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Thomas SAnkara (Burkina Faso)
l'homme intègre

Hugo Shavez
(discours Copenhague déc 2009)

Keny Arkana : un autre monde est possible
reportage altermondialiste

"The Take" (Argentine) ou comment les ouvriers
se sont accaparés de plus de 200 usines

Paradis fiscaux, la grande évasion
Un film de Frédéric Brunnquell
Diffusion sur France 2 dans Infrarouge.


Voyage :
La vérité, c’est qu’on ne sait nommer
ce qui nous pousse.
Lorsque le désir résiste
aux premières atteintes du bon sens,
on lui cherche des raisons.
Et on en trouve qui ne valent rien…
Extrait de Nicolas Bouvier dans l’Usage du Monde


Citation :
L'Afrique sans la France,
c'est comme une voiture sans chauffeur
La France sans l'Afrique,
c'est une voiture sans carburant
Omar Bongo


Pétition :
"Justice pour Thomas Sankara,
Justice pour l'Afrique"






16 septembre 2008 2 16 /09 /septembre /2008 09:53


Quartier G7. Ciel bleu clair puis teinte orange de la nuit. Lumières blanches des lampadaires. Pas un souffle de vent. Vastes étendues de jeux, saules et peupliers, enchevêtrés. Pieds de cannabis sauvages, poilus comme des orties. Fontaines, ruisseaux, vallées silencieuses. Chemins recouverts de feuilles. Maisons sans étage. Sans fenêtre. Places comme patio, dissimulées entre les murs, autour d’un eucalyptus. Vendeurs ambulants. Glaces à l’eau. Poussettes. Femmes et filles dans les ruelles. Vieillards silencieux, ridés au coin d’un mur. Tout est tranquille. Atmosphère paisible. Il fait doux, de cette douceur d’un soir printanier. Les enfants courent, crient, chahutent. Les hommes dans la plaine, jouent au criquet. Sueur, cris, formes discordantes de robes blanches. Glissement de Babouches. Ombres de la nuit. Sommeil tranquille. Sérénité. Apaisement… Gronde. Vibre. Là bas. La montagne. Dieu qui rendra fou la terre, tuera, démolira la vie, fera pleurer les hommes dans les décombres de leurs enfants…



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30 juillet 2008 3 30 /07 /juillet /2008 09:13



Dans la soirée, nous prenons donc place pour le spectacle. Notre entourage est âgé et aisé, qu’il soit indien ou occidental. La nuit tombe, les musiciens s’accordent, la danseuse apparaît, le silence se fait et le spectacle débute. Il ne faut qu’un instant à la musique pour nous transporter, nous faire ressentir l’essence du peuple qui l’anime. Ainsi, toute l’Inde est dans sa musique. Rien ne sert de visiter les temples, de lire les livres, d’errer dans les montagnes ou les steppes. Elle dessine ses paysages : splendeur, richesse de sa nature, raconte l’histoire de son peuple, le tumulte de leurs passions, leur foi, leurs doutes, leurs joies, leurs souffrances et nous berce dans les délices de la beauté, la sensibilité et la poésie. L’émotion m’envahit progressivement et s’intensifie à mesure que le corps, dans toute sa souplesse et sa dextérité, s’identifie à la subtilité de la mélodie. Les mouvements de la danseuse sont si proches de la musique qu’ils semblent être la forme vivante des notes dans l’espace. Son corps tourne et vole sur la scène, d’une suavité et d’une finesse qui surplombe l’art indien. Enfin, l’orage est tombé sur nous avec, en quelques minutes, une pluie diluvienne. Les gens restaient pourtant figés sur leur tabouret. Les musiciens ne s’arrêtaient pas non plus et la danseuse ouvrait ses bras à la pluie en continuant de tourner dans un délire que le bruit de la foudre rendait plus incroyable. Et puis les gens ont commencé à courir pour se réfugier dans tous les sens comme si le spectacle les avait rendus fous. Mais, la plaine était nue et la boue s’épaississait. Finalement la musique s’étouffa et tout le monde reprit ses esprits ou alors seulement moi qui l’avais perdu. Je me frottai les yeux ruisselant sous les lourdes gouttes d’orage. Nous reprîmes, tremblants, le chemin qui nous avait amenés ici. Je repartais avec, dans le ventre, une sensation, une énergie qui m’avaient tout abasourdi.


