, deux trottoirs ; un pour les Européens, l’autre pour les Noirs. Si un Noir se fourvoyait sur le trottoir auquel il n’avait pas accès, il était immédiatement ramassé par la police et placé en prison. Aucun Noir n’était admis dans les restaurants, les cafés et les hôtels. Si un boy ou un cuisinier ne se présentait pas le matin au travail, la maîtresse de maison téléphonait à la police qui allait s’assurer de l’intéressé et le conduisait en prison… Aussi, au Congo Belge, les prêtres catholiques tenaient le haut du pavé. Ils définissaient aussi la politique scolaire. Partant du principe que les Noirs étaient des primitifs et, par conséquent, incapables d’assimiler les connaissances de la culture européenne, pourquoi ouvrir des écoles ? Donc, il est préférable de pas les multiplier. Il faut tout de même quelques écoles où l’on apprendra aux élèves les rudiments de l’écriture et du calcul. Ces élèves pourront ainsi, plus tard, tenir les emplois subalternes du commerce et de l’industrie.

A Kinshasa, beaucoup de choses étaient interdites aux Noirs, mais, on avait oublié de leur interdire de traverser le fleuve et de se rendre à Brazzaville. Là, il leur était possible, spontanément, de faire une comparaison entre leur condition et celle de leurs frères du Congo français. Aussi était-il facile de prévoir qu’une révolte éclaterait un jour et qu’elle serait terrible ; que les religieux paieraient un lourd tribut et que des ruisseaux de sang couleraient. »

 

1948 : nommé Directeur de l’administration à Brazzaville.

 

Arrivé d’un nouveau Gouverneur Général corrompu avec sa bande : Mr Cornu Gentil, Mr Bourges, Mr Ladevèze et Madelaine Taffin. (Mr Cornu Gentil sera par la suite Ambassadeur de la France à l’ONU, maire de Cannes etc., Bourge sera ministre de la guerre puis aussi maire de Cannes.)

Quelques problèmes s’ensuivent entre Mr Degoul et ces personnages.

 

Septembre 1948 : naissance d’un petit garçon : Pierre

 

Février 1950 : retour en France

 

Décembre 1950 : Fort Lamy Tchad : directeur du personnel

 

Mars 1951 : Fort Archambault : Administrateur

 

(p140)

« Lorsqu’en Europe, on parle de racisme, on n’a aucune idée, même approchée, de l’acuité de ce sentiment en Afrique. Il peut aller, couramment, jusqu’au meurtre. La vie compte si peu dans ces pays. Pour comprendre la dimension de cet antagonisme, il faudrait pouvoir procéder au dénombrement des langues et dialectes pratiqués sur cet immense continent. Ces ethnies ont toutes des cultures différentes. Pour en donner une petite idée, il existait 11 langues dans la première circonscription que j’ai été amené à administrer. Elle était cependant de dimension modeste. »

 

« Ainsi nous sommes arrivés à Fort Archambault vers la fin mars 1951. J’ai pu immédiatement constater que ce que m’avait dit le Gouverneur était bien au-dessous de la réalité. Mon prédécesseur n’était respecté de personne. Il tutoyait tout le monde et tous le tutoyaient. Il était le vrai soliveau, dont parlait La Fontaine, dans la fable « les grenouilles qui demandent au roi ». Il avait, de ce fait, laissé s’établir une situation anarchique. »

..

« Or, personnellement, j’ai toujours pensé et j’en ai fait l’expérience que, lorsque l’on est chef, on est obligatoirement un homme seul par la nature même des choses, quand bien même on reste modeste et accessible aux autres. Il faut savoir l’accepter. C’est ce que j’ai dit à mon prédécesseur, en ajoutant que si la fonction est impersonnelle, celui qui en est investi a le devoir et l’obligation de la faire respecter.

 

Chaque jour, près de 2 mois, me fit découvrir de nouvelles et graves carences : dépassement de crédits, nombreux rejets comptables non régularisés, aucun recensement effectué depuis plus de 5 ans, registre des prisons non tenus à jour, comptabilité du matériel inexistante, registre des armes et des munitions non tenu, stock de vivre pour les prisons inexistant, un peloton de garde en pleine anarchie, aucun rapport mensuel établi, stock de sécurité pour les cas de disette non constitué. La Société Africaine de Prévoyance faisait apparaître un déficit important, ainsi que plusieurs irrégularités graves. Je m’empresse de dire qu’elles n’étaient pas le produit de la malhonnêteté de mon prédécesseur, mais bien plutôt de sa négligence et de son inconscience.

 

A cette époque, il existait malheureusement, dans toutes les circonscriptions administratives, un groupe d’individus que je qualifiais de « petit blanc », qui vivaient d’expédients et avaient la prétention de constituer une sorte d’aristocratie par rapport aux Noirs. Ces individus, qui étaient arrivés en Afrique on ne sait trop comment, et qui, en France, représentaient le bas de l’échelle sociale, se montraient hautains à l’égard des Africains, dont ils exigeaient une totale subordination, toujours prêts à l’insulte et à la violence. C’est cette catégorie de personnes qui ont fait le plus de mal, et contre lesquelles j’ai lutté tout au long de ma carrière. Fort- Archambault ne faisait pas exception à la règle. C’est par un tel groupe que mon prédécesseur s’était laissé circonvenir. Je ne sais, sous quel prétexte,  ils avaient emprunté à mon prédécesseur le stock de mil de sécurité de la Société Africaine de Prévoyance (SAP), promettant de le restituer. Ils n’en avaient jamais rien fait. La SAP était également propriétaire d’un beau troupeau de bovins, destiné à implanter l’élevage dans la région. Il n’avait jamais été fait de prêts aux gens du pays. D’autre part, l’entretien de ce troupeau coûtait très cher à la SAP. J’arrêterai là l’énumération de mes découvertes, qui risquerait de faire l’objet de plusieurs pages. La liste de ce que je viens de signaler est significative de la situation que j’ai trouvé à Archambault.

 

J’ai évoqué, ci-dessus, mes découvertes sur le plan administratif, mais, mes surprises ne s’arrêtaient pas là. Il existait à Fort Archambault une importante industrie cotonnière, la Coton Fran. Son directeur, Monsieur Birbaoum, un Belge, s’était érigé en premier magistrat de la ville et de la région. Il considérait l’Administrateur comme un subordonné et se ventait de pouvoir faire et défaire les Administrateurs. Il en avait, à plusieurs reprises, fait la preuve. Mais, il comptait sans mon caractère. Dès le départ, par personnes interposées, il me fit connaître sa surprise que je ne me sois pas présenté à lui, à mon arrivée.

 

Il existait par ailleurs, à fort Archambault, une importante collectivité religieuse américaine, Mormon. Cette collectivité politico-religieuse s’arrogeait des droits exorbitants en matière administrative.

 

Enfin, sur le plan politique,, un ancien instituteur, Toumbalbaye venait de créer et d’organiser un mouvement dont le but était d’acquérir l’indépendance de son pays. Ce parti se nommait PTT (Parti Progressiste Tchadien). Il avait très rapidement accueilli de nombreux adeptes. Par tous les moyens, il cherchait à contrer l’action administrative. Toumbalbaye, qui devait plus tard devenir Président de la République, était un homme intelligent et qui ne manquait pas de qualité. Il m’avait inspiré de l’estime. Toutefois, il devait devenir mon ennemi N°1, mais je lui rendis coup sur coup.

