Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Textes Libres


  Vidéos:

Thomas SAnkara (Burkina Faso)
l'homme intègre

Hugo Shavez
(discours Copenhague déc 2009)

Keny Arkana : un autre monde est possible
reportage altermondialiste

"The Take" (Argentine) ou comment les ouvriers
se sont accaparés de plus de 200 usines

Paradis fiscaux, la grande évasion
Un film de Frédéric Brunnquell
Diffusion sur France 2 dans Infrarouge.


Voyage :
La vérité, c’est qu’on ne sait nommer
ce qui nous pousse.
Lorsque le désir résiste
aux premières atteintes du bon sens,
on lui cherche des raisons.
Et on en trouve qui ne valent rien…
Extrait de Nicolas Bouvier dans l’Usage du Monde


Citation :
L'Afrique sans la France,
c'est comme une voiture sans chauffeur
La France sans l'Afrique,
c'est une voiture sans carburant
Omar Bongo


Pétition :
"Justice pour Thomas Sankara,
Justice pour l'Afrique"






22 février 2010 1 22 /02 /février /2010 15:18
Désarroi d'un homme toujours en avance sur son entourage, trahison d'une

amitié, déchirement d'une famille perdant un être cher, la vie de Thomas
Sankara s'est terminée en tragédie. La hauteur avec laquelle il s'est
toujours refusé, malgré les fortes pressions de son entourage, à éliminer
son adversaire qui était aussi son meilleur ami, suffirait à le classer
parmi les grands hommes de l'histoire moderne. L'un repose en paix en accord
avec lui-même l'autre doit vivre avec sa conscience.


La jeunesse a besoin de héros. Mieux vaut que ce soient des êtres de chair
et de sang que ces machines à faire de l'argent, fabriquées par des
multinationales que sont les vedettes du show business. Mieux vaut qu'ils
fassent rêver par leurs qualités humaines et leur action contre
l'exploitation et l'injustice et pour plus de solidarité que pour les sommes
phénoménales qu'ils brassent et qui surtout retombent aux mains de ceux qui
dans l'ombre les manipulent comme des marionnettes.


Originellement le mot héros désigne des demi-dieux, c'est-à-dire des êtres
mi-humains mi-dieux. Les " héros " fabriqués par des sociétés de marketing
ont perdu toute forme d'humanité bien que les gains de leur promoteur soient
eux très réels. Les doutes, les interrogations, les hésitations voire les
erreurs de Thomas Sankara viennent nous rappeler qu'il était profondément
humain. Il avait de plus un grand sens du concret.


Sa popularité réside dans les qualités qu'il a déployées au pouvoir, dans
son énergie, son intelligence, sa créativité, sa résolution, l'ampleur du
travail qu'il était capable d'accomplir, sa capacité à entraîner son
entourage et son peuple mais aussi dans son intégrité et sa rigueur morale.
Autant de qualités somme toute très humaines et très réelles. Mais elles
sont rares chez le même homme et atteignent rarement la même force.

Son héroïsme réside surtout dans la valeur d'exemple qu'il représentait, ce qui
décuplait sa capacité à faire rêver, à entraîner derrière lui son entourage
mais aussi son peuple, tout en restant toujours très proche des gens, par la
proximité physique mais aussi par son langage qu'il voulait accessible.


Les hommes de pouvoir doivent passer par tellement d'étapes, jouer de tant
de malignité, passer par tant de compromission ou de compromis, se
débarrasser de tant de rivaux que lorsqu'ils arrivent au sommet ils en ont
souvent oublié leur engagement initial quand il n'était pas dès le départ
des ambitieux motivés essentiellement par leur propre avenir.

Thomas Sankara tranche avec tous ceux-là, il est arrivé très jeune au pouvoir.