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12 juin 2008 4 12 /06 /juin /2008 20:40


 

L’automne tarde à venir ici. C’est encore l’été. Le ciel, chaque matin, est bleu. Avec Daoud, jour après jour, nous sillonnons la ville. Istanbul la magnifique, vallonnée, pavée à l’infinie. Une ville avec, à chaque détour, une vue imprenable sur le bleu de la mer. Ses vieilles maisons ocres de trois ou quatre étages, dans un dédalle méditerranéen de ruelles biscornues. Dix huit millions de personnes vivent à Istanbul, un tiers de la population environ, d’un pays qui fait deux fois la France en superficie. Les journées passent vite, encore une puis une autre. De plus en plus loin, on cherche et on trouve les rues encore revêtues de terre battue où les tissus multicolores se balancent, incrédules, entre les maisons de torchis d’où les enfants, aux yeux brillants et aux sourires ensorceleurs, entrent et sortent pieds nus et sales comme des rats. J’adore cette ville, ses marchés d’épices et d’étoffes. Les ports accrochés sur la mer par d’immenses cargos, les monuments grandioses, les mosquées irréelles et les cours intérieures, fleuries et calmes où coule une fontaine dans la fumée épaisse et le parfum fruité des narguilés. Ces dalles, des places et des allées, sont foulées depuis 2000 ans. Deux mille ans… Byzance, Constantinople et enfin Istanbul. Istanbul la Magnifique. On se sent bien dans le coeur de cette ville. Le climat sans doute où l’espace, je ne sais pas. Les vacances aussi bien sûr. Rien foutre encore. Fainéanter dans un lieu neuf est la plus absorbante des occupations, écrivait Nicolas Bouvier. C’est bien ça. Des heures, assis ici et là, admirant la fourmilière. Nous ne sommes pas seuls. Distraction largement répandue dans les pays où la température est clémente, partout, dans les petites rues ensoleillées, devant leurs portes, discutent, les petits vendeurs à la sauvette, les cireurs de chaussures kurdes, les excellents marchands de tapis et ceux qui ne font décidément rien et restent assis toute la journée à l’ombre d’un figuier. Puis soudain, dans toute cette vie, toute cette agitation, dans toute la ville, résonne, comme un rappel à l’ordre, comme venu du ciel, dont l’écho se perpétue mille fois dans chaque recoin, chaque maison, le chant du muezzin. Istanbul…

 


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12 juin 2008 4 12 /06 /juin /2008 20:35


Il commence par frôler mes joues puis la première lèvre. Ses doigts descendent le long de mon cou. Je les sens sur mon épaule et doucement, en me frôlant à peine, sa main disparaît sous la couette. Je me laisse aller et suis la danse de nos corps. Soupire. J’aime ce moment. Il peut durer des jours. Mais on frappe à la porte…Il me plaît en fait ce mec. Il n’est pas mal et pas trop stupide. On est bien tous les deux. Comment empêcher les émotions qu’on a avec quelqu’un ? Comment empêcher son corps d’onduler sous de douces caresses ? Comment garder ses principes quand on a de si délicieuses habitudes ? C’est dur de rester froide, de montrer de la gêne, de la distance, de la confusion. C’est dur de rester indifférente…Comment déjà, cette histoire a-t-elle commencé ? De longues discussions, de longues promenades sur les bords de la mer. Je l’observais. Je ne cessais de l’observer. Ses mains, son regard. J’ai eu envie de ses lèvres. L’attirance commence par le regard. Je devrais m’empêcher de détailler mes interlocuteurs. Je ne pourrais alors être attirée par ce que je ne peux pas voir… Je sais qu’il est avec moi pour mon exotisme. Je déteste ça. Mais de le savoir, ça me protège, du moins je le crois. Le soir, tout contre moi, pendant que je lis, il rêvasse. Puis, comme si pendant tout ce temps il pensait à moi, il me regarde et me pose des questions personnelles, me fait une remarque sur mon comportement ou un jeu de mot que je ne comprends pas. Des choses qu’on oublie plus vite que le temps passé à trouver les mots pour les dire. Mais à quoi pense-t-il ? Il essaie de me deviner. J’espère qu’il ne tombe pas amoureux…Juste quelques jours pour l’oublier… Il y a longtemps que je me suis interdit de rêver, surtout quand il n’y a pas à rêver. L’amour c’est du temps, l’attirance ne suffit pas, et du temps nous n’en avons pas. Même pas le temps de s’ennuyer, pas de frustration, pas de sentiment, pas d’échec. Juste bien avec quelqu’un un peu de temps. C’est facile à comprendre. Le temps où tout est beau et neuf. C’est ce qui me plaît, là, tout de suite. Savoir être désirable, savoir plaire, savoir choisir et partir. J’ai pris mon billet. Je suis partie. Soulagée.


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12 juin 2008 4 12 /06 /juin /2008 20:30

 