 

Et je ne parlerai pas des militaires qui, à l’instar de pas mal d’autres, se considéraient comme autonomes et indépendants de toute autorité administrative. Il existait en effet, à Archambault une petite garnison de tirailleurs ayant à sa tête un Commandant d’infanterie coloniale, qui tenait, en outre, les fonctions de Commandant de la place.

 

Part ailleurs, il est a noter qu’un certain nombre de fonctionnaires, ou agents, notamment de l’agriculture, se croyait autorisé à s’arroger des attributions de l’Administrateur Chef de District.

 

Il n’était pas jusqu’au magistrat investi des fonctions de juge de paix, à compétence étendue qui, par l’application du Code Pénal ou du Code Civil, prenait des décisions de justice à l’encontre des Africains comme s’il s’agissait de bons bourgeois français, au plus grand mépris des coutumes. De ce fait, il jetait la perturbation et le trouble parmi les populations qui ne comprenaient pas et venaient se plaindre à moi.

 

Voilà, en résumé, la situation qui se présentait à moi, à mon arrivée à Fort Archambault. Ce n’était en aucune façon une sinécure. Il importait donc que je retrousse mes manches et que je me dispose à lutter contre vents et marées

 

En tout état de cause, d’avance, il fallait accepter l’impopularité. J’en avais l’habitude. En effet, dans tous les pays du monde, il est bien connu que celui détient le pouvoir est invariablement décrié, quel que soit son action, sa respectabilité, ses qualités et ses réalisations. Même mon prédécesseur, dont tout le monde usait et abusait, qui était toujours prêt à accepter n’importe quelle proposition, faisait l’objet de critiques. On disait de lui : « c’est un pauvre type et un con ».

 

Lorsque nous eûmes terminé les dossiers et les papiers, nous fîmes ensemble une tournée générale de la circonscription. Il me présenta tous les Chefs de cantons et de villages. Il me fit connaître les instituteurs et leur école, les cantonniers, les Chefs de secteur agricole, les maçons sur les chantiers, les agents de travaux public en tournée, enfin tout le personnel disséminé dans la brousse, les personnes sujettes à caution etc… Il est remarquable que lorsqu’on arrive à la tête d’un pays, ce sont tout d’abord les noms des personnes suspectes que l’on commence à connaître.

 

Lorsque mon prédécesseur quitta Fort Archambault, je lui fis rendre les honneurs, comme il se devait. Aussitôt après son départ, je réunis tous les fonctionnaires.

 

-         Messieurs, je vous ai réunis afin que nous nous connaissions mieux. A chacun de vous, je dirai les critiques que j’ai à formuler. D’une façon générale, je demande à chacun de faire son métier, uniquement et pleinement son métier. Je vous demanderai cependant davantage. Dans ce pays, nous ne sommes pas chez nous. Aussi, j’attends que chacun de vous s’élève au-dessus de sa spécialité, chacun de vous est, en outre un ambassadeur de la France. C’est la seule façon dont vous vous imposerez et ferez aimer notre pays. J’ai été amené à constater qu’un certain nombre d’entre vous et particulièrement les plus jeunes, s’arrogent des pouvoirs qui ne relèvent pas de leur spécialité, au mépris des coutumes. Ils règlent des palabres, et rendent des jugements. Cela n’ira pas sans répercutions. Je ne serais pas étonné que ces affaires me reviennent par la voix du Gouverneur. Toutefois, j’ai la prétention d’être le patron et surtout « un patron ». Je vous couvre donc, pour le passé, étant bien entendu que si vous deviez ne pas tenir compte de mes remarques et de mes conseils, il en irait à vos risques et périls. Sur un autre plan, je tiens à vous dire que je vous considère tous, non pas comme des subordonnés, mais comme des collaborateurs. Je n’aime surtout pas la servilité de la part des mes collaborateurs. Je serai normalement amené à vous donner des ordres et des directives. Je n’ai pas la prétention d’être infaillible. Il est possible que vous possédiez des éléments d’information que je n’ai pas. S’il vous paraît que certains de mes ordres ne soient pas applicables dans leur forme, sans danger, c’est à vous à me le dire. Je vous en estimerai que davantage. Il est bien entendu que je ne pourrai admettre une opposition systématique, mais, toute remarque intelligente et bien fondée sera toujours bien accueillie par moi. Je compte faire une équipe autour de moi. C’est la seule façon d’obtenir des résultats. Je compte sur votre collaboration.

 

Peu de temps après, je pris contact avec l’Officier Commandant de la place et lui demandais de considérer que, bien que militaire, il m’était subordonné puisque j’étais seul, éventuellement, à pouvoir réquisitionner l’armée et en cas d’opérations, je devenais de droit, Chef d’opérations. En tout état de cause, je lui fis valoir qu’il était mieux de s’entendre et de vivre en bonne harmonie.

 

Je pris également contact avec le magistrat et me permis de lui faire très calmement et amicalement des remarques sur sa façon de juger les affaires . Il le prit de haut et me rappela le principe de la séparation des pouvoirs.

 

Je convoquais également Toumbalbaye, le leader du PPT. Nous eûmes une conversation intéressante. Je l’interrogeais  sur ses buts et ses moyens. Je lui déclarais que je n’avais personnellement rien contre son mouvement. Toutefois, je lui fis connaître qu’en aucune façon, je n’accepterais que mon autorité soit bafouée ni que l’ordre public soit perturbé. Le cas échéant, il ne devait pas compter sur mon laxisme.

 

Enfin, je convoquais le groupe d’individus qui avait abusé et s’était joué de mon prédécesseur, en lui empruntant d’importants tonnages de mil, qu’ils n’avaient ni restituaient, ni payés. Ces individus se donnaient la qualité de planteur. Toutefois, je n’ai jamais remarqué qu’ils plantaient quoi que ce soit, à part des drapeaux. Malgré leur récrimination, je leur fixai un délai et leur enjoignis de rendre à la SAP les quantités de mil prêtées. Faute d’exécution à la date fixée, je les informais qu’ils seraient déférés devant un tribunal pour escroquerie et abus de confiance, sans espoir de nouveaux délais.

 

Quand au directeur de la société cotonnière, je le traitais par le mépris ; étant bien certain que d’une façon ou d’une autre, ils se trouverait avant longtemps avoir recours à mes services. Je l’attendais donc au virage.

 

Tout le monde était donc fixé sur ce que serait mon comportement. Il est bien entendu, que jamais plus personne ne pénétra dans mon bureau sans s’être fait annoncer et y avoir été convié.

 

Très peu de temps après, il se trouva que je reçu la visite du Procureur Général de la République. Il me demanda ce que je pensais du juge en place à Archambault. Je lui exprimais mes réserves et l’informais des plaintes que je recevais de la population. Il me demanda d’aller chercher le juge de sa part et de la faire venir dans son bureau. Il le fit aussitôt muté à Fort Lamy sous sa direction.

 

L’Inspecteur Principal de l’Agriculture vînt à son tour et ramena avec lui à Fort Lamy un des ingénieurs qui continuait à s’occuper de problèmes qui ne relevaient pas de ses fonctions.