Il a tenté de l'exercer sans perdre le contact avec la population, bien au contraire
puisqu'il prenait sur son sommeil pour le faire. Il sortait incognito et se
présentait impromptu dans un village ou une permanence de CDR à la recherche
de contacts directs et improvisés débarrassés de tout protocole.
Il s'est efforcé de démystifier le pouvoir avec humour. Il a réussi à en
éviter les fastes et les travers dans lesquels tant de révolutionnaires
déclarés se sont égarés. Il a au contraire assumé dignement la pauvreté de
son pays non comme une honte mais comme le résultat d'un processus
historique et des conditions naturelles dues à sa position géographique.
Comme nous l'avons vu il a plusieurs fois refusé de prendre le pouvoir avec
ses camarades, qui pourtant l'y poussaient. Ce n'était en effet pas le
pouvoir qui l'intéressait mais ce qu'on pouvait réaliser avec, pour son
peuple. Il sentait alors qu'il n'était pas encore temps.


Thomas Sankara nous ramenait sans cesse à la réalité. Plus que de faire
rêver à ce que pourrait être demain, il communiquait son énergie pour
construire un monde réel, tout de suite. Quels étaient les objectifs de la
Révolution? Il a cru nécessaire de les rappeler au plus fort de la crise en
déclarant peu avant sa mort :


" Notre révolution est et doit être permanemment, l'action collective des
révolutionnaires pour transformer la réalité et améliorer la situation
concrète des masses de notre pays. Notre révolution n'aura de valeur que si
en regardant derrière nous, en regardant à nos côtés et en regardant devant
nous, nous pouvons dire que les burkinabé sont, grâce à la révolution, un
peu plus heureux, parce qu'ils ont de l'eau saine à boire, parce qu'ils ont
une alimentation abondante, suffisante, parce qu'ils ont une santé
resplendissante, parce qu'ils ont l'éducation, parce qu'ils ont des
logements décents parce qu'ils sont mieux vêtus, parce qu'ils ont droit aux
loisirs ; parce qu'ils ont l'occasion de jouir de plus de liberté, de plus
de démocratie, de plus de dignité. Notre révolution n'aura de raison d'être
que si elle peut répondre concrètement à ces questions. "


Est-ce donc rêver que de construire une société où ce minimum puisse être
réalisé? Certes même des pays bien plus riches comme la France ou les Etats
Unis n'arrivent pas à satisfaire ces besoins pour tous. Ce n'est pas faute
d'en avoir les moyens, mais plutôt mondialisation oblige, que le moteur de
la société reste la recherche de la rentabilité plutôt que la satisfaction
des besoins. Le mot révolution est désormais absent des débats politiques,
il a été tellement dévoyé, mais comment remettre la satisfaction des besoins
au premier plan?


Dans le Burkina Faso de Thomas Sankara, on faisait la révolution. L'économie
devait être tirée par les besoins et surtout on s'en donnait les moyens en
luttant contre ceux qui s'y opposaient. On ne rêvait pas à réaliser ses
objectifs, on y travaillait, durement. Il ne s'agissait pas d'un rêve.

La part de rêve consistait peut-être dans la vitesse avec laquelle on voulait
les atteindre. Tant d'aînés de Thomas Sankara s'étaient fixé les mêmes
objectifs qui à force de réalisme, d'étapes historiques à respecter, de
planifications soigneusement élaborées se sont perdus dans les méandres de
l'histoire pour finir à force d'excuses et de compromissions par s'enrichir
personnellement sur fond de dictature pendant que le peuple s'enfonçait
toujours plus dans la misère. C'est à la lumière de ces révolutions trahies,
de la Guinée de Sékou Touré, au Bénin de Mathieu Kérékou, de Madagascar de
Didier Ratsiraka au Congo de Sassou Nguesso que nous pouvons mieux juger de
l'oeuvre de Thomas Sankara.


Le rêve n'était pas tant que ces objectifs étaient irréels mais plutôt qu'il
voulait qu'ils se réalisent vite, presque tout de suite. Mais c'est aussi
pour ne pas être responsable du énième échec qu'il était si exigeant. Les
seuls véritables reproches qu'on pourrait lui faire, c'est d'avoir accédé au
pouvoir trop jeune, d'avoir voulu aller très vite dans une situation
pourtant extrêmement difficile en regard des objectifs que s'était fixée la
révolution et des moyens disponibles pour les atteindre.