Prendre l’avion et faire cinq où six mille Kms, c’est comme… je ne sais pas, c’est pas possible, c’est inhumain, c’est nul car on ne se rend pas compte du changement. Je n’ai rien vu d’autre qu’une vidéo sur un écran. Un film indien de la méga production de Bollywood. L’ordinateur veut corriger ce mot, il me signifie Hollywood. Lui non plus, mon ordinateur, ne connaît pas le plus grand producteur de films au monde… Je ne regarde que d’un œil et garde l’autre dans le hublot où une grosse boule rouge est maintenant passée sous une nappe de moutons immobiles avant de se jeter droit dans la mer. La réalité réapparaît avec le petit plateau télé et une bouteille de rouge français. Je ne sais pas encore que c’est la dernière fois avant bien longtemps que j’introduis dans mon corps ce genre de texture. Le changement va être brutal et ce n’est rien de le dire. Bientôt l’avion me déposera là bas et il repartira. Tu l’as voulu, tu l’as eu… Je ne mangerai plus jamais « fade », je ne verrai plus jamais ce que je connais. Je me demanderai ce que je fous là, dans ce pays de fou. Qui sont tous ces gens, ils sont si nombreux. Toujours, toujours, toujours du monde, beaucoup de monde, du bruit, beaucoup de bruit, des gens, des gens, partout, par milliers, par dizaine de milliers, dans chaque rue, dans chaque pièce, dans chaque village. Je ne le savais pas, je ne l’imaginais pas. Ca n’avait pas fait tilt quand je lisais un milliard de personnes en Inde. Il faut le voir. Comme il faut voir pour savoir ce que peut être un autre monde, un monde où tout diffère, vraiment tout, un monde immense et même que la France est minuscule, insignifiante, ridicule, elle n’existe pas, elle n’existe plus, elle n’est que le centre de son nombril. Mais tout ça, quand je suis dans l’avion, la panse gonflée, je n’y pense pas. Je regarde ce film puéril, qui nous tiendra pendant trois heures avec des chorégraphies qui n’ont rien à voir avec le scénario et où tous les acteurs participent avec de grands sourires. J’imagine nos acteurs français se mettre à danser comme ça… comme des enfants ! Allez c’est dit, l’Inde est un monde d’enfants, un monde drôle et insouciant mais aussi singulièrement cruel comme le sont les enfants. Quand on descend d’un tel avion, fort d’avoir déjà parcouru une partie du globe, on prend la claque de sa vie. Et non, vous n’avez encore rien vu ! Vous débarquez en enfer et au paradis, vous avez traversé les nuages et vous êtes trompé de planète. La porte s’est refermée sur vous, votre cerveau va bouillonner, vos yeux pleurer chaque jour de rire, de pitié et encore, chaque fois que vous mangerez. Chaque journée sera époustouflante, incroyable et fatigante jusqu’à ce que vous sortiez d’ici mais vous n’avez encore rien vu, vous ne faites qu’arriver !

28 novembre 2004. 3 heures du matin. 26 degrés sous les tropiques. Les odeurs sont présentes, puissantes et mélangées comme une bouillie d’épices. Ca chie dans la rue…en discutant. A côté, dort en rang de draps blancs une famille, les jambes recroquevillées sur le trottoir. Derrière, en train de crever, un jeune avec une seringue piquée sous son pied. Son pied gonflé et noir de pourriture. Pas beaucoup l’occasion de voir de junkies indiens mais celui-ci je l’ai bien vu, le premier matin, au réveil, sous ma fenêtre. Bonjour l’Inde, bonjour Bombay ! Comment est-ce possible que vous existiez, je veux dire que vous existiez à ce point, et que je ne sentais pas la terre trembler de votre énergie chez moi dans mon douillet appartement. Bien sûr, en France, je vous ai vu à la télé ou dans mes livres de géographie… Je me souviens d’une photo d’une rue en ville bondée de monde. Mais chez nous aussi, ça peut arriver une rue bondée de monde, pendant la fête de la musique par exemple. Une photo de chaque rue, toujours aussi dense, dans mon livre de géographie, page après page aurait pu me mettre la puce à l’oreille. Tiens, ils font beaucoup la fête là-bas. Non, c’est tous les jours, c’est toutes les rues, c’est toutes les heures du jour et de la nuit que c’est bondé de monde. Comment l’imaginer avec un livre de géographie ?

Là bas

En France, on dit : Ah ! Là-bas, les gens sont pauvres, ils meurent. Oui, on le dit mais ce n’est que des mots. Il faut venir les voir les gens, pleurer se battre et mourir ! Se battre et mourir, j’abuse. Ce  n’est pas la vérité. On ne meurt pas de froid en Inde…

Mourir de froid, comme les sans abris des villes de France à Noël, oui c’est ce qu’il y a de plus horrible. Ce n’est pas par ce qu’on est en guenilles en Inde, qu’on dort dans la rue, qu’on n’a pas d’argent dans la poche, qu’on meurt dans les jours qui suivent. On construit un bouiboui en terre et en tôle sur un carré de terre battue dans un bidonville qu’on reconstruira après que la mousson soit passée pour tout emporter. On achète quelques objets à revendre. On s’installe sur un trottoir et on reste la journée en tailleur pour gagner quelques roupies. Les enfants sont vite conscients de la réalité et très jeunes, trouvent des solutions pour ramener eux aussi de quoi survivre. Merdes de vaches séchées qui serviront pour le feu qui cuira la nourriture. En campagne ou en ville : travailler pour subvenir aux besoins de la journée.

On ne meurt plus de faim en Inde.

On ne meurt plus de faim depuis que les progrès dans le domaine de l’agriculture avec les engrais et les pesticides permettent au pays de s’autoalimenter. Tous les climats sont contenus à travers l’Inde. On y trouve les fruits, les légumes les plus diverses et surtout du riz, base de l’alimentation. Le prix du thali, le plat commun, n’est pas très élevé : Entre 0,20 et 0,50 €. Il est constitué de riz à volonté, et de petites coupelles de sauces différentes selon la région et que l’on peut ensuite agrémenter à sa guise. La plupart des indiens sont végétariens et purs végétariens. Jamais vous trouverez un steak saignant dans votre assiette. Les vaches sont sacrées depuis toujours, depuis que la mousson amène la famine, tue les gens par millions et qu’il a été décidé de conserver le lait des vaches pour la survie des enfants.