 

Enfin, le commandant de la place se fit rappeler à l’ordre par le Gouverneur Général, Haut Commissaire de la République lors de son passage

 

Inutile de dire qu’à partir de ce jour, mon autorité fut bien établie et plus personne ne s’avisa de fronder. Cela changeait tant de mon prédécesseur qu’en parlant de moi, on disait le Dictateur bien que je fusse loin d’être ce que l’on disait. Je n’étais pas un ogre et était accessible à tous, mais pour obtenir des résultats, dans tous les domaines, il importait que la fonction soit respectait. Dans le même temps tout le stock de mil prêté avait réintégrer les greniers de la SAP…

 

Enfin, je réorganisais la gestion du troupeau de bovins. Pour la garde, l’entretien et le pacage, je procédais au recrutement de deux Peuls. Les Peuls sont de loin les meilleurs éleveurs de bovins en Afrique. Ce ne sont pas des Noirs. Ils sont de race sémite et ont de longue date, émigrés en Afrique où ils ont fondé de grands empires. Enfin, j’ai organisé la traite et la vente du lait, qui jusqu’à maintenant était perdu, certainement pas pour tout le monde, je suppose. »

 

../..

 

(p159)

« La guerre étant terminée, le Parti Socialiste ressemblait fort à l’armée espagnole ; il ne restait que les généraux et les officiers supérieurs. Il fallait donc, le plus vite possible, reconstituer les troupes. Je ne sais qui eut une inspiration de génie. Il était possible de regonfler rapidement les effectifs avec les Territoire d’Outre-Mer. Il suffisait, par législative, de décider de leur représentation à l’Assemblée Nationale Française. Ce qui fut fait. Alors, un groupe de socialistes vint tenir congrès au frais du parti ; on y fit venir quelques personnages en vedette de chaque territoire. Ce fut le congrès de Bamako.

 

On y tint à peu près ce langage : la France vous maintient en esclavage ; elle mène une politique indigne et contraire aux Droits de l’Homme. Nous, du parti socialiste français, comprenons vos misères et votre condition misérable. Nous voulons lutter avec vous pour votre libération. Nous obtiendrons que vous soyez représentés à l’Assemblé Nationale. Alors, pour la victoire de votre pays, adhérez à notre parti et faites inscrire vos amis, de telle façon qu’au jour tout proche ou auront lieu les élections, notre parti soit victorieux.

Personne en France n’a jamais été au courant de l’existence de ce congrès.

 

Et c’est ainsi qu’un beau jour, je fus informé officiellement que des élections législatives auraient lieu quatre mois après. … Il n’existait aucune liste électorale et aucun recensement n’avait été fait depuis 5 ans ! »

 

(p177)

« Au passage, il faut que je dise un mot sur les bulletins de vote. Etant donné qu’une grande majorité de la population était illettrée, chaque candidat avait choisi un signe de reconnaissance : d’abord une couleur, ensuite un dessin.

L’un des bulletins était de couleur rouge et représentait une houe, un autre était jaune et figurait un lion, un autre était mauve et représentait une antilope, un autre était rose et figurait une girafe etc. »

 

(p195)

« Il faut dire qu’en Afrique, tout ce qui paraît anormal ne peut provenir que d’un maléfice. La maladie, par exemple, ne peut advenir que par le fait d’une personne qui vous veut du mal. Il en est de même de la mort. Dans ces cas-là, la famille va offrir des dons au sorcier et lui demande le nom des responsables de la maladie ou de la mort. Il se peut, du reste, que ce soit le même sorcier qui été consulté pour jeter le sort. Le sorcier, dans ces cas-là, à toujours un compte à régler avec quelqu’un qui s’est refusé à lui verser une dîme ou qui met en doute son pouvoir. C’est celui-là qui sera désigné comme responsable de la maladie ou de la mort. A partir  de cet instant, le responsable désigné n’a plus qu’à tenter de battre tous les records de vitesse et d’astuces pour déjouer la poursuite de la famille en furie. Il sait que c’est pour lui une question de vie ou de mort. »

 

(p197)

«  A chaque nouvelle tournée, il m’était donné de constater les progrès, toujours plus grands, de la propagande orchestrée par Mr Toumbalbaye, cet instituteur, dont j’ai déjà parlé, leader du Parti Progressiste Tchadien. Il était intelligent, habile et savait convaincre. Dans chaque village, maintenant, on trouvait un groupe de ses partisans, qui à son tour, faisait du prosélytisme. Ces prosélytes déformaient souvent la pensée de Toumbalbaye. Leurs arguments étaient souvent naïfs, pour ne pas dire bêtes mais tout le monde y croyait. Ils allaient, disant que si Toumbalbaye devenait le chef du Tchad, personne ne paierait plus d’impôt, que l’on donnerait à chaque administré un camion et pour les femmes une machine à coudre. Je ne manquais jamais de battre en brèche cette propagande. A chaque tournée, je m’attachais à dénoncer les mensonges dont étaient victimes les villageois. »

 

(p203)

« Moi, le mécréant, il faut que je dise mon admiration pour ces prêtres et ces sœurs, pour leur efficacité, leur largeur de vue, leur influence bénéfique sur les populations et leur courage. En Europe, le Clergé, d’une façon générale, se borne à enfoncer des portes ouvertes. Par contre, les missionnaires qui arrivaient en Afrique, ne pouvaient rien attendre de personne, ils ne pouvaient même pas compter sur un casuel. Pour assurer le matériel, par la suite construire, en un mot se procurer de l’argent, ils ne pouvaient compter que sur leurs mains et leur tête. En résumé, ils devaient connaître un métier. L’un d’eux que j’ai très bien connu fabriquait du savon qu’il vendait aux Africains, à un prix inférieur à celui du commerce. Avec les produits de la vente, il put construire au début , une résidence relativement confortable pour quatre pères. Ensuite, il construisit, plusieurs bâtiments à usage d’écoles. Il devait surveiller la main d’œuvre et lui donner des directives et la payer bien entendu. En même temps, il commença lui même à enseigner. Par la suite, il construisit une véritable et très coquette église. Plus tard encore il prépara des bâtiments en prévision de l’arrivée des sœurs, lesquelles l’aiderait pour l’enseignement et s’occuperaient de soigner. Je dois ajouter que leur Evêque ne devait compter que sur la générosité des missions. Ils étaient donc tous au contact quotidien des réalités et des difficultés. Les sœurs fondèrent des maternités et des dispensaires. En outre, elles enseignaient et s’occuper des enfants en dehors des heures de classe. Elles apprenaient aux femmes adultes l’hygiène et la couture. Etc.

