La route franchit le col de Chabli à quelque trois mille mètres d’altitude avant de redescendre vers la ville de Tabriz, étendue dans un berceau de peupliers, de terre fauve et de vent. L’hiver y est rude comme ses habitants. Les gens âgés ne le sont pas, les jeunes font ce qu’ils peuvent pour être élégants et les femmes tiennent leur voile noir entre leurs dents pour cacher leur menton. Le bazar est un des plus grands et des plus vieux du pays mais on n’y trouve aucun charme. On y vend plus d’outils, de ferrailles et de vieilles nippes que de fines œuvres d’art qui pourtant embellissent tout l’Iran. La ville n’est ni persane, ni turque, ni russe mais elle est un peu tout ça en même temps. Son dialecte turc azéri est difficilement compris à Istanbul et Téhéran mais se parle jusqu’au Turkestan chinois.
La soupe de l’hôtel avalée, je m’étends sur ma palliasse et me retrouve, grâce à mon livre, dans les salons de Paris du XVIIIème siècle de Balzac. On s’échappe comme on peut. Dehors, il pleuvait aujourd’hui, il pleuvra demain. Je m’ennuie. J’ai envie de cette innocence amoureuse que décrit Balzac, moins dans ma tête et plus dans ma vie... Rentrer sur un coup de tête... À travers la fumée du narguilé, sur les coussins de notre chambre, avec Daoud, nous projetons de partir d’ici sans pour autant être enthousiastes quant à une destination quelconque. Mais, caché depuis longtemps dans les revers de notre esprit, réapparaît le Lycian way. Un parcours pédestre, découvert sur le Net lors de la préparation du voyage, qui longe la côte turque méditerranéenne. Prévu dans la boucle européenne de nos premiers projets, il a été substitué par notre départ en Inde. Déjà le soleil et la mer se dessinent en sourires sur nos lèvres et nous emmènent loin de ces quatre murs et de la grisaille environnante. Nature, montagne et cheap décision ! Un peu d’air pur et de nuits sous les étoiles nous feront le plus grand bien.