On meurt comme partout de maladie.

Mais là aussi des progrès considérables ont été faits. Les pharmacies poussent comme des champignons. Le prix des médicaments est accessible. Il est donc maintenant possible de se soigner en Inde. Et cela sans doute depuis que le pays a les moyens de recherche et de développement des formules et des molécules de médicaments qu’on appelle génériques. Ils sont produits et commercialisés ici à moindre coût pour tous les pays du tiers monde. Une situation qui n’a plus permis à nos entreprises occidentales de garder le monopole mais qui est tellement précieuse pour tous les pays du sud qui n’avaient le droit jusqu’à aujourd’hui qu’à nos dons de charité !

Dans la rue

Les premiers jours à Bombay, dans les rues, sur les marchés du quartier de Colaba, on se demande quand même si c’est possible une telle précarité, une telle insalubrité, une telle misère. Poussés par je ne sais quelle idée, peut-être par pitié, nous passons nos journées à parcourir les rues les plus perdues, les plus pauvres, les plus sales. Les bidonvilles, comme on les appelle, ne manquent pas et la population est bien étonnée de nous voir là. Et nous, sommes étonnés surtout, de voir que les enfants de ces quartiers ne mendient pas. Ceux qui se traînent en mendiant toute la journée autour des hôtels à touristes et vous tirent sans cesse par les manches sont de vrais acteurs pas plus miséreux que les autres. Dès la sortie de l’hôtel, ils vous sautent dessus et pleurent en s’accrochant à vous. Une toute petite fille vous attrape la main, marche dans vos pattes sans vous lâcher une seconde et elle vous parle, vous parle sans que vous ne compreniez rien, de son ton suppliant et de ses yeux larmoyants. Qu’est ce que ça change pour vous quelques roupies ? Rien. Qu’est ce que ça change pour elle ? Rien non plus. Toute sa vie ne sera guère plus somptueuse. Elles sont des milliers avec leurs enfants devant vos yeux chaque jour que vous les ouvrez, à vous demander du lait pour une gamine, minuscule dans leurs bras… Quand vous n’êtes pas préparé, quand c’est la première fois que vous devenez un portefeuille sur pattes, ça vous tue. Impossible d’être indifférent. Ok, ce n’est pas de votre faute, vous êtes né en France mais alors il fallait y rester. C’est déjà dur d’être indifférent devant la télé, ici c’est impossible. Colaba est le pire quartier mendiant de l’Inde. Les enfants ont appris à prendre le ton le plus suppliant pour vous faire culpabiliser et vous soutirer de l’argent. Beaucoup de touristes arrivent ici, pour la première fois en Inde et la mendicité est devenue un marché. On envoie ses enfants mendier ici. Mais attention, des parents peuvent estropier leurs propres enfants afin que leur apparence vous inspire plus de pitié. Ne donnez pas d’argent. Pensez à ceux qui viendront après vous.

De taudis en taudis, où des femmes d’une extraordinaire beauté, sveltes et colorées, lavent leurs linges devant leur porte de chiffons. De ruelles en ruelles, de minuscules places en terre battue où reposent des dizaines de vaches et de chèvres, on débouche sur un terrain vague, fait de monticules de déchets urbains accumulés, qui grappillent sur l’océan et où une dizaine de gamins jouent au criquet. Nous faisons sensations en arrivant. Les enfants courent vers nous, nous serrent la main rapidement, lancent des « hello, what’s your name », avant de retourner jouer en riant sans attendre la réponse. Retour vers le marché. La même huile boue de jour en jour dans les bains de poissons pourris recouverts de mouches. A petits jets d’eau croupie, on les éloigne, en vain. Une gamine mastique un bout de plastique en faisant caca sur le trottoir. Celui-ci lui échappe des mains plusieurs fois pour retomber dans le caniveau, mélange de merde, de détritus et de poussière. Ca donne du goût pour le remettre à la bouche... Nous n’avons pas les mêmes défenses immunitaires. Les chèvres et les vaches se servent en passant dans les sacs de jute, de céréales et d’épices. On les chasse en levant le bâton. Les malignes refont le tour du marché et une nouvelle fois, discrètement, tentent de voler une autre bouchée. La lutte incessante pour survivre. Des millions sont pauvres et survivent. Quelques roupies permettent de tenir jusqu’au soir et le lendemain il faut recommencer. Une vie au jour le jour. La précarité absolue. C’est toute la vie, c’est depuis toujours, c’est normal et depuis longtemps accepté.