Par la suite, j’ai fait la connaissance d’un très vieux père qui avait fondé la première des missions au Congo. Il était un peu courbé et ramassé sur lui-même. Au cours d’une conversation que nous avons eu ensemble, il me disait avec sa petite voix cassée : « Oh, ce n’est pas un pêché d’être noir, mais c’est un bien grand malheur ! »

 

 (p231)

hommage à sa femme :

 

« A plusieurs reprises, j’ai dit combien mon petit Pierre (surnommé Moineau), par sa simple attitude et par sa connaissance de plusieurs langues, m’avait souvent facilité les choses. Mais, pour être juste, je dois rendre hommage à mon épouse, qui, au cours de mes tournées, sans que je lui jamais demandé, s’occupait des problèmes sanitaires. Elle amenait des médicaments et soignait adultes et enfants, toutes les fois que cela relevait de ses possibilités. Elle prodiguait également des conseils pour les femmes enceintes et les enfants en bas âge. Pour tout dire, à nous trois, nous formions une équipe et je crois que la chose était appréciée par les Africains. Arrivée très jeune en Afrique, mon épouse sue très vite devenir une grande dame, dans la meilleure acceptation du terme, c’est à dire sans vanité, sans prétention, sans mépris, mais bien plutôt avec une grande gentillesse et beaucoup de naturel et d’humanité. Mais, en outre, être la plus grande dame du pays ne résulte pas seulement d’une situation de fait. Toutes les femmes n’en sont pas capables. Les Administrateurs, comme tous les fonctionnaires, faisaient l’objet deux fois par an, d’une notation. Toutefois, étant donné les fonctions que nous étions appelés à tenir, la note du mari était affecté d’un coefficient relatif à son épouse. Je peux dire que ma femme, souvent, au cours de ma longue carrière, a eu l’occasion, avec bonheur, avec simplicité et beaucoup de gentillesse, de recevoir les plus hauts personnages de notre temps, français, étrangers, les grands Proconsuls de la République ainsi que les hauts Dignitaires, dont elle a toujours reçu les hommages et les remerciements. »

 

Fin 1952 : Nouvelle hospitalisation : typhoïde : coma : perdu 20 kg.

 

(p250)

« Mon séjour à Fort Archambault s’acheva sur une apothéose. Au début de l’année 1953, nous eûmes l’immense honneur et l’immense joie de recevoir pour plusieurs jours le Général De Gaulle. A cette époque, il n’était plus « aux affaires ». Pour un temps seulement il n’était que Chef du Rassemblement du Peuple Français. Toutefois, le Gouvernement en place à cette époque, avait donné des consignes afin qu’il soit reçu partout avec la qualité de Chef d’Etat. C’était vraiment la première fois que nous avons accueilli «un grand seigneur ». Grand seigneur, il l’était dans la meilleure acceptation du terme, il l’était dans toute la noblesse du terme, il l’était jusqu’au bout des ongles. Il l’était par son port, par sa courtoisie naturelle par ses attitudes, par l’ascendant qu’il prenait tout naturellement sur tout ceux qui l’approchaient, par son intelligence rayonnante, par son sens de la synthèse, par sa fulgurante compréhension des problèmes. A la fois, il vous attirait et vous en imposait. Malgré son autorité naturelle, il était pourtant simple. Il avait beaucoup de fierté, mais n’avait pas d’orgueil. Il vit en entendit beaucoup de monde, en particulier parmi les Africains et prit des notes. Il jouissait en Afrique comme ailleurs, du reste, d’une telle popularité et d’un tel engouement que beaucoup de jeunes Noirs portaient son nom. »

 

(p253)

« Arrivé à Fort Lamy le 29 décembre 1950, je quittais Fort Archambault par avion, à destination de la France, le 23 mai 1953. Quand je parvins au terrain d’aviation, je trouvais le chef de région et mes camarades Administrateurs en grand uniforme. Je passais en revue l’armée qui me rendit les honneurs, la gendarmerie, la police, et tous les corps constitués. Les civils  et en particulier, les commerçants étaient tous là avec leur épouse. Il y avait également beaucoup d’Africains. J’avoue que j’en est eu du plaisir. Cela semblait prouver que j’avais acquis la considération et l’estime d’une bonne partie de la population.

 

Besangar, mon très fidèle et très sympathique interprète resta auprès de moi jusqu’à l’ultime minute. Mais voilà que, tout à coup, j’aperçus un groupe assez important de Noirs à l’autre bout de la piste. Je m’en étonne et demande à Besangar ce que cela pouvait être. Il me dit :

Je crois bien que c’est Toumbalbaye et ceux de son parti.

Je quittais immédiatement tous ceux qui étaient venus assister à mon départ, et me dirigeais vers ce groupe. C’était bien Toumbalbaye. A mon approche, il s’avança résolument vers moi. Nous nous serrâmes la main. Il me dit :

-         Monsieur l’administrateur, nous nous sommes souvent heurtés, mais je tenais à venir vous saluer, avant votre départ. Je tenais à vous dire l’estime et le respect que j’ai pour vous ! Vous avez réussi le tour de force de rétablir l’ordre et l’autorité dans notre pays, je voulais vous en remercier. Vous avez été sévère mais juste. Vous avez su rétablir la discipline. Ce n’est qu’à cette condition qu’un pays peut s’élever. Tout cela, je tenais à vous l’exprimer.

-         Monsieur Toumbalbaye, nous n’avons pas souvent été d’accord, mais je vous ai toujours apprécié pour plusieurs raisons : vous êtes honnête, travailleur et intelligent. Vous ne pouvais pas savoir à quel point j’apprécie les paroles que vous venez de prononcer. Elles me payent de beaucoup de peine, de beaucoup de fatigue, et aussi de quelques doutes. Et ces paroles, je sais qu’elles sont sincères car, vous, au moins, vous n’êtes pas ici, sur ordre. Je vous en remercie vivement. Je partirai en congé réconforté.

 

Nous nous quittâmes là dessus, mais sous mes grandes lunettes noires, deux grosses larmes coulaient.

 

 

(p260)

Extrait d’une lettre africaine :

« Monsieur le contentieux, par la présente, je viens sauter humblement sur vos genoux, avec la disgrâce qui me caractérise et de porter à votre bienveillance si admirable pour savoir ce qui suit : Mon épouse Alphonsine, comme moi de race Mushi s’est vue depuis quelques temps fricoter mystérieusement par Baise Mondali, commis à la société forestière. Ce sinistre individu qui lui impose le coït quasi-conjugal, possède en outre la turpitude d’être un Murega, c’est à dire un fils de chien ! … »

 

(p161)

« Une chose m’a toujours surpris en ce qui concerne le personnel que je ne suis jamais parvenu à m’expliquer : c’était l’attachement que, parfois, certains manifestent à l’égard d’un patron. Par exemple, j’ai eu, à un certain moment de ma carrière, un boy. Mon comportement a été à son égard le même que j’ai toujours eu avec le personnel de maison. Toutefois, celui-là, pourquoi, m’a totalement adopté. Et, dis ans après, si quelqu’un lui demande qui est ton patron, il répondra sans aucune hésitation : c’est le Commandant Degoul. Il n’a pourtant travaillé que deux ans pour moi et ne m’a jamais revu. Depuis, il a travaillé avec plusieurs personnes. Mais jusqu’à sa mort, je serai toujours son patron. Pourquoi ?

 

 

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10 février 2010 3 10 /02 /février /2010 20:43
Togo

 

En l’an de grâce 1936, j’avais été affecté dans le nord du Togo. Je me remémore souvent les débuts de ma carrière : chevalier d’un autre âge, sans armée et sans armure, seul au milieu d’une population grouillante, dévorée par la faim, la maladie et la vermine, décimée par des affections multiples ainsi que par la sous-alimentation ! Et moi, sans aucun moyen !

 

Les pavillons, les grades, les galons, les uniformes : rien de tout cela n’était de nature a attirer l’attention de ces populations faméliques, ni surtout à imposer aucune sorte de respect ! Et combien je le comprenais. J’ai, cependant, assez vite remarquer que la seule chose capable d’éveiller leur intérêt et leur curiosité, c’était la compassion et l’attention que l’on portait à leur misérable condition, surtout lorsqu’elles constataient que l’on essayait d’y porter remède.