Ce qu'on peut lui reprocher c'est finalement d'avoir été trop humain, trop sensible.

C'est son humanité qui l'avait amené à pousser son entourage à s'atteler à une tâche
que beaucoup pensait inhumaine car trop ambitieuse.
Nous touchons ici aux limites de l'action d'un homme face aux réalités
objectives dans un contexte historique précis.


Les forces productives n'étaient guère développées en Haute-Volta. La
révolution ne consistait pas à se saisir des biens des bourgeois détenteurs
des moyens de production quasiment inexistants, pour les remettre aux mains
du peuple, mais plutôt à créer une industrie nationale. Ce qui ne peut se
faire en quatre ans. La paysannerie était au centre des préoccupations, mais
elle était peu politisée, une grande partie demeurait sous l'emprise de la
chefferie. Et dans bien des endroits les méthodes de culture en étaient
restées à ce qu'elles étaient avant la colonisation. Seuls le coton avait
bénéficié d'une attention particulière. La révolution s'entendait ici par le
développement des forces productives, la modernisation et la rationalisation
de l'agriculture, le développement de filières, la mise à sa place d'un
circuit de commercialisation qui libère les paysans de l'emprise des
commerçants spéculateurs mais aussi la formation des paysans,
l'alphabétisation et lutte contre la chefferie. Les ennemis du peuple se
résumaient pour l'essentiel aux quelques politiciens qui s'étaient partagés
le pouvoir jusqu'ici et leur quelques alliés. Mais on ne les a guère
entendus durant le processus, les leaders arrêtés, leurs partis ont cessé
d'exister, montrant par là leur peu de réalité.


La révolution a donc surtout consisté à mettre en place une véritable
économie nationale et à tenter de se libérer des pressions extérieures
économiques et politiques, à résister aux tentatives de déstabilisation.
Nous avons montré à ce propos tous les obstacles que le Burkina Faso a
rencontrés de la part des bailleurs de fonds. Enfin, la Haute-Volta n'a
guère de richesse dans son sous-sol, une bonne partie de son territoire
souffre de sécheresse.


C'est dans ce contexte qu'a éclaté la révolution. Sur quelles forces
pouvait-elle s'appuyer en l'absence d'une classe ouvrière ou d'une
paysannerie consciente. Sur la petite-bourgeoisie urbaine constituée
essentiellement des salariés fonctionnaires ou d'intellectuels, d'une partie
de l'armée dont l'engagement est forcément limité, de la jeunesse scolaire
et de celle encore plus nombreuse au chômage.


Quant aux forces politiques organisées, capables de diriger le processus,
elles étaient faibles et la mieux structurée a été écartée dès la première
année. Les autres se sont perdues dans des querelles intestines. C'est dans
ce contexte que l'armée a pu prendre tant de poids dans la prise du pouvoir
puis dans la direction de la révolution et enfin dans le dénouement tragique
de la crise.


C'est peu dire que les conditions objectives pour la réussite de la
révolution n'était guère réunies. Ce n'est pas d'avoir voulu aller trop vite
que la révolution a échoué, dans le sens où elle a été interrompue, mais
bien du fait que le contexte était trop défavorable. Replacé dans ce
contexte, le bilan est plus que positif, il est même remarquable.


Thomas Sankara aurait pu se débarrasser de ses ennemis, il en avait les
moyens, beaucoup dans son entourage le suppliait de le faire. La révolution
est plus importante que ta rigueur morale lui a-t-on sans doute affirmé.
Peut-être aurait-il du mieux se protéger? Il ne pouvait en tout cas pas
imaginer que son ami viendrait à être responsable de son assassinat. En tout
cas, il ne voulait pas tomber dans le cycle sans fin des clarifications sur
fond d'assassinat sous prétexte d'étapes supérieures qui cachent souvent une
simple lutte pour le pouvoir. Au contraire il a cherché à élargir la base de
la révolution et s'est opposé à ceux qui portaient des exclusives. Il s'est
battu politiquement, mais en face on a préféré l'éliminer physiquement ce
que nous pourrions interpréter comme un aveu de faiblesse. Thomas Sankara
savait que s'il venait à employer ces méthodes, il aurait cessé d'être celui
qu'on aimait, celui en qui on avait confiance, celui qui rassurait au moment
des doutes par son intégrité et sa rigueur morale. Bien d'autres n'ont pas
eu cette attitude qui se sont vite dévoyés.