Ce qui est incompréhensible mais beau : ça ne les empêche pas d’avoir le sourire, beaucoup d’humour et de joie de vivre. Résignés, oui c’est le mot. Accepter sa condition en Inde pour cette vie, signifie la possibilité d’accéder, dans une vie ultérieure, à une condition meilleure. Voilà le secret de leur bonheur, la résignation… Mais n’est ce pas un peu trop facile ? Croire en la réincarnation, je veux bien mais est-ce que cela permet de se détacher à ce point des souffrances de cette vie là ? Je ne peux le croire. Ne pas avoir le choix en Inde est un fait. Ils ne sont pas maîtres de leur destin. Le rêve américain de réussite n’existe pas pour la majorité des gens. Mais comment ne pas nous jalouser ? Ne sont-ils pas touchés eux aussi par le désir d’accumuler des biens, de consommer ? L’insatisfaction existe-elle en Inde ? Ils sourient si sincèrement… Leur culture ? Oui, sans doute, l’hindouisme préconise la suppression du désir en soi comme moyen d’inhiber une grande partie de notre souffrance. C’est rentré dans les mœurs depuis deux mille ans… Une partie de la population, encore très répandue et très respectée, les sâdhus, montrent l’exemple en faisant vœu de pauvreté (pour le rapporter au catholicisme). Ils se promènent par monts et vallées, vivants de charité, dans la simplicité la plus extrême, l’harmonie avec la nature et l’ascétisme. Les chemins qui mènent, après une longue lutte contre soi-même au bonheur ultime, le nirvana.

« Ils croupissaient dans l’illusion de bonheur qu’ils tiraient des biens possédés alors que le bonheur n’est que chaleur des actes et contentement de la création ». (Saint Exupéry).

Entre philosophie et réalité, quand on ne sait pas lire… Reste la parole des anciens, le respect de la vieillesse, de la sagesse et surtout la foi. La foi, cette incommensurable énergie que je ne soupçonnais pas et qui, pourtant, nous suivra dorénavant partout où nous irons, en s’amplifiant même, tellement elle est l’essence des peuples, de leur solidarité et de leur fierté.






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12 juin 2008 4 12 /06 /juin /2008 20:20



Rives de la rivière Krishna en Mahârâshtra dans les ruines de l’empire Vijayanagar. Oasis spectaculaire et verdoyante, prise entre des montagnes de granit rouge déposées par petits tas de trois cent mètres de haut, comme jetées à la pelle par d’immenses dieux. Les temples, disséminés dans ce paysage, hypnotisent par leur majesté et leur finesse. D’innombrables mains ont sculpté dans le moindre détail les représentations de leur vie quotidienne, sans tabou, et de façon largement mystique. Comme chez les Grecs et les Romains, les dieux influencent directement l’histoire et les destins. La mythologie est vaste, les murs emplis de légendes en fresques. Ce site est resté abandonné plusieurs centaines d’années. Aujourd’hui seulement, il est protégé et devient petit à petit un attrait touristique. C’est pourquoi, la population alentour est revenue habiter le village et commence à vendre quelques souvenirs. Le plus prisé est un éléphant sacré qui vous bénit d’une caresse de trompe sur la tête après lui avoir donné une pièce de monnaie.
À la sortie du village, des escaliers descendent à la rivière et il faut se lever tôt le matin pour prendre un bain avec l’ensemble de la population. Un moment majestueux de couleurs et  d’impudeur, puisque apparaissent les jambes et les épaules des femmes. Le soleil surgit alors sur les corps bruns, les cheveux brillants, l’ocre des rochers polis et la mousse en bulles multicolores. Les cloches des vaches accompagnent la psalmodie des prêtres au temple, le marché accueille les premiers paniers débordants de fruits frais : ananas, papayes, goyaves. L’éléphant débute une nouvelle journée de bénédictions.
Derrière la montagne sacrée où s’élève le plus haut temple, entre les piliers d’une cour intérieure où broutent quelques chèvres, un jeune berger me propose de l’herbe à fumer. Un peu plus loin, vagabondant dans les ruines grignotées de végétation, un homme assis en tailleur me fait signe de le rejoindre. Il paraît être en méditation. Mais, à peine le questionné-je sur mes difficultés à rentrer moi-même dans cet état qu’il me tend lui aussi de l’herbe. Depuis le gîte de ce charlatan, j’emprunte un chemin le long de la rivière et trouve un petit garçon qui taille des éléphants en pierre. Le travail est minutieux. Le prix de ses sculptures est dérisoire. Malheureusement, jamais au cours de ce voyage je n’achèterai d’objets encombrants pour mon bagage que je trimbale sur le dos. Aucune chance aux meilleurs commerçants de me vendre un souvenir. Mais je reste avec le gamin puisqu’il est seul, et m’instruis de son savoir-faire. Mon premier éléphant ressemble à une pierre. «  Very good, il me dit, flatteur ! » 100 roupies, je réponds alors. Le petit garçon me regarde perplexe. Le plus beau des ses éléphants ne coûte pas ce prix-là… Abandonnant ma carrière de sculpteur, je le remercie de quelques roupies qui traînent dans ma poche pour son attention, sa gentillesse et son travail. Heureux mais gêné, il refuse l’argent ou, pour qu’il l’accepte, je dois à mon tour recevoir une petite sculpture que, finalement, j’ai toujours gardée.
Toujours vagabondant, j’ai traversé la rivière sur une coque en feuilles de palmier avant de me jeter à l’eau pour rejoindre des gamins qui plongeaient d’un rocher. Ai épongé ma soif avec une noix de coco… Aidé un groupe d’hommes à tirer un tronc d’arbre lourd de plus d’une tonne dans les rizières et partagé avec eux des bidies, ces cigarettes roulées dans des feuilles d’eucalyptus… Suis descendu dans les ruines d’un temple qu’entourait une pièce d’eau, au-dessus de laquelle une bande de singes s’agitait dans les lianes d’une touffe de bambous…. Lavé mes pieds dans une rigole d’irrigation de jeunes bananiers avec un monsieur à la très belle moustache, honoré de ma présence mais sans que nous puissions communiquer autrement qu’avec des sourires… Suivi une jeune femme sur un chemin poussiéreux ramenant sur sa tête un panier de fleurs et dont les fesses derrière le voile léger du sari m’empêchaient de voir tout autre paysage… Suis rentré chez l’habitant le soir, avec ces images et ce sourire dans un état de béatitude.