 

Je me trouvais parmi une population à l’état primaire. Tout était à créer, tout était à inventer, tout était à organiser à partir de rien et le tout sans moyen. Alors, comment s’étonner qu’à 25 ans, l’on ne dorme que quelques heures par jour, et souvent pas du tout ! Alors, comment s’étonner qu’à 25 ans, on ne connaisse ni nuit, ni jour, ni dimanche, ni jour de fête !

 

Toujours, seul, toujours à la limite des possibilités humaine, il y avait tant et tant de choses à faire partout et en même temps ! Après de longues observations et de nombreuses et patientes enquêtes, j’en suis arrivé à la conclusion que la famine permanente provenait, avant tout, d’une sous-nutrition chronique et si l’on peut dire congénitale. La mortalité infantile s’élevait en moyenne à 75% entre la naissance et deux ans. Elle s’établissait encore dans les 50 % entre 2 et 12 ans. Il en résultait une sélection naturelle : seuls les plus vigoureux avaient des chances accrues de survivre. En tout état de cause, chaque homme était à tel point sous-alimenté qu’il n’avait pas la force, le moment venu, d’agrandir les surfaces emblavées. Elles étaient tellement restreintes que leur production ne parvenait jamais à assurer la « soudure ». ; autrement dit, à attendre les produits de la récolte suivante. Il faut ajouter que le mil, leur unique céréale et unique nourriture, était assez pauvre au point de vue alimentaire. Par ailleurs, ils n’avaient ni lait, ni beurre, ni poisson, ni viande. J’ajouterais qu’il étaient presque totalement dépourvus de sel. Je parlerai plus loin de ce problème.

 

J’ai donc demandé et obtenu péniblement des crédits. Avec les sommes obtenues, j’ai procédé à l’extérieur, à l’achat d’un important stock de mil. J’abrégerai pour parler de l’énorme travail de répartition proportionnelle au nombre d’habitants par village, de la fabrication de greniers spéciaux placés sous la responsabilités des chefs, le moment venu de la répartition des semences par habitant. Il était très important de ne pas leur distribuer trop tôt : les habitants auraient consommé les graines. Par ailleurs, il ne fallait pas non plus leur distribuer lorsque les pluies étaient trop engagées : les graines eussent pourri en terre. Il fallait donc que la répartition soit effectuée dans un temps très court.

 

Et ces activités venaient s’ajouter de milliers d’autres attributions. Ainsi, lorsque les pluies revinrent, je fis, par voie d’autorité, presque doublé, sous mon contrôle direct, les surfaces semées. Mais il fallut que je divise mon territoire en secteurs et que dans chacun d’eux, j’affecte un groupe de gardes, afin de s’assurer qu’après mon passage, on irait pas déterrer les graines pour les manger ! la chose arriva plusieurs fois. La faim était si grande !

A la récolte qui suivit, on eut, pour la première fois, de la nourriture en abondance. Pour la première fois, on pu mettre en réserve une importante quantité de semences et l’on eut à manger, en abondance, jusqu’à la nouvelle récolte !

 

L’atmosphère avait déjà changé. Un promeneur, non averti, qui l’année suivante, au mois de novembre, aurait traversé le pays, aurait été surpris de l’atmosphère de liesse qui flottait dans l’air. Il s’en serait demandé la raison. Elle était bien simple pourtant : la récolte de mil venait de s’achever ; elle était abondante et de bonne qualité. Révélant la présence de village qu’on ne voyait pas, de toutes parts, crépitaient des « tam tam ».

 

Ils chantaient l’allégresse, la grande euphorie des hommes, après les jours inquiets d’une soudure autrefois si pénible et si cruelle. Ils chantaient la gratitude aux dieux et aux ancêtres, qui, une fois encore, avaient permis à la terre de renouveler son étonnant miracle.

 

Entre temps, je m’était offert un « accès pernicieux » dont on se tire rarement sans surveillance médicale. Or, je ne pouvais d’autant moins faire appel à un médecin que je demeurais 7 jours dans un coma profond. Je perdis 17 kilos.

 

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Cendres par Jacques Degoul

 

Togo

Ministère de la FOM

Ecole de l’ENFOM

Brazzaville (Congo)

Fort Lamy (Tchad)

Fort Archambault (Tchad)

Kourma (Tchad)

Fianga (Tchad)

Mao (Tchad)

Sibiti (Zaïre)

Kinshasa (Zaïre)

Posteface

 

 

Togo (suite)

 

(page 1-10)

 

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« Malgré cette succession de malchance (maladies), l’important pour moi était d’avoir acquis l’estime et la confiance de toute une population, je dirais même son entière obéissance spontanée. Cela valait, pour moi, tellement plus qu’une décoration. J’étais fier et joyeux sans limite et sans aucune vanité. Le Roi n’avait jamais été mon cousin ! Et bien, voyez-vous, de notre temps, on ne faisait pas de politique, mais on travaillait de toute son âme. Pour mieux comprendre quel était notre rôle, il faut dire qu’outre l’activité relatée ci-dessus, je cumulais un certain nombre d’autres fonctions, je vais tenter de les énumérer :

 

-         Ordonnancement des dépenses

-         Contributions directs : Impôt, perception et affectation

-         Contributions indirectes : recouvrement

-         Domaines : gestion des extractions par les entrepreneurs

-         Ponts et chaussées : Responsable de l’entretien des routes, de leur construction ainsi que des ponts…

-         Bâtiments : Entretien, construction en mesure des besoins

-         Matériels et matériaux : matériaux pour la construction, matériels diverses dont parc automobile

-         Police : Responsable de la sûreté et de la police

-         Population : Officier d’état civile, registres d’état civil, recensements…

-         Contrôle des services administratifs, de la comptabilité.

-         Président du tribunal et juge de paix.

-         Affaires politique et économique : mise en valeur du territoire.

-         Services agricoles : développement

-         Services de renseignements

-         Président de la SAP (Société de Prévoyance Africaine)

 

J’arrête l’énumération qui est loin d’être exhaustive. Pour passer le service à son successeur, il fallait compter environ deux mois. Nous étions théoriquement remplacés tous les 2 ans.

 

J’avais 25 ans et je pensais que, malgré mes peines, ma fatigue, mes doutes, mes espoirs alternés, tous mes problèmes, jamais jeune homme de 25 ans n’avait eu une vie aussi merveilleuse que la mienne. Aussi, lorsque vînt le temps du congé, bien mérité pourtant, il faut le dire, lorsque se présenta à moi mon successeur, je me souviens être allé me retirer un moment chez moi pour pleurer. Ce pays n’était pas le mien mais il faisait parti intégrante de ma chair. Et c’est ainsi que débuta la plus merveilleuse carrière d’un humble, très humble fonctionnaire, qui appartenait cependant au corps le plus élevé de la hiérarchie nationale française. »

 

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« Au début de ce récit, j’ai parlé de la misère tant physique que morale de mes administrés, j’ai parlé de leur état de sous-nutrition chronique mais j’ai oublié de dire qu’ils se trouvaient en état de carence presque totale de sel ; cela n’était pas de nature à arranger les choses. Tout être vivant éprouve en effet un besoin impérieux, je dirais même vital, de sel. Pour les africains, le sel coûtait plus cher que l’or. »

 

../..