L'itinéraire de Thomas Sankara de l'enfance à la présidence de la république
n'en fait pas un héros. Certes il avait de bonne disposition, et a vécu,
malgré les difficultés qu'il a connues, une enfance privilégiée par rapport
à la masse des petits voltaïques de sa génération. Mais pour le reste, les
clés de son ascension sont, le travail, l'observation, l'étude, la
persévérance, la résolution, l'écoute, la curiosité, la soif de savoir, la
fidélité.


A reprendre les différentes étapes de sa vie, on a l'impression qu'il a vécu
l'esprit perpétuellement en éveil et qu'il a su faire fructifier chacune de
ses expériences pour en tirer le meilleur. De son enfance il se rappelle
combien l'injustice est insupportable, de son éducation religieuse il
conserve les leçons d'humilité de Jésus et un certain humanisme, de son
adolescence il tire surtout la formation classique et sans doute quelques
leçons sur la révolution française, de sa rencontre avec le marxisme, la
rigueur de l'analyse des rapports sociaux et les perspectives de changement,
de son séjour à Madagascar, de précieuses leçons d'économie mais aussi une
expérience vivante de révolution, de la guerre avec le Mali, une horreur du
sang versé inutilement. Faut-il continuer?


A la fin de sa vie, il s'apprêtait à faire fructifier l'expérience acquise
depuis qu'il était au pouvoir pour donner une nouvelle impulsion à la
révolution. Il avait compris qu'il fallait en ralentir la marche, il voulait
prendre des distances avec le pouvoir pour mieux se consacrer à ce qui lui
semblait une tâche urgente qui devenait primordiale pour toute nouvelle
avancée : unir les différentes factions qui soutenaient la révolution et en
rallier de nouvelles. Non qu'il avait un goût particulier pour la
construction d'un appareil. On sentait au contraire qu'il voulait mettre sur
pied une organisation d'un type nouveau, qui tout en étant efficace dans la
direction de la révolution conserverait la diversité nécessaire à la
réflexion créative. Mais à l'étape où en était la révolution il sentait
qu'il n'était plus possible que tous les cadres engagés perdent leur énergie
à lutter les uns contre les autres au lieu de se rassembler et de s'unir
dans une même structure entièrement consacrée à la réflexion collective pour
aller de l'avant et lutter politiquement contre les véritables adversaires.
C'est un dirigeant qui venait juste de franchir une étape nouvelle qui a été
assassiné.


Oui, Thomas Sankara peut être montré en exemple comme un homme de son temps.
Et tant mieux si la jeunesse africaine s'en empare comme une lueur d'espoir,
comme un phare qui éclaire son chemin, comme l'exemple du possible et de
l'intégrité que l'on jette à la face de tous les autres présidents du
continent toujours à se chercher des excuses dans leur incapacité à
entraîner leur peuple et à améliorer sa situation. Certes la marge de
manoeuvre d'un pays qui se voudrait indépendant semble aujourd'hui encore
plus petite qu'en 1983. Mais l'histoire ne se répète jamais et réserve
souvent des surprises. Et tant mieux si la jeunesse africaine fait de Thomas
Sankara l'un de ses héros. Son exemple mérite d'être suivi. Nous ne pouvons
que souhaiter qu'il suscite des vocations.


Bruno Jaffré


"Biographie de Thomas Sankara la patrie ou la mort..."

 

 

Signer la pétition "Justice pour Thomas Sankara, Justice pour l'Afrique"



Pour continuer la recherche :

http://thomassankara.net/

http://www.monde-diplomatique.fr/2007/10/JAFFRE/15202

 


thomas_sankara-2d0df.jpg


 
Partager cet article
Repost0

commentaires