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12 juin 2008 4 12 /06 /juin /2008 20:10


Six heures du matin. Eau glaciale. Gros rat passe entre mes pattes. 7h00, départ. La route qui descend de Udhagamandalam (Ooty est le nom anglais) pour la vallée de Coimbatore, est vertigineuse. Le brouillard se dissipe juste à temps pour m’offrir le paysage. La musique du bus, la forêt tropicale, les singes, les Indiens nonchalants. Je suis au cœur du voyage. Il n’y a pas de mot pour décrire le sourire qui se dessine sur mes lèvres à chaque virage, à chaque image. J’ai les yeux grands ouverts sur ce monde que je traverse, courant d’air presque invisible et pourtant plus présent que le bus lui-même, tellement la sensation de saisir la vie dans son moment présent m’émerveille. La vie, la vraie vie, telle qu’elle vaut d’être vécue pour moi, passe dans ce bus qui descend dangereusement dans les vallées abruptes, les forêts profondes, les villes inconnues, les imprévus et les embrouilles diverses.

Nous sommes le 23 décembre. Il fait 34 degrés la nuit sous le ventilo. L’hôtel où nous devions nous retrouver avec Daoud est complet et sans lui. La ville est affreuse. Ma famille pense à moi et moi à elle. Seuls, les moustiques m’accueillent chaleureusement. Ce sont les moustiques du Kerala, minuscules et innombrables à cause des marécages. Dans la nuit, ils s’organisent en escadrilles, tentent des percées sous les draps, violent les traités de paix, résistent aux produits que le charlatan de Mysore m’a vendu une fortune, disparaissent dans la lumière, vous dévorent jusqu’aux mains où ils se posent en kamikazes quand vous êtes debout sur le lit en train de les chasser avec vos chaussures. Nuit affreuse où j’ai perdu la bataille et abandonné mes positions. Ils m’auraient tué en me rendant fou. Yeux gonflés et anéanti, je pars trouver une autre chambre avec mon sac sur le dos dans les rues brûlantes.

De la terrasse d’un petit restau de l’autre côté d’une rue, j’entends bourdonner mon prénom. Avec un grand sourire devant son petit déjeuner, Daoud m’a retrouvé. Alors comment tu vas mon Daoud ? Bien, il me dit, malgré le reste de la nuit passée, suffocant sous mon duvet, sur le quai d’une gare vibrante de moustiques, et après neuf heures debout, dans un wagon de train surpeuplé de Mangalore, une grande ville sur la côte comme celle-ci, d’où je suis parti hier, jusqu’ici. Pas beaucoup de temps en solitaire mais franchement contents de nous retrouver. Surtout pour les fêtes bien tristes à passer tout seul. Enfin, on a le sourire et on se raconte nos petites aventures ainsi que les  mésaventures qui se transforment comme par magie, avec le bonheur d’en parler ensemble, en heureux souvenirs. Daoud a trouvé un hôtel modeste et m’invite à demeurer près de lui. Ce sera une nuit de Noël perdus tous les deux au milieu du monde. Epuisés et maigres, tôt dans la soirée, nous allons nous offrir un véritable vegetable fry rice dans un bouiboui crasseux des rues aux égouts à ciel ouvert, aux énormes cafards qui traversent les trottoirs et craquent sous les pieds, avant de retrouver les inévitables moustiques pour une nuit étouffante et fiévreuse.

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12 juin 2008 4 12 /06 /juin /2008 19:50



Namaste,                                                              Inde, le 23 février 2005

 

                Je suis dans un petit village qui borde une rivière. Ici ou là sur les collines, s'élèvent des temples où jadis, Rama venait voir son amoureuse. Nous étions sur une de ces collines hier soir, clignant des yeux sur le coucher de soleil. Un coucher tel qu'on ne peut en voir qu'ici : majestueux et béni des dieux. De l'autre côté la lune, pleine, montait doucement comme pour mieux rassembler les éléments de notre 'honey moon' comme aiment à commenter nos amis villageois. Avec mon châle qui pend comme une cape du Moyen-Age, ma flûte et ma barbe, on me nomme Baba. J'ai à mon bras my wife who seems like the more beautifull indian girl, parée de tous ses bijoux sur sa peau brune et sous son voile transparent, et que tous les Indiens gardent en souvenir de cette nuit divine où tous et moi compris étions en transe, fixant interminablement son sari qui tournait au rythme envoûtant des tablas.