 

«  Il existait bien des gisements importants de sel gemme dans le désert, mais seuls les nomades les exploitaient et en connaissaient leur localisation. Pour leur exploitation, ils faisaient appel à la main d’œuvre noire. Ces Noirs avaient été enlevés à leur famille lors de leur plus tendre enfance. Parvenus à l’aspect physique d’adulte, ils étaient utilisés à l’extraction du sel. Toutefois, afin qu’aucun d’eux ne puissent s’évader et divulguer la position géographique de la mine, on prenait la précaution de leur crever les yeux.

 

C’était donc les Musulmans qui étaient les banquiers du sel et le vendaient à un coût défiant toute concurrence. Pour cela, ils veillaient à ne répondre à la demande qu’avec beaucoup de parcimonie, afin de ne pas faire chuter les cours.

 

A cette époque, les budgets locaux n’étaient que des budgets de fonctionnement, étant donné la très faible capacité fiscale des indigènes et encore cette capacité était-elle infiniment variable d’une tribu à l’autre. C’est à dire que l’on ne possédait que de très faibles crédits d’équipements. Enfin, il est nécessaire de dire que le Gouvernement français s’est toujours et systématiquement refusé à accorder des subvention aux budgets de nos territoires d’Outre mer.

 

Quelle erreur énorme !

 

Cependant, il fallait aller de l’avant, par tous les moyens, pour le bien même des pays administrés. C’est ainsi qu’il advint que j’ai eu à construire une route dans une zone montagneuse, pour ouvrir une nouvelle région à l’économie.

 

Je ne disposais que de crédits insignifiants et de toutes façons, largement insuffisants, eu regard à l’importance des travaux envisagés. Je ne pouvais cependant pas abandonner mon projet. Alors, il me vint une idée. Avec les crédits dont je disposais, je fis acheter à la côte d’Ivoire vingt tonnes de sel que je payais 20 cts le kilo. Lorsqu’en fin de travaux mes travailleurs virent arriver le chargement des « milles et une nuit », ils me prirent pour « Crésus » lui-même.

 

De leur vie, ils n’avaient pu imaginer un aussi fabuleux trésor. Je les ai donc payé en sel ; ce que je leur distribuais, représentait pour eux infiniment plus que le salaire que j’aurai pu leur donner et en outre bénéficiait à toute la famille. Tous furent heureux et prêts à recommencer. »

 

Janvier 1938 : Premier congé en France ; rencontre de la future Mme Degoul.

 

Octobre 1938 : retour au Togo

 

« Je fus à nouveau affecté dans le Nord. Depuis 3 ans, les populations y avaient sensiblement changé d’aspect physique ; elles n’avaient plus cet aspect de bêtes traquées que j’avais connu. La famine avait peu à peu disparu et de ce fait, leur état sanitaire était déjà bien meilleur.

Dès lors, il paraissait possible de procéder au deuxième bon en avant que l’on avait envisagé. Dans un premier temps, il avait paru sage et important de permettre aux populations de se refaire physiquement. Ceci étant en cours de réalisation, il importait dans un second temps de lancer et développer une culture industrielle, adaptée au sol et au climat, susceptible d’apporter de l’argent frais aux cultivateurs qui n’en connaissaient pas l’usage.

 

Lancer une culture industrielle, constituait de toute évidence le premier maillon du développement économique du pays. Lancer une culture industrielle, présentait, en outre un double avantage : d’une part, c’était un moyen d’augmenter la capacité fiscale des Africains et par conséquent les possibilités budgétaires, d’autre part, la vente de ces produits sur les marchés étrangers permettrait au territoire l’importation des devises dont il avait tant besoin pour l’équipement du pays.

 

Après beaucoup de réflexions et quelques essais, ce fut la culture de l’arachide qui fut retenue. A nouveau, nous dûmes procéder à l’achat de semences, constituer des greniers par villages sous la responsabilité du Chef, faire préparer en temps voulu les terres pour recevoir les semences juste à point, distribuer ces semences dans une période courte et précise, déterminée par l’arrivée des premières pluies. Ensuite, après récolte, il convint d’organiser les marchés, de protéger le cultivateur afin qu’il reçoive le juste prix de son travail. »

 

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(p24)

« Au cours des recensements que j’ai effectués, j’ai été amené à constater de très nombreux cas de cécité, attribuable à une carence vitaminique.

Il faut dire que dans la savane, on ne trouvait aucun arbre à fruits, ni aucune plante à baies. Les cultures destinées à l’alimentation ne comportaient pas de variétés. Elles se résumaient au mil, à l’igname et quelques patates. Tous ces légumes et céréales étaient vraiment pauvres en éléments vitaminiques.

Pour pallier aux graves inconvénients de cet état de fait, j’eus recours à deux subterfuges. D’une part, je distribuais à tous les chefs, quatre noyaux de mangue. Je conseillais à chacun d’eux de les planter autour de leur « tata » (en Afrique groupe de cases rondes constituant une maison familiale et incluses dans une même enceinte). Je leur fis valoir qu’en grandissant ces arbres indiqueraient à tous la case du chef, et qu’en outre ils auraient des fruits très agréables et très juteux. Cela leur plut et tout se passa comme je l’avais prévu. Je savais bien que par ce que le manguier était l’arbre des Chefs, les villageois auraient envie de dérober quelques fruits et qu’à leur tour, ils planteraient les noyaux.

 

D’autre part, j’utilisais la ruse de Parmentier. Pour mon usage personnel, je fis réaliser un jardin potager où l’on fit pousser la plupart des légumes de France.

 

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On déroba, surtout la nuit, une certaine quantité de tous ces légumes. Et c’est ainsi que quelques années après, on trouva dans la brousse des tomates, des aubergines, des salades etc…

 

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(p25)

Lorsque je partais en tournée, il ne me déplaisait pas d’assister au tam tam qui avait lieu dès que se produisait un rassemblement.

J’aimais également, mon travail achevé, parler longuement avec les vieux, qui ne manquaient pas d’assister, en spectateur, aux recensements, ou aux séances foraine du tribunal. J’apprenais ainsi une masse de choses fort intéressantes. Il m’est également arrivé de passer une nuit entière à discuter avec un Imam (religieux musulman). J’étais surpris de constater qu’il connaissait parfaitement l’histoire des croisades. Il n’ignorait rien non plus des personnages de notre ancien testament. Cette nuit là me paru très courte.

Mais par dessus tout, la nuit venue, j’adorais aller entendre les Griots du Niger. Ce sont des personnages pétillants d’esprit. Les thèmes de leurs chansons portaient toujours sur des événements ou des personnages d’actualité. Ils improvisaient sur des rythmes conventionnels. Il existe, en effet, en Afrique des rythmes pour la joie, pour la tristesse, pour la mort, pour la naissance, pour les mariages.  Ils sont invariables. Par contre, pour chaque événement, un certain chanteur improvise des mots de circonstance. Car dans tout tam tam, il y a le chanteur. Les refrains sont repris par l’assemblée. Or, donc, les Griots étaient des personnages éminemment spirituels. Je jouissais d’autant plus de leurs chansons que j’avais toujours, auprès de moi, mon fidèle interprète, qui traduisait. »

 

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(p27)

« C’est ainsi qu’il me vient à l’idée de parler des tatouages en creux ou en relief. Ces marques qui pouvaient paraître inesthétiques étaient cependant nécessaires et même indispensables. Elles résultaient d’incisions pratiquées dès le plus jeune âge sur la figure des enfants des deux sexes. Elles étaient recouvertes aussitôt, pour la cicatrisation, de bouse de vache et de toiles d‘araignées. Ces tatouages ont toujours surpris les Européens. Mais à une époque où n’existait pas encore des registres d’état civil, il importait de pouvoir prouver ou parfois retrouver son identité. Il ne faut pas oublier que l’Afrique compte une infinité de langues et de races différentes, lesquelles, de toute éternité, étaient opposées les unes aux autres, et ne se voulaient pas de bien.