Dans la matinée, je me rends sur le marché avec quelques bidies et sweet que je partage avec le temps qui semble arrêté. Surtout ne rien faire, mollement chasser les mouches en rongeant des carottes. Faire de la musique ou plutôt tripoter deux bouts de ferraille qui font glig glig, un bout de bambou et une peau de chèvre qui fait boum boum. Une femme se lève et chante en fermant les yeux. Elle répète inlassablement des lala lalala lala. Puis elle tombe et une autre prend le relais. Comme la vie peut être revenue à sa simplicité originelle. Il semble qu'il n'y ait besoin de rien de plus pour la laisser couler.


 

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12 juin 2008 4 12 /06 /juin /2008 19:40



Une brise légère inclinait les jeunes pousses de blé dans la plaine. Le printemps rendait son vert à la végétation et le soleil resplendissait sur la route que nous parcourions en vélo pour rallier la frontière pakistanaise distante maintenant seulement de quelques kilomètres. Devant les bureaux de la douane, peu de personnes attendaient. Quelques familles, séparées depuis cinquante ans, comme par le mur de Berlin et qui depuis peu, avaient le droit de se rendre visite… La région du Pendjab fut partagée en deux, entre Inde et Pakistan, par cette frontière au moment de l’indépendance de 1947 obtenue sur les Anglais. Cela ne se fit pas tout seul. En effet, sur cette route, dix à quinze millions de réfugiés traversèrent la frontière, juste tracée sur les cartes d’un manuscrit des bureaux de la Royal British Compagnie, en Angleterre, dans les cris d’assassinats et de brûlés vifs. Cinq cents mille morts. Indous et musulmans. Tous indiens pourtant mais qui se déchiraient alors entre eux, malgré les discours de réconciliation du Mahatma Gandhi.

Dans les bureaux de la douane, le fonctionnaire inspecta nos passeports et nos visas qui prenaient fin le jour même, puis leur donna un coup de tampon avant de nous laisser libre. Mais, en sortant, le vent enragé s’engouffra par la porte ouverte. Dehors, un ciel nébuleux s’écrasait sur l’horizon violet bourdonnant de tension. Un tourbillon de sable et de pluie balayait l’espace et envolait les tôles arrachées aux toits. Le vent pleurait comme un nouveau-né. Nous n’osâmes pas sortir. L’ouragan nous tenait enfermés dans les bâtiments administratifs de la frontière comme un mauvais présage. La nuit avant la nuit, l’impossibilité de sortir, l’atmosphère d’une frontière militaire colorée d’uniformes, les portes qui s’ouvraient toutes seules et laissaient rugir le vent dans le hall, rendaient nos âmes méfiantes quant à l’avenir et répandaient sur nous l’angoisse et la tristesse de partir…

Sans doute avions nous oublié quelque chose. Peut être de leur dire adieu. Alors adieu, peuple indien, enfant peureux et sage qui nous a toujours respecté, appris, emporté dans ses rires et ses joies de tous les jours, quelles que soient les circonstances. Nous reviendrons un jour, mais aujourd’hui, malgré la peur, nous ne pouvons pas faire demi-tour. Devant nous, la tempête s’apprête à nous emporter et derrière, la porte s’est refermée... Si ce temps, arrêté ici, nous est alloué pour une dernière fois, te rendre hommage, je m’assois dans le coin de ce mur, sur mon sac et en attendant que la colère du ciel s’estompe, je pense à toi… Combien de fois m’as-tu fait pleurer de rire, au réveil, avec tes enfantillages, ton insouciance et ta simplicité. Je te revois chaque journée me parler, négocier et mentir toujours sans sérieux, sans gravité, tout en te méprenant et feignant de ne pas t’en rendre compte. Peuple de l’Inde, heureux tous les jours, sous le soleil, sous la pluie, dans l’opulence comme dans la misère, nous t’avons laissé un peu de nous même, gisant dans la poussière, contre tout ce que tu nous as donné, appris : savoir qu’on a tout et qu’il ne tient qu’à nous d’être heureux. Encore merci et adieu.

Le cœur chargé de ces émotions qui nous ont secoué et marqué à jamais, la route a repris, seul avec Daoud, mon ami, mon frère, mon compagnon. D’un bond, nous avons franchi la porte et couru sous la pluie et le vent, dans la zone de no man’s land avant d’atteindre les bureaux de la douane pakistanaise. Un autre monde se dessinait déjà à travers les visages que nous ne reconnaissions pas. Puis, le compte à rebours s’enclencha de nouveau, au moment ou le tampon d’entrée s’écrasait sur nos passeports. Un bus grillagé et barbu nous emmenait déjà autre part pour nous abandonner dans une ville rendue grise et sale par la pluie, sans chaleur, une pluie dans les rues comme dans notre cœur. Pieds nus, courbés sous la capuche de nos sacs, pataugeant dans la boue, il fallait nous débattre pour chercher un refuge, un lieu où on serait accueilli et où on pourrait reprendre haleine et confiance. Enfin posés et calmes, nous apercevoir que ce n’était pas plus un mauvais présage qu’un orage. Nous étions au Pakistan.