 

Au cours de combats que se livraient les clans, nombreux étaient morts, mais également ceux qui étaient réduits à l’esclavage ! Hommes, femmes et enfants. Il était donc à peu près impossible aux très jeunes enfants de retrouver leurs origines. Les tatouages le rendaient possible. Ils constituaient une véritable carte d’identité. Ils permettaient de connaître la race, la tribu, le village et la famille de chaque individu. C’est du reste, ces réserves d’esclaves qui ont permis le commerce et la traite. Ces derniers ont, en effet, servi de monnaie d’échange avec les navigateurs qui cherchaient à vendre leur pacotille.

 

Par ailleurs, la Louisiane, occupée au nom de la France depuis 1682, n’a commencé à être colonisée qu’à partir du tout début du 19ème siècle. Ce territoire immense était la propriété d’une poignée de nobles français. Mais, sa mise en valeur nécessitait la présence d’une abondante main-d’œuvre, qui n’existait pas sur place.

 

Les navigateurs comprirent très vite que l’importation de main-d’œuvre noire dans ces pays d’Amérique pouvait constituer pour eux une immense source de profits. Et voilà comment a débuté la traite des noirs qui fut abolie par Schoelcher en 1848 !

 

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Juillet 1940 : Mort de Mr Degoul père.

Octobre 1940 : Retour en France à travers les obus. Notamment pendant le bombardement de Dakar.

Décembre 1940 : Mariage avec la demoiselle de Nice

Janvier 1941 : Il se fait arracher toutes les dents pour ne plus avoir à en souffrir, notamment à cause de la quinine. (Arthrite de la quinine)

Avril 1941 : Départ pour l’Afrique avec sa femme. (trajet en convoi de bateaux jusqu’à Dakar escorté par la marine puis train direction Bamako, Bobo, Ouaga et enfin Lomé 3 mois plus tard. (Joli voyage de noce).…

 

 

Juin 1941 : Lomé

 

(p59)

« Depuis le mois de septembre 1939, il s’était passé beaucoup de choses. La guerre avait eu lieu ; des bataillons de renfort avaient rejoint la métropole pour participer aux combats ; des camarades avaient été tués, d’autres avaient été fait prisonniers, d’autres enfin avaient disparu.

L’armistice signé, un certain nombre de camarades avaient rejoint Londres et le Général De Gaulle. Plus aucun homme, en âge de porter les armes n’était autoriser à quitter la France. En conséquence de quoi, la relève ne pouvait être assurée. Il était donc normal que moi et quelques autres camarades qui avions eu la chance d’échapper à la guerre, payent de leur personne.

A plusieurs reprises, j’avais demandé avec insistance l’autorisation de rejoindre les forces françaises libres mais le Gouverneur s’y était opposé, m’affirmant que je rendrai beaucoup plus de services à mon pays en restant à mon poste, plutôt que d’aller porter le fusil.

En fait, une semaine après notre arrivée à Lomé, je fus affecté à la direction des Finances comme adjoint. Peu après, je fus nommé simultanément Comptable gestionnaire du magasin général d’approvisionnement.

Dans ce même temps, le climat se dégrada rapidement. Le Gouvernement de Vichy et je ne dis pas le maréchal Pétain, avait rappelé le Gouverneur en place pour le remplacer par une autre « gueule cassée » de la guerre 1914-1918. En outre, il était accompagné par un officier MA (Menées Antinationales) à la solde des Allemands.

Alors commença une atmosphère lourde de suspicions réciproques et de doutes. Les relations entre les personnes devinrent de plus en plus acerbes, empoisonnées qu’elles étaient par l’éloignement, l’isolement, le manque d’information, le manque de nouvelles de la famille vivant en France, le manque de relations avec le monde extérieur, l’ignorance même où l’on était de la durée possible de cet isolement subordonnée à la durée de la guerre.

Finalement tout le monde voulait exprimer son patriotisme. Chacun prenait position pour le Maréchal Pétain ou pour le Général De Gaulle. Dans ce dernier cas, il était recommandé de n’en rien dire si on voulait éviter les ennuis, les brimades et les sanctions. »

 

(p62)

« A cette même époque. L’Amérique fournissait des armements à l’Angleterre et à la France combattante pour les fronts d’Egypte, de Cyrénaïque et de Tripolitaine. Elle préparait également son entrée dans la guerre. Dans ce but, elle avait crée de toutes pièces à Lagos, au Nigeria, des usines d’assemblage de matériels. Toujours pour la guerre et en prévision de la guerre, les autorités militaires américaines avaient également constitué des stocks très importants de médicaments et en particulier d’antibiotiques.

A la demande du Gouverneur du Togo, je préparais à sa signature une lettre aux autorités militaires américaines, leur exposant la précarité de notre situation, due au manque de ravitaillement, à l’épuisement des personnes, au manque de médicaments les plus élémentaires, aux nombreux décès qui en découlaient. Nous demandions en conséquence, s’il leur serait possible de nous fournir les médicaments figurant sur un document annexe, avec les quantités indiquées. Nous précisions que, dans l’affirmative, nous nous engagions à régler cash.

Les autorités américaines répondirent qu’il leur était impossible de nous donner satisfaction, sous réserve cependant, que le gouverneur de Togo leur assure l’exclusivité de la fourniture de médicaments pour quarante ans. Il leur fut répondu que, dans ces conditions, nous continuerons à mourir. »

 

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13 mars 1942 : naissance d’un premier enfant : Paul.

Eté 1942 : hospitalisation (septicémie et coma).

 

Février 1943 : affecté à Anecho (Togo) en tant que chef de district.

 

24 avril 1943 : naissance d’une petite fille : Dany

 

-         lancement de la culture du maïs pour fabriquer du carburant (pénurie de pétrole)

-         Puis de l’huile de palme pour la même raison

 

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(p69)

« C’est à Anecho que je reçus, vers le mois de juillet 1944, si j’ai bonne mémoire, la visite du nouveau Gouverneur Général de l’AOF nommé par le gouvernement d’Alger. Sauf erreur de ma part, il se nommait Cornary. Dès son arrivée, il me convoqua dans le bureau mis à sa disposition et me dis :

-         Degoul , pour la première fois, je fais votre connaissance, mais je n’ignore pas tout ce que vous avez fait pour la Résistance, et je tiens à vous en féliciter et à vous en remercier. Je sais à quel point vous avez payé de votre personne et combien votre santé en a été compromise. Je sais également, combien grand est votre épuisement. Toute fois, dans les circonstances présentes, il n’est pas possible d’envisager une relève avant de longs mois. Dans ces conditions, je vous demande de continuer de tenir et de poursuivre votre sacrifice, qui pourra, peut-être aller jusqu’à la mort ! Je compte sur vous. »

 

Septembre 1944 : nouvelle hospitalisation

 

Octobre 1944 : Adjoint au Commandant de cercle de Lomé

 

-         Lancement de la culture de légumes

-         Création de fours à pain

-         Lancement de la culture de café

-         Lancement de la culture du riz

 

Janvier 1945 : nouvel hospitalisation : abcès abdominal

 

-         Amélioration de la culture des noix de coco

-         Lancement des élevages de bovins

 

Juin 1944 : hospitalisation : violent accès de paludisme

 

-         déstabilisation du pays par les Anglais qui souhaitent voir le Togo rattaché à la Gold Coast.

 

(p77)

« Pour la première fois dans ma carrière, j’eus l’occasion de constater que lorsque, dans un pays, ils se produit des mouvements subversifs, il faut le plus souvent, en chercher la cause à l’étranger. Pour des raisons variées, c’est presque toujours un pays étranger qui a intérêt à déstabiliser un autre pays. Plusieurs fois dans ma carrière, j’ai eu confirmation de la chose. 

 

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Le 9 mai 1945, un grand coup de tonnerre se produisit. On apprenait la capitulation de l’Allemagne. Ce fut subitement comme si un violent mistral venait de balayer le ciel et l’atmosphère. Un grand calme et une grande détente s’ensuivirent. Le comportement des gens fut modifié, comme par un coup de baguette magique, les portes de la prison s’ouvraient : on pouvait, enfin, après environ cinq longues années d’isolement, espérer rentrer en France. »

 

 

Août 1945 : Départ pour la France. Arrivée au Havre. (Paul a 3 ans et 40 de fièvre toute la traversée)

 

(p82)

« Mais je dois relater, avant d’arriver au Havre, combien nous avions hâte de revoir la terre de France. Lorsqu’enfin, nous vîmes dans le lointain, la terre, nous pleurâmes comme des enfants. C’était la France, notre pays, mais depuis 5 ans, il s’était passé tant de choses que nous nous demandions si nous nous y reconnaîtrions. Après de tels bouleversements, nous allions découvrir une nouvelle France que nous ne connaissions pas. Il faut vraiment avoir longtemps quitté son pays pour comprendre tous les liens qui vous rattachent à la patrie.

 

J’ai connu le Havre en 1938, mais au fur et à mesure que nous approchions et que l’on pouvait mieux voir, je fus bouleversé de constater qu’il ne restait plus rien de la ville. Elle était totalement rasée. Il n’y avait plus que des décombres informes.

 

Les américains qui occupaient la ville se comportaient comme de vrais conquérants. Aucune jeune fille ou femme mariée ne pouvait sortir seule sans risquer le pire. Les GMC militaires dévalaient à grande vitesse dans les rues : tant pis pour celui qui ne dégageait pas la chaussée à temps. Lorsqu’une personne était fauchée, on ne s’arrêtait pas. Les habitants du Havre en était arrivés à regretter l’occupation allemande ! La même chose devait arriver, un peu plus tard, en Indochine… »

 

Janvier 1946 : Ministère de la FOM à Paris (France d’Outre Mer)

 

Juillet 1946 : Concours d’admission à l’ENFOM (Ecole Nationale de la FOM)

 

A cette époque, la France est morte de faim. Mr Degoul, pendant sa scolarité n’y échappe pas.

 

Juillet 1947 : Sorti 4ème de l’ENFOM.

 

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7 février 2010 7 07 /02 /février /2010 17:11


C’était un samedi de match au quartier de Bobo. La terre rouge du stade volait en poussière lors de frappes comme à la sortie d'un canon. Les petites jambes des joueurs se mêlaient dans un nuage mouvant et le soleil teintait l’ensemble de son couché. L’arbitre siffla une faute douteuses et les esprits s’échauffèrent. Puis il dit : - Je ne suis pas Dieu. Mon arbitrage n’est pas parfait et ne le sera jamais. Cependant, ma loyauté est sincère. Si cette faute n’est pas, je n’ai pas sifflé pour punir mais je me suis seulement trompé. Alors, elle ne sera décisive que si elle s’insuffle ainsi dans votre esprit. La victoire s’obtient avec l’état d’esprit et non pas forcément avec la technique. Bien que la faute est été sifflée,  il vous suffit de passer outre et de vous dire : ma main a peut-être touché ce ballon car j’étais le premier à l’atteindre, ainsi en continuant avec cet entrain, je serai la premier à la mettre au fond du filet !

Ainsi, la nuit s’avançait mais les joueurs, assis sur le tarmac, écoutaient toujours les vieux qui s’étaient joints au groupe et racontaient des histoires, parfois extraordinaires, mais qui ne manquaient jamais, cependant, de paraboles judicieuse et de morale.

 

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30 juillet 2009 4 30 /07 /juillet /2009 18:48



Bonjour tout le monde

Voilà un grand mois que je suis au Burkina. Après m'être un peu laissé envelopper par les meurs d'ici, après avoir passé un peu de temps dans la brousse, les villages et puis la capitale, j'aimerai en dire quelques mots.

80% de paysans sans eau potable ni électricité qui vivent dans le monde parallèle de celui de leurs ancêtres et à qui ils s'adressent chaque jours.

80% d'analphabètes mais à quoi sert de savoir lire et écrire quand on connaît à 12 ans le coran par coeur, en entier, même si on n'en connaît pas vraiment toute la signification. Ces enfants de l'école coranique, gratuite, qui errent pratiquement toute la journée loin de leur famille pour mendier à manger pour eux et leur marabout.

Et puis ceux qui ont la chance d'être envoyés par leur famille à l'école normale, les plus doués, sur qui on investi ses biens pour que plus tard, s'il y parvient, cet enfant subvienne au besoin de toute la famille et de ses voisins de quartier en trouvant peut-être un travail.

Ici, tout le monde mange, c'est déjà pas mal. Aussi et surtout d'après eux, ici il y a la paix. Et cela, c'est bien le principal. Car partout autour, ça pète. Des guerres, des guerres civils, entre ethnies, entre religions, entre pays. Des guerres qui amènent l'exode, la famine et la mort de beaucoup de parents. 2 millions de réfugiés revenants de côte d'Ivoire ces dernières années, beaucoup d'orphelins.

Ici, il n'y a rien mais c’est la paix alors on est heureux, on rie entre Peuls, Mossis, on se moque gentiment des Bobos, des Senoufos. On laisse le président s'enrichir un peu du moment qu'il a les épaules assez large, du moment qu'il est assez diplomate pour prolonger la paix. On évite de parler de religion, on s'entend, on s'accorde, on partage.

L'étranger que je suis prend une nouvelle fois une leçon d'humanité. Tout est réglé comme une horloge, pas besoin d'état, ni de flics, ni de justice, tout se passe dans le quartier, dans le village. On écoute les vieux raconter des heures durant, dans une litanie tranquille, les histoires, les morales, les rois, les grandes familles.

Voilà la vrai éducation des enfants.

A bientôt.



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11 décembre 2008 4 11 /12 /décembre /2008 12:51



Le bateau lâchait enfin les amarres. Il quittait doucement le quai comme un gros iceberg pour s’enfonçait dans la nuit. La fameuse trompe d’éléphant longue et grave comme dans les vieux films ne se fit pas entendre. Ni non plus, nous vîmes les amoureux et les familles agiter leur foulard. Il n’y avait personne. Nous partions pourtant, nos mains se serraient sur la rambarde. Et nos rêves les plus fous étaient entrain de prendre forme à partir de cet instant.

 


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