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12 juin 2008 4 12 /06 /juin /2008 19:30

Une dizaine d’afghans s’agitaient quelques kilomètres avant la frontière. Soudain deux pick-up sortirent du désert et vinrent se coller au bus qui stoppa sous le signe des kalachnikovs. Sans comprendre, on saisit les traits sur les visages qui trahissent l’émotion. Impatience, angoisse et échange de sourires de compassion pour se souhaiter bonne chance. On comprend aussi qu’ils gagnent l’Iran illégalement avec des passeurs de frontière, pour une poignée de billets donnée main à la main, avant de sauter dans les pick-up qui partent en trombe dans ces fossés et ces carrières de pierres qui jalonnent le désert. Autant d’afghans qui émigrent ainsi chaque jour pour chercher l’argent disparu de leur propre pays. C’est ainsi sur toutes les frontières du monde entre des pays qui ne possèdent pas les mêmes richesses… dans une page de l’histoire.

Entre deux montagnes de roches infranchissables, de barbelés et de mines, la ville frontière de Taftan s’étend dans une vallée balayée par les vents de sable. A peine arrivés dans un carrefour entre deux pistes qui semble être le centre de ce village fantôme, des hommes nous assaillent pour échanger notre argent contre le leur et tirer ainsi un petit bénéfice. 1€ fait 76 roupies pakistanaises, et 1500000 rials iraniens. J’ai 3200 roupies, combien dois-je obtenir de rials ? Tout absorbé par mes calculs, je ne prêtais pas attention au drame qui se jouait autour de moi. Un des hommes un peu trop sûr de lui, prit une gifle qui claqua comme un coup de fusil, infligée par l’une des deux petites japonaises qui nous suivaient depuis Quetta, profitant d’une présence occidentale pour traverser ces contrées tribales et machistes. Tous ces hommes s’emportèrent alors comme une volée de chasseurs sur une perdrix et j’ai bien cru, un moment, qu’ils allaient la pendre. La fatigue conjurée par ces nuits sans sommeil et l’angoisse de cette ambiance frontalière, à l’extrémité du monde, où la corruption et le trafic dominent, avaient eu raison de ses nerfs. Sa main était partie toute seule mais je crois qu’elle rêvait depuis longtemps, de rabattre ces hommes dans leur orgueil, pour toutes les femmes qui souffrent dans leur silence. Sans se démonter, elle continua de hurler, fièrement, sous les menaces de l’homme, qui finit par laisser tomber, manifestant tous les diables que son langage lui permet sous la surveillance du très Haut. Les autres hommes riaient dans leur moustache, se moquaient de l’imprudent qui venait de perdre son honneur et traitèrent dorénavant avec respect et admiration, la toute petite femme sous son voile mauve qui la gênait tant.

Nous sommes sortis des barreaux de la douane après une fouille littéraire de nos sacs - nos livres ont en effet été suspecté - par des militaires aussi bruts, dans leurs gestes et leurs paroles, que des SS sous Hitler, pour traverser le portail métallique qui nous séparait de la Perse. Des voitures neuves attendaient devant pour rejoindre Zehidan, la première ville de l’est iranien, par une route asphaltée impeccable qui traçait une droite rectiligne dans la plaine de sable s’étendant à tout l’horizon. S’en était fini des pistes chaotiques et modelées par les paysages tropicaux de l’Asie, des bus sans fenêtre dont les moteurs semblent s’épuiser définitivement à chaque vallon…

A Zehidan, les Japonaises prenaient un bus pour Mechhed 600 Kms au nord. Nous leur souhaitons bonne chance et surtout, leur conseillons de se reposer afin d’être plus calme lors d’une prochaine mésaventure. Elles paraissaient si fatiguées... A nouveaux seuls, apaisés d’avoir franchi cet obstacle, nous prenons une chambre dans le premier hôtel. La porte fermée, nous sortons de nos sacs la liasse de billets cachée depuis Quetta où le change était plus favorable. Elle n’a pas disparu, évaporée dans la soute moite du bus qui traversait la nuit. Une grosse somme d’argent. Nécessaire pour un mois d’Iran dont les banques ne sont pas connectées au réseau international. Les élastiques sautent, la liasse large d’une main s’envole dans les airs. Nous sommes recouverts de centaines de billets verts et gris. On est riche mon gars ! Le sommeil alors, ne tarde pas à venir nous prendre. Nous aviserons demain pour la suite. Demain seulement, nous réaliserons dans quel nouveau monde nous sommes rendus, dans quelle atmosphère nous devrons nous mêler, avec quel degré d’hospitalité, la population iranienne nous recevra chez elle pendant notre séjour